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Mgr Paul Richard Gallagher, ici lors d'une intervention en Pologne en mai 2019. Mgr Paul Richard Gallagher, ici lors d'une intervention en Pologne en mai 2019. 

Mgr Gallagher appelle l’Europe à reconstruire un socle éthique

Le Secrétaire pour les Relations avec les États est intervenu à l’occasion des journées interdisciplinaires organisées à Strasbourg sur le thème «Bâtir l’Europe ensemble», dans le contexte du 50e anniversaire de l’entrée du Saint-Siège au Conseil de l’Europe.

Mgr Paul Richard Gallagher a déployé une réflexion sur le thème «Quelle vision de l’Europe aujourd’hui ?» au cours de son intervention, tenue le 7 janvier à la faculté de théologie de Strasbourg. Il a tout d’abord rappelé que cette année 2020 marque le 70e anniversaire de la Convention européenne des Droits de l’Homme, qui fût adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, le 4 novembre 1950, et «qui constitue une véritable pierre angulaire pour la protection des personnes de toute violation des droits humains».

Dans la continuité de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, signée deux ans auparavant, «cette Convention européenne est à l’origine d’instruments internationaux et régionaux successifs qui ont chacun décliné des aspects singuliers relatifs aux droits humains. S’est ainsi forgée, au cours des années, une certaine identité européenne basée sur des valeurs partagées qui transcendent les diversités culturelles», a expliqué Mgr Gallagher.

La protection de la personne humaine, une priorité en Europe

Aujourd’hui les principales fonctions du Conseil de l’Europe sont justement «liées à la protection des droits humains, de la démocratie et de l’État de droit». «C’est un travail particulièrement précieux, avec d’importantes implications éthiques et sociales, (…) dont dépendent le développement de nos sociétés, leur cohabitation pacifique et leur avenir», a expliqué Mgr Gallagher en reprenant les termes du Pape François lors de son discours au Conseil de l’Europe, le 25 novembre 2014.

Cependant, tous les pays n’ont pas la même conception de l’Europe, et à l’intérieur de chaque nation cohabitent de très fortes différences de sensibilités. Parfois, l’Europe fait l’objet de très vives critiques, certains la considérant comme un «Être supranational et sans cœur», a souligné l’archevêque britannique.

Une certaine dérive juridique existe aussi quand «le bien et le mal sont en définitive déterminés par la loi, les décrets ou la loi du plus grand nombre».

Mais Mgr Gallagher a voulu proposer «une idée de l’Europe qui ne fasse pas fi de son fondement et de ses racines chrétiennes», en présentant des idées destinées non seulement aux seuls catholiques ou aux chrétiens, mais qui «peuvent constituer des éléments de réflexion pour toute personne de bonne volonté».

Défendre les droits de toute personne humaine

Le premier axe a été le respect des droits humains et la dignité de la personne humaine. «Les droits humains constituent un élément essentiel pour la majeure partie des communautés humaines et des peuples, au point d’être clairement affirmés dans chaque ordre juridique interne, afin d’orienter vers le bien et la justice, les relations non seulement entre les personnes, mais aussi entre les personnes et les États, et entre les États eux-mêmes».

En citant le Pape François, Mgr Gallagher a notamment souligné la responsabilité du Conseil de l’Europe au sujet des thèmes liés à la protection de la vie humaine, des «questions délicates qui ont besoin d’être soumises à un examen attentif, qui tienne compte de la vérité de tout l’être humain, sans se limiter à des domaines spécifiques médicaux, scientifiques ou juridiques».

Le Saint-Siège soutient les efforts menés, sur le plan du droit international afin d’offrir aux personnes le plus de protections possibles et il s’exprime aussi «lorsque des formulations ou des idées avancées s’avèrent contradictoires avec sa nature particulière et ses fins religieuses spécifiques, ou encore lorsqu’elles s’opposent à une vision anthropologique respectueuse de la dignité de la personne humaine et de ses droits inscrits dans la nature».

Un positionnement construit sur une base théologique et anthropologique

Tout au long des dernières décennies, la réflexion doctrinale de l’Église sur les questions sociales s’est approfondie en étant centrée «sur l’origine de la personne humaine créée à l’image de Dieu et sauvée par le Christ».

«C’est bien pour protéger l’homme dans son inviolable dignité que l’Église catholique s’est posée comme ardent défenseur des droits humains. L’Église est en effet capable d’offrir une vision harmonieuse dans laquelle les droits sont équilibrés par des devoirs respectifs. Dans la Création, Dieu le Créateur et Seigneur, a conféré à toute personne humaine, homme ou femme, la même haute dignité. Ceux-ci sont faits à l’image et ressemblance de Dieu lui-même», a précisé Mgr Gallagher en reliant donc les dynamiques théologiques et anthropologiques qui structurent toute l’action du Saint-Siège dans la diplomatie internationale.

L’importance d’une ambition éducative renouvelée

Un autre axe fondamental concerne l’éducation. «Nous ne pourrons parler de vision éducative que si nous savons qui est l’homme, la femme. Une fois établies l’essence, la nature, la vérité terrestre et spirituelle de la personne humaine, l’éducation revêt une seule signification: prendre un enfant et le guider de manière à ce que sa nature puisse s’épanouir et se réaliser pleinement. L’homme par nature est un être en devenir et en perpétuel développement», a expliqué Mgr Gallagher en soulignant l’importance de la rencontre mondiale convoquée par le Pape François à Rome le 14 mai 2020 sur le thème   “Reconstruire le pacte éducatif mondial”.

Surmonter les malentendus au sujet des migrations

Un autre axe prioritaire concerne les migrations, qui sont au cœur de toute l’histoire humaine et qui suscitent une attention particulière de la part du Pape François. Dans le contexte des transformations démographiques et culturelles engendrées par ce phénomène, Mgr Gallagher met en garde contre plusieurs écueils.

Tout d’abord, «un premier malentendu réside dans l’idée d’une assimilation comprise comme un renoncement à sa propre identité pour assumer l’identité du peuple dans lequel on s’établit et dans lequel on vit». Un autre malentendu concerne «l’idée d’un renfermement des migrants sur eux-mêmes et sur leur identité propre. Il convient au contraire de favoriser la rencontre et l’enrichissement réciproque entre les divers “mondes” que la migration met en contact».

«Un troisième malentendu amène à penser que dans le phénomène migratoire, dans les pays d'immigration, l’on doive renoncer à sa propre identité par respect des autres identités. Cela constitue un risque dans toute coexistence civile. En fait, là où l’homme n’est pas en mesure de s’exprimer librement, par souci de ne pas offenser la sensibilité de l’autre, on assiste à un phénomène d’alignement sur le plus petit dénominateur commun, et l’on finit par créer une société amorphe, privée d’idéaux et qui peut facilement se retrouver aux prises avec les “passions” du moment», a averti Mgr Gallagher, dressant un diagnostic précis sur les situations observées dans certains pays occidentaux.

«Enfin, il y a aussi le danger très concret que le phénomène de la migration se déroule de manière sauvage et devienne un terrain favorable pour le trafic d’êtres humains, l’exploitation des migrants eux-mêmes et leur recrutement au sein de groupes criminels», a insisté Mgr Gallagher.

Une approche purement juridique ou légaliste ne suffirait pas à résoudre les défis posés par les migrations. «Un engagement profond, étendu, universel est absolument nécessaire, afin de créer une mentalité nouvelle, car le risque d’une migration sans humanité demeure très élevé», a averti l’archevêque britannique.

La dimension interreligieuse

Dans la lignée du Document sur la Fraternité humaine d’Abou Dhabi, Mgr Gallagher a également mis en valeur l’importance du dialogue interreligieux et d’une promotion sincère de la liberté religieuse, contre toutes les tentatives d’instrumentaliser la religion avec une visée idéologique ou violente.

«Le Document exhorte à la fraternité universelle, mais aussi à l’adhésion à un engagement commun, afin que tous les moyens soient mis en œuvre pour promouvoir à tous les niveaux, la culture de la rencontre, du dialogue, de la paix et du respect», affirme Mgr Gallagher, qui reconnaît toutefois que «le chemin reste encore long à parcourir».

L’approche interculturelle

«Si nous regardons l’Histoire, il est opportun de rappeler la rencontre et l’affrontement de la culture romaine et de la culture grecque. Celle-ci est bien ramassée dans la célèbre phrase d’Horace: “Graecia capta ferum victorem cepit et artes intulit agresti Latio”. La Grèce, conquise, a conquis son farouche vainqueur et a porté les arts au Latium sauvage», a rappelé Mgr Gallagher en évoquant l’Histoire de l’Antiquité.

«Les cultures sont la vraie richesse de l’humanité, mais nécessitent toujours d’être purifiées des distorsions qui de temps en temps les menacent. Aujourd’hui, la culture de l’éphémère et de mort s’impose avec force, a averti l’archevêque britannique. Dans un tel contexte, la culture de l’illégalité, la culture mafieuse, mais aussi la culture de l’intolérance et de la discrimination trouvent encore un terrain propice.»

 «L’Europe doit réfléchir pour savoir si son immense patrimoine humain, artistique, technique, social, politique, économique et religieux est un simple héritage de musée du passé, ou bien si elle est encore capable d’inspirer la culture et d’ouvrir ses trésors à l’humanité entière», a pointé Mgr Gallagher là encore en citant le discours du Pape François au Conseil de l’Europe.

L’approche éthique

«Aujourd’hui, nous percevons l’idée - de plus en plus diffuse - selon laquelle ce serait la loi qui déterminerait désormais ce qui est éthique, et non plus l’éthique qui inspirerait la loi», a remarqué Mgr Gallagher.  

Il a donc souligné que les chrétiens ont un rôle central à jouer pour que «le fondement éthique soit ancré dans l’objectivité de la nature, plutôt que dans la subjectivité de la volonté du législateur, ou pire, dans le courant dominant. C’est seulement à partir de cette objectivité et de l’axiologie qui en découle, que l’on pourra éviter les dérives qui adviennent là où la vision de la réalité est parfaitement égale et interchangeable avec les autres, avec la conséquence que l’on pourra tendre à faire prévaloir une approche sur les autres, y compris par des moyens violents, comme l’histoire du siècle dernier nous le rappelle tristement.»

L’approche politique

Face à l’éclatement du débat politique «entre mille idées et projets» qui divisent même l’intérieur des partis, «il conviendrait de redécouvrir le principe premier, essentiel et de fond qui doit guider l’action de toute personnalité politique, autrement dit, la responsabilité qui est la sienne, devant Dieu et devant les hommes, pour chacune de ses paroles, ses actions, ses mesures législatives ou décision par rapport au gouvernement du peuple», a expliqué Mgr Gallagher en mettant en relief l’exemple donné par la figure biblique du roi Salomon.

«Celui qui gouverne est appelé à témoigner de la sagesse de Salomon, à savoir d’un “cœur docile” qui sache rendre justice au peuple et distinguer le bien du mal», a expliqué Mgr Gallagher en citant le Livre des Rois, contenu dans l’Ancien Testament. «Là est la voie essentielle pour bâtir la paix à laquelle le monde aspire aujourd’hui plus que jamais, et qui doit figurer parmi les objectifs premiers de toute autorité politique.»

«Le monde vit comme brisé et écrasé par ses fermetures et ses polarisations, loin des valeurs universelles et naturelles que Dieu a mis dans le cœur de chaque personne humaine», a observé Mgr Gallagher, en martelant que «pour reconstruire ensemble l’Europe, il nous faut l’unité». Il a conclu son intervention en émettant ce vœu : «Qu’ensemble nous puissions nous ouvrir à l’avenir pour continuer, malgré vents et marées, à bâtir notre chère Europe !»

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08 janvier 2020, 12:19