Peine de mort: réévaluer l'amour dans la conscience sociale
Entretien réalisé par Francesca Sabatinelli - Cité du Vatican
L'engagement des abolitionnistes ces dernières années n'a jamais faibli. Il continue à être encore plus décisif malgré une augmentation du nombre de pays qui ont aboli les exécutions, soit par la loi, soit en pratique, et en dépit d'une diminution des exécutions et des condamnations en 2019. Cette année encore, les données en la matière, celles d'Amnesty International en tête, évoquent les pays se comportant à contre-tendance: la Chine, l'Iran, l'Arabie saoudite, l'Irak et l'Égypte poursuivent leur politique d'exécutions, sans même officialiser les chiffres. Selon Amnesty, plusieurs milliers de personnes seraient exécutées chaque année, surtout en Chine qui, comme le Bélarus, le Vietnam et la Corée du Nord, classe les données comme secret d'État. Quant aux États-Unis, ils ont enregistré le plus faible niveau d'exécutions en dix ans l'année dernière, mais ont repris les exécutions au niveau fédéral en juin dernier.
Mgr Ivan Jurkovič, observateur permanent du Saint-Siège auprès de l'ONU et d'autres organisations internationales à Genève, revient sur le combat contre la peine de mort que soutient l'Église :
«J'ai deux ou trois choses à dire au préalable qu'il est important de ne pas oublier. Ne pas considérer la peine de mort comme une pratique inacceptable est une croyance qui a toujours existé. Le fait que nous n'ayons célébré cette date (marquant la Journée mondiale contre la peine de mort) solennellement que depuis 18 ans signifie qu'il s'agit d'une prise de conscience récente. Dans l'ensemble, je pense que, comme toujours dans tous nos systèmes ainsi que dans la vie sociale, il y a deux niveaux : un niveau moral et un niveau juridique.
Dans le passé, ils semblaient ne faire qu'un et, aujourd'hui encore, ils sont étroitement liés. Il existe cependant une tendance, dans la vie des États, à séparer ces deux aspects d'une manière au moins plus juridiquement définie, alors que, dans l'aspect moral, la miséricorde et la justice sont toujours liées. En droit également, il est dit que "summum ius, summa iniuria", (« l'application excessive du droit conduit à l'injustice » NDLR), cela signifie la chose la plus terrible. La justice doit toujours être accompagnée de la clémence, alors que dans le système juridique, écrit, légiféré, etc., cette différence disparaît quelque peu, ce qui signifie qu'un crime donné a besoin d'une réponse. En soi, il est absolument clair pour chaque être humain, en particulier pour les jeunes, que tuer quelqu'un, quoi qu'il ait fait, et avec la possibilité pour beaucoup de se corriger, est quelque chose qui sort de la logique de la vie normale.
L'autre chose qui me semble importante, est de souligner que l'on peut identifier trois niveaux de connaissance: le premier est cognitif. On lit des statistiques, on écoute des discours et on comprend des choses. Puis vient quelqu'un qui vous apporte une photographie, comme celle que nous avons tous vue de l'enfant noyé, et tout ce que vous avez entendu auparavant ne semble rien face à la force d'une image d'une véritable tragédie. Puis, comme le dit souvent le Pape, si vous voyez des gens, tout s'effondre. Cela signifie que toutes les croyances, tous les discours s'effondrent, quand on voit que la personne souffre, qu'elle est dans une situation tellement inacceptable, qui dérange tout le monde. Je pense que la cruauté de la peine de mort est toujours cachée. Elle vit avec nous, elle est légiférée, mais elle est trop terrible à regarder. Ce terrible châtiment nous est présenté de manière aseptique et cachée, et c'est peut-être ce qui nous fait ne pas juger les faits comme ils devraient l'être: négativement.
Mgr Jurkovič, aux États-Unis, nous avons assisté à la réintroduction de la peine de mort au niveau fédéral en juin dernier. Certaines exécutions ont déjà eu lieu. Doit-on y voir un pas en arrière décisif de la part de l'une des plus importantes démocraties ?
R. - Les grands pays ont incontestablement de grandes responsabilités, on le voit aussi ici à Genève. Leur comportement est très important, c'est un fait qui est dans l'ensemble des Nations unies, un peu respecté. Comme nous le savons, certains pays ont un droit de veto, cela signifie que ce sont les pays qui ont la plus grande responsabilité. En réalité, nous pensons que l'autorité politique est le produit de je ne sais quoi, alors qu'elle est le produit d'un processus électoral et cela signifie qu'en fin de compte, elle est la responsabilité de chacun. Le plus terrible est de voir qu'au nom de la sécurité nationale, au nom de l'ordre public, le principe de la primauté de la vie et de la dignité humaine pourrait être annulé. Et comme nous savons que c'est ce qui peut arriver, nous devons savoir que c'est une responsabilité permanente, surtout de l'Église, mais aussi de tous les hommes de bonne volonté, des hommes de culture, d'éduquer les gens. Les choses sont réversibles, ce n'est pas qu'une fois qu'on a atteint un niveau, on y reste toujours. Nous devons continuellement promouvoir une thérapie de la conscience humaine.
«Le droit inviolable à la vie, don de Dieu, appartient aussi au criminel». Le Pape François l'affirme. Mais pour beaucoup de gens, ce principe est difficile à accepter et souvent les slogans gagnants sont ceux qui invoquent la vengeance, la loi du talion.
R. - En tant qu'Église, nous nous tournons vers l'Évangile, et l’Évangile ne donne aucune indication à quiconque peut dire que la peine de mort est autorisée. L’Évangile est notre direction, l’Église suit l’Évangile, l’Église grandit avec l’Évangile. C'est pourquoi nous sommes convaincus que nous devons nous aussi grandir et diffuser cette conviction, qui est la vision de l'Évangile, de l'inviolabilité de la vie humaine. C'est un principe qui doit être juridiquement confirmé et protégé. Pratiquement tous les pays du monde ont les moyens de choisir des peines alternatives: nous devons promouvoir cette position avec sérieux et conviction.
Le Pape François nous invite à lutter pour l'abolition de la peine de mort. Aujourd'hui, le monde a obtenu des résultats très importants, car 142 pays l'ont abolie par la loi ou dans la pratique, et en 2019 il y a eu le plus petit nombre d'exécutions dans le monde. Pourtant, aujourd'hui encore, même parmi les chrétiens, il existe un noyau dur qui résiste et rejette les paroles du Pape. Que pensez-vous avoir à dire ?
R. - En tant que représentants du Saint-Siège, nous constatons que la voix du Pape, inspirée par une lumière intérieure, est une voix très attendue. Tout le monde veut l'entendre. On voit que les tendances, en elles-mêmes, ne sont pas si négatives, mais elles sont insuffisantes. Je pense que la voix prophétique de l'Église et du Pape, dans la sphère internationale, est très visible et importante. Nous devons réévaluer l'amour comme un principe nécessaire à la vie sociale, c'est exactement ce que nous devons faire ! Nous devons savoir que le pardon, l'amour et la miséricorde sont des principes qui doivent nous transformer. Je pense qu'avec le temps, mais aussi avec la maturation des consciences humaines, avec la croissance de la responsabilité générale, nous ferons des progrès. Nous sommes confiants et encouragés, également grâce à la nouvelle encyclique, à poursuivre cette bataille.»
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