L’antisémitisme, une plaie toujours ouverte selon le rabbin Abraham Skorka
Andrea Monda - L'Osservatore Romano
Les paroles, improvisées, prononcées par le Pape lors de l'audience générale, ont touché le cœur du rabbin Abraham Skorka, qui était en visite à la rédaction de L'Osservatore Romano. «Ce commentaire inattendu et improvisé du Pape est d'une suprême importance: il reflète son profond engagement envers le peuple juif. Ce sont des paroles qui suscitent en moi de grandes émotions et un sentiment de gratitude, lorsqu'on pense aussi à la longue histoire de malentendus entre l'Église et les juifs. Après tant d'années, je connais la façon de penser et d'écouter du Pape et je sais qu'il parle très souvent et, comme il dirait, il dit ce qui vient du fond de son cœur. Ce type d'intervention de sa part n'est pas nouveau bien sûr, mais ce n'est pas pour cette raison qu'il ne revêt pas une grande importance, surtout dans un moment historique comme celui que nous vivons actuellement».
C'est sur cet aspect de l'actualité que le rabbin veut s'attarder, soulignant l'inquiétude du Pape face aux signes récents d'une renaissance de l'antisémitisme. «Ce sont des signaux très inquiétants, je pense à ce qui se passe en Italie mais aussi dans le monde entier, jusqu'aux États-Unis. Si je regarde en arrière, je me rends compte qu'à chaque fois que des signes de cette renaissance sont apparus dans le passé, le développement et l'issue de ces signes ont été désastreux, annonciateurs d'énormes souffrances non seulement pour les juifs mais aussi pour d'autres populations».
Les juifs, boucs émissaires de sociétés en crise
Pourquoi cette renaissance aujourd'hui? En discutant avec le rabbin Skorka, une première réponse vient immédiatement: la crise économique, le sentiment de peur généralisé dans la société occidentale contemporaine. «Mais il y a autre chose. L'antisémitisme a plus de deux mille ans, et déjà le monde grec et romain avait des problèmes avec les juifs. En fait, les juifs ont toujours été considérés comme “les coupables”. L'antisémitisme nazi a également repris du passé cette idée de la “culpabilité” des juifs. Il y a cette blague, juive bien sûr - nous avons développé une capacité à sourire même des plus grandes tragédies - qui racconte qu'un nazi, s'exprimant en public, affirme que la cause de tous les maux de la société est due à la présence de deux types de personnes : les juifs et cyclistes. Et tout de suite le public demande: pourquoi les cyclistes? Une plaisanterie qui rend compte de manière efficace ce mécanisme logique de la culpabilité des juifs».
La conversation continue et nous pensons tous les deux qu'il est nécessaire d'approfondir, de creuser cette blessure qui saigne encore dans le cœur de la coexistence humaine.
«Il y a une réflexion, née de l'anthropologie, qui me semble convaincante: anciennement, les hommes vivaient dans le système et la logique de la horde. Beaucoup de hordes opposées qui se battaient les unes contre les autres. Il n'y avait pas l'individu mais la horde. La Bible juive, l'histoire d'un Dieu qui appelle l'homme à sa responsabilité personnelle, a répondu comme par une contestation et une maturation à ce type de condition. La société des hommes est née, et non plus celle de la horde.
Un mécanisme de "horde" qui détruit la dignité humaine
Et pourtant, il naît aussi une antithèse qui dure encore, jusqu'à nos jours, chaque fois que le sentiment de horde reprend des forces. Le nazisme était ceci: la horde allemande, avec la contradiction évidente qui a conduit à la séparation et à la persécution des Juifs qui étaient en réalité de parfaits et fidèles citoyens allemands. Ce n'est pas l'Allemagne qui a voulu s'exalter, mais l'idée du peuple allemand comme horde. Il y a deux façons différentes de voir les choses: l'idée avant l'homme (pensez au platonisme) ou l'homme avant l'idée (la Bible)».
La réflexion à laquelle nous parvenons est inévitablement amère: aujourd'hui, le choc se situe entre deux idéologies, celle de la société de consommation, qui pousse à l'individualisme extrême, et la tendance opposée de la horde, et non de la communauté des personnes, qui sur le papier veut combattre cet individualisme, mais qui est l'autre face de la même médaille, finissant par piétiner la liberté et la dignité des individus. «D'où l'extraordinaire importance des paroles du Pape François», répète avec émotion le rabbin Skorka en relisant le texte de la catéchèse, «qui nous rappelle que les autres personnes sont des frères et que la persécution des juifs est un fait “ni humain ni chrétien”».
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