Levée du secret pontifical pour les abus : les explications d’un expert en droit canon
Entretien réalisé par Manuella Affejee- Cité du Vatican
Désormais, les plaintes, témoignages et actes de procès concernant des abus sexuels, et se trouvant dans les Archives du Saint-Siège ou des diocèses pourront être consignés aux autorités civiles qui en font la demande. Cela ne signifie pas pour autant que ces documents doivent devenir du domaine public ou qu’ils sont destinés à la divulgation, car la confidentialité pour les victimes et les témoins doit toujours être protégée.
Le Pape a aussi décidé que l’acquisition, la détention ou la divulgation, à des fins sexuelles, d’images pornographiques de mineurs de moins de 18 ans par un membre du clergé relèveraient désormais de la catégorie des délits les plus graves.
Bernard Callebat, spécialiste du Droit canon, enseignant-chercheur à la Faculté de Droit canonique/Faculté de Droit civil de l’Institut catholique de Toulouse revient sur cette décision du Souverain Pontife et ses implications :
Le secret pontifical n’a rien à voir avec le secret de la confession. Premièrement, le secret pontifical concerne des informations sensibles, généralement relatives à la gouvernance de l’Église universelle. Ce concept de secret pontifical avait été articulé dans une instruction portée par la Secrétairerie d’État en 1974, et c’est sur cette base que sont déterminés, encore aujourd’hui, la définition et le contenu du secret pontifical. Il concernait surtout, à l’époque, les communications diplomatiques entre les nonciatures et le Saint-Siège mais aussi, et c’est sur ce point-là que l’instruction portée par le Pontife romain est intéressante, les dossiers privés et les recommandations sur les prêtres et les évêques. Jusqu’à aujourd’hui, qu’il s’agisse des communications diplomatiques ou des dossiers privés concernant le personnel ecclésiastique, ce secret était parfaitement encadré puisque son non-respect pouvait entraîner des poursuites contre ceux qui avaient porté des éléments de ces dossiers à la connaissance publique. Aujourd’hui, nous avons franchi une étape importante avec cette décision du Pontife romain, qui était nécessaire. Il ne s’agit pas de lever complètement le secret pontifical car le respect de la vie privée des personnes sera toujours protégée. Cependant, lorsque des atteintes à la dignité de la personne sont mentionnées dans un dossier, le Pontife romain a décidé que le secret pontifical pouvait être levé. Il faut savoir que seul le Pape, ou éventuellement une personne habilitée par lui, pouvait dispenser le secret pontifical.
C’est une décision historique mais pas facile à prendre, on l’imagine bien. Pourquoi n’a-t-elle pas été prise avant ?
Je crois que cela tient au contexte social: il y a eu un certain nombre de faits délictueux touchant aux mœurs qui ont mis en cause un personnel de l’Église catholique. Il faut cependant préciser que ce n’est pas tant le nombre de délits commis (statistiquement, le nombre de délits commis dans l’Église est relativement faible par rapport aux faits de même nature commis dans les familles ou dans le système scolaire), que la qualité des personnes qui les ont commis qui a justifié cette décision. On a pu craindre et on craint, en effet, que des autorités majeures de l’Église aient bénéficié, à cet égard, d’une protection illicite. Nous sommes devant une inflation de dossiers sur lesquels, d’ailleurs, la prudence s’impose parce que la levée du secret pontifical a pour objet de protéger aussi bien les personnes présumées victimes que celles qui sont poursuivies dans un cadre judiciaire afin de respecter l’équité. Je crois qu’il ne faut pas parler d’une décision facile ou difficile à prendre, il faut parler de rationalité. Il faut reconnaître qu’en matière processuelle, le Pontife romain a beaucoup œuvré depuis le début de son pontificat, tant sur cette question pénale que sur beaucoup d’autres. Il a vraiment rationalisé, et il me semble que sa décision de lever le secret pontifical, qui est historique, va dans le sens de cette rationalité. L’objectif est d’établir la justice, une justice que l’Église exerce, non seulement à l’endroit de ses fidèles, mais aussi de ceux qui sont en charge des fidèles.
Quelle est la signification concrète de cette abolition ?
Certains éléments qui étaient protégés par le secret pontifical peuvent maintenant être dévoilés. Il s’agit notamment d’informations détenues par l’autorité religieuse à propos d’ecclésiastiques, concernant l’acquisition, la détention voire la divulgation d’images et de textes pornographiques de jeunes gens de moins de 18 ans, obtenus par le biais de la presse ou par des moyens électroniques. Si ce type d’information figure dans le dossier de la personne et si, plus gravement, on sait qu’elle a commis des délits, dans ce cas-là, le secret pontifical pourra être levé. Je crois qu’on peut parler de perfectionnement du droit pénal de l’Église. Évidemment une interrogation demeure en ce qui concerne la collaboration avec les autorités civiles. Il convient de préciser que il n’y a pas non plus une exigence obligatoire de communication. L’Église pourra continuer à exercer son pouvoir de correction par ses propres tribunaux mais elle pourra aussi, dans certains cas, collaborer avec les autorités civiles dans la mesure où celles-ci demandent la collaboration de l’Institution ecclésiastique. Le fait que l’autorité civile soit appelée à collaborer avec l’autorité religieuse, et vice-versa, me paraît tout à fait naturel. Cette collaboration qui existe dans le champs diplomatique ou administratif doit pouvoir aussi s’exercer en vue du bien commun, de la protection de la personne, protection de sa dignité et de son intégrité. L’Église doit pouvoir collaborer, c’est une mesure de bon sens qui participe encore à cet esprit de rationalité que le Pape a voulu insuffler dans ce rescrit.
Qu’est-ce que l’Église veut faire pour les victimes à travers ce geste ?
Je pense que ce geste s’adresse aux victimes, certes, mais aussi à tout le monde, à tous ceux qui sont partie prenante. On parle de victimes, on parle de coupables, mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit de personnes qui sont présumées victimes et présumées coupables. C‘est la garantie d’un procès équitable, qui ne soit pas basé sur des préjugés. Il est clair, cependant, que ce geste s’adresse évidemment aux victimes et veut leur signifier que l’Église poursuit ce bien supérieur qu’est la vérité. Je signale d’ailleurs à ce sujet un point admirable de la juridiction ecclésiastique, qui, certes, cherche à défendre la victime ou poursuivre le coupable, mais dont le but principal est la recherche de la vérité. Cette poursuite justifie que tous les moyens soient mis en œuvre. C’est une distinction fondamentale d’avec la juridiction civile, dont les membres ont une fonction attitrée. L’avocat défend son client mais il ne défend pas forcément la vérité. Ce geste de l’Église signifie précisément qu’elle poursuit ce but complet de la vérité qui est la finalité même de l’ordre judiciaire: rendre justice y compris, si possible, à toutes les victimes.
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