Mgr Paglia : ce qu'il faut apprendre de la pandémie
Humana Comunitas à l'ère de la pandémie. Que cela signifie-t-il ?
R - Humana comunitas est le titre de la lettre que le pape François a adressée à l'Académie le 6 janvier 2019, à l'occasion du 25e anniversaire de sa fondation. Le Pape demande de réfléchir sur les relations qui unissent la communauté humaine et génèrent des valeurs, des objectifs partagés, une réciprocité partagée. Cette pandémie rend extraordinairement sensible une double conscience. D'une part, elle nous fait voir à quel point nous sommes tous interdépendants : ce qui se produit quelque part sur la terre maintenant, implique tout le monde.
D'autre part, elle accentue les inégalités : nous sommes tous dans la même tempête, mais pas dans le même bateau. Qui a un bateau plus fragile, coule plus facilement. L'éthique de la vie devient mondiale : allons-nous essayer de nous sauver ou notre vulnérabilité commune nous rendra-t-elle plus humains ? Nous devons répondre à cette question et nous devons y répondre maintenant : l'être humain est-il encore une responsabilité partagée ?
Dans le sous-titre, il est écrit : "Méditations intempestives sur la renaissance de la vie". Qu'est-ce que cela signifie ?
R - "Intempestif" est un mot qui vient de la tradition philosophique. Ici, nous l'utilisons, avec une certaine provocation, pour indiquer l'urgence de trouver une pensée de la communauté qui, semble-t-il, n'est plus à la mode. À une époque où la vie semble être en suspens et où nous sommes touchés par la mort de nos proches et la perte de points de référence dans nos sociétés, nous ne pouvons pas nous contenter de discuter du prix des masques ou de la date de réouverture des écoles. Nous devrions plutôt saisir cette occasion pour trouver le courage de discuter des conditions pour mieux orienter le marché et l'éducation. Est-ce une affirmation exagérée ? C'est ce que signifie "intempestif".
La pandémie a montré la fragilité des personnes et des sociétés. Il s'agit d'une crise mondiale qui touche le Nord et le Sud, et les scientifiques n'ont toujours pas de réponses sûres. Est-ce vraiment un fait nouveau ?
R - Ce qui est nouveau, ce n'est pas tant l'apparition d'un virus inconnu. En fait, on aurait pu le contenir et le vaincre localement, en limitant définitivement les dégâts. Le fait sans précédent est la vitesse et l'amplitude avec laquelle il s'est répandu dans les réseaux de relations et de transport. Nouveau aussi est le rôle des médias, qui ont décidé comment devait se diffuser la prise de conscience de la crise : on a parlé à juste titre d'"infodémie". La nouveauté c'est donc l'étrange mélange de conformisme et de confusion induit par les réactions à la représentation du danger à l'ère des sociétés "hyperconnectées" qui sont cependant aussi "hyper-individualistes". La faiblesse de la communauté, qui devrait nous offrir l'assurance d'un soutien et la protection contre le danger, nous laisse exposés à nos incertitudes et à nos vulnérabilités.
La propagande politique blâme des situations et des pays spécifiques. Mais la réalité est que nous n'étions pas préparés. Pourquoi ?
R - Bien sûr, la préparation aux événements exceptionnels est un défi constant pour les systèmes de santé. On parle d'état de préparation, c'est-à-dire de se donner les moyens de prévoir l'événement problématique et de planifier la réponse possible. Cela permet la meilleure mobilisation possible des compétences et des ressources, dans une démarche d'évaluation critique continue et de capacité progressive de réaction. Nos capacités d'intervention technique et managériale nous ont donné l'illusion de pouvoir tout contrôler. Et au lieu de cela, même dans les sociétés les plus riches économiquement, la pandémie a dépassé l'efficacité des établissements de soins et des laboratoires. Cela a été difficile de prendre conscience de l'échec de notre efficacité et de reconnaître nos limites.
Quelle est la relation entre la Covid-19 et l'exploitation des ressources de la planète ? Cela semble deux thèmes éloignés.
R - C'est l'un des aspects de l'interdépendance : des phénomènes poursuivis avec des intentions spécifiques et particuliers dans les domaines agricole, industriel, touristique, logistique, s'ajoutent les uns aux autres et les effets de chacun s'amplifient. La déforestation met les animaux sauvages en contact avec les habitats humains où l'élevage intensif soumet le bétail à la logique de la production industrielle. Cela est fait pour répondre à la demande de viande pour l'exportation, afin que des plats qui correspondent à des régimes alimentaires déséquilibrés et non durables puissent arriver sur nos tables. Tout cela facilite la transmission de micro-organismes pathogènes d'une espèce à l'autre jusqu'à l'être humain.
Qu'avons-nous appris en matière de santé publique ?
R - Tout d'abord, que les ressources investies dans la prévention des maladies et dans les soins doivent être mieux équilibrées. Cela signifie qu'il faut se concentrer non seulement sur les hôpitaux, mais aussi sur les réseaux territoriaux, tant pour les soins que pour l'éducation à la santé. En outre, nous avons compris que la santé de chacun est étroitement liée à la santé de tous. Nous avons besoin d'un comportement responsable non seulement pour protéger son propre bien-être, mais aussi celui des autres.
Que peut-on faire pour empêcher l'exploitation commerciale des vaccins ou pour éviter les inégalités de traitement en matière de santé entre les habitants des pays riches et ceux des pays pauvres ?
R - Nous devons réglementer la recherche de manière à ce qu'elle ne réponde pas seulement aux intérêts politiques et économiques (de quelques-uns), mais qu'elle puisse se dérouler en toute liberté et en responsabilité. C'est pourquoi les financements doivent être transparents et partagés, afin que les bénéfices puissent également être répartis de manière juste.
Et sur la scène mondiale? Quel rôle pour les organisations internationales dans un monde post-Covid-19?
R - La pandémie a montré qu'aucun pays ne peut agir de manière indépendante des autres, non seulement pour des raisons de santé, mais aussi pour des raisons financières. Une organisation qui puisse être soutenue par tous et qui coordonne les opérations dans les différentes étapes de la surveillance, du confinement et du traitement des maladies et qui permet une circulation de l'information est donc indispensable. L'OMS apparaît indispensable, même si elle a certainement eu quelques défaillances : nous devons apprendre de nos erreurs et améliorer son fonctionnement. C'est la seule façon de rendre efficace le droit universel au plus haut niveau des soins de santé, en tant qu'expression de la protection de la dignité inaliénable de la personne humaine.
Quel est le rôle de la communauté chrétienne dans cette crise ?
R - La communauté chrétienne peut aider en premier lieu à interpréter la crise non seulement comme un fait organisationnel, qui peut être surmonté en améliorant l'efficacité. Il s'agit de mieux comprendre profondeur que l'incertitude et la fragilité sont des dimensions constitutives de la condition humaine.
Cette limite doit être respectée et gardée à l'esprit dans tout projet de développement, en prenant soin de la vulnérabilité de chacun, car nous sommes confiés les uns aux autres. Il s'agit d'une conversion qui demande d'inclure et d'élaborer existentiellement et socialement l'expérience de la perte. Ce n'est qu'à partir de cette prise de conscience que sera possible une implication de la conscience et un changement qui nous rend de manière responsable solidaires dans une fraternité mondiale.
Interdépendance, vulnérabilité, coopération, solidarité, accès aux traitements, ce sont les mots clés de cette crise. En d'autres termes : nous comprendrons vraiment la valeur de la vie et la nécessité de la protéger, sans diatribes idéologiques ?
R - C'est une question que chacun doit se poser à lui-même et à sa communauté. Il n'existe pas un automatisme qui garantit le passage de l'interconnexion de fait (que nous avons expérimentés) à une solidarité responsable (qui implique un geste de liberté). S'il n'y a pas ce réveil des consciences, nous ne ferons juste que quelques ajustements organisationnels, mais tout redeviendra comme avant. Nous devons plutôt repenser nos modèles de développement et de coexistence, pour être de plus en plus digne de la communauté humaine. Et donc, à la hauteur de l'homme vulnérable, pas en dessous de ses limites, comme si elles n'existaient pas : à l'intérieur de ces limites, en effet, il y a des hommes, des femmes et des enfants qui méritent davantage de soins. Tous, et pas seulement les nôtres. Si nous ouvrons la porte à des menaces véritablement mondiales pour la communauté humaine, pas même les nôtres pourront se sauver. Voilà : De la "répétition générale" de cette pandémie, nous attendons un saut d'orgueil de l'humana comunitas. Elle peut y arriver si elle le veut.
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