L'encyclique "Fratelli tutti", un outil pour la construction de la paix
Vatican News
Le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Saint-Siège, a développé une réflexion sur la place de la fraternité dans les relations internationales, qui doit s’exprimer dans des «actes concrets». «L’encyclique nous rappelle l’intégration entre pays, le primat de la règle sur la force, le développement et la coopération économique, et, surtout, l’instrument du dialogue vu non pas comme un anesthésiant ou pour des retouches occasionnelles», mais comme la plus efficace des armes. «Le dialogue détruit les barrières du cœur et de l’esprit, il ouvre les espaces pour le pardon, il favorise la réconciliation».
La fraternité n’est donc pas seulement un effort individuel, mais elle constitue «un parcours ascendant déterminé par cette saine subsidiarité qui, en partant de la personne, s’élargit jusqu’à embrasser la dimension familiale, sociale, étatique, jusqu’à la communauté internationale», a expliqué le cardinal Parolin. Ainsi peut-on construire une «gouvernance» plus collégiale dans les organisations internationales, à l’image de cette dynamique de synodalité que le Pape cherche à promouvoir au sein de l’Église catholique.
L’enjeu est donc de bâtir une «culture de la fraternité» à travers laquelle «le Pape François appelle chacun à aimer l’autre peuple, l’autre nation, comme la sienne, et ainsi à construire des relations, des règles et des institutions, en abandonnant le mirage de la force, des isolements, des visions fermées, des actions égoïstes et partisanes», car un monde meilleur ne peut pas se bâtir par l’addition des intérêts particuliers.
Persévérer dans les efforts pour un dialogue interreligieux authentique
Pour sa part, le cardinal Miguel Angel Ayuso Guixot, président du conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux, a dit son émotion à la lecture du chapitre huit de l’encyclique, sur «les religions au service de la fraternité dans le monde». Il a rappelé les efforts intenses menés par le Pape pour persévérer dans la vie du dialogue «afin que l'oxygène de la fraternité puisse entrer au cœur du dialogue entre personnes de traditions religieuses différentes, entre croyants et non-croyants, et avec toutes les personnes de bonne volonté», et ce dans la pleine continuité de la mission de l’Église, à la lumière du Concile Vatican II. «Le Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune, signé par le Pape et par le Grand Imam d'Al-Azhar Ahmad Al-Tayyeb le 4 février 2019 à Abou Dhabi, a représenté un jalon sur la voie du dialogue interreligieux, et qui n’en marquait ni le début ni la fin. Nous sommes en chemin !», a répété le cardinal Ayuso.
«D’un regard clairvoyant et miséricordieux, Fratelli tutti nous exhorte à fouler le terrain commun de la fraternité humaine. Ce terrain commun est une vérité ancienne, mais qui peut sembler nouvelle dans le monde qui nous entoure, souvent atrophié par l'égoïsme. Les croyants de différentes traditions religieuses peuvent vraiment apporter leur contribution propre à la fraternité universelle dans les sociétés où ils vivent», a-t-il insisté.
Vivre son identité dans le «courage de l'altérité» est le seuil que l'Église du Pape François nous demande aujourd’hui de franchir. «Nous sommes donc membres d'une même famille et nous devons nous reconnaître comme tels, humains, défendre l'égalité de tous. Nous sommes des croyants qui avons des visions différentes et nous ne devons pas renoncer à notre propre identité, mais nous devons appeler à une plus grande authenticité dans les relations», a expliqué le cardinal Ayuso.
Un regard musulman sur l’encyclique
Le juge Mohamed Mahmoud Abdel Salam, conseiller du Grand-Imam d’Al-Azhar, a apporté le regard de la foi musulmane sur ce texte qu’il a situé dans la filiation du Document d’Abou Dhabi. «La quête de bonheur des nations exige un engagement dont les contours sont difficiles à délimiter en raison des différents niveaux impliqués et à cause des intérêts et des politiques en jeu et des conflits entre les États et les peuples, autant de problématiques qui mettent à dure épreuve les consciences et les volontés, a-t-il reconnu. En partant de ces constatations et grâce à son intuition limpide, le Pape a écrit des paroles claires et courageuses, qui ne craignent que Dieu, parlant de la tragédie vécue par les personnes faibles, épuisées et désespérées et il a prescrit un traitement pour cette maladie incurable qui a frappé à mort notre civilisation moderne.»
Il a expliqué se trouver en accord avec le Pape, «avec beaucoup d’amour et d’enthousiasme», en trouvant dans les mots de cette encyclique «un goût raffiné, une sensibilité incisive et la capacité d’exprimer les thématiques de la Fraternité Humaine d’une manière qui puisse parler au monde entier ; c’est un appel à la concorde adressé à un monde en pleine discorde, c’est un message clair en faveur d’une harmonie individuelle et collective, avec les lois de l’univers, du monde et de la vie. Il s’agit d’une argumentation fondée sur des raisonnements clairs basés sur les vérités applicables concrètement et sur un terrain solide.»
«J’ai lu avec une joie immense la sévère critique du pape à l’égard de ce que nous pourrions appeler “la fin de la conscience de l’histoire”, notamment de la dangereuse brèche culturelle que représente cette théorie, basée sur le démantèlement de l’héritage culturel, et la naissance de générations qui méprisent leur propre patrimoine et leur propre histoire avec toute sa richesse spirituelle», a-t-il précisé. «Le Pape est admirable quand il met en garde les peuples face aux nouvelles formes de colonialisme qui savent habilement manipuler des concepts extrêmement importants et sensibles comme la démocratie, la liberté, la justice et l’unité en les utilisant comme des outils de contrôle, de domination et d’arrogance, en les vidant de leur sens, parfois même pour justifier leur action.»
«Je suis convaincu que cette Encyclique, avec le Document sur la Fraternité Humaine, feront redémarrer le train de l’histoire qui s’est arrêté à la gare de l’ordre mondial, enraciné dans l’irrationalité, avec ses injustices, son orgueil et sa violence coloniale», a-t-il souligné. Il a expliqué qu’avec les autres membres du Comité Supérieur pour la Fraternité humaine, il envisage d’organiser un Forum pour une centaine de jeunes et de dédier à cette encyclique des journées d’étude à Rome, à Abou Dhabi et en Égypte «pour offrir aux participants l’opportunité de réfléchir, étudier et engager une discussion libre et approfondie».
«En cette période cruciale de l’histoire de l’humanité, nous sommes au carrefour entre un monde de fraternité universelle capable de faire le bonheur de l’humanité, et un monde de grande misère qui augmentera la souffrance et les privations des hommes. (…) Il est donc impératif que nous agissions ensemble sur le chemin de la fraternité, de la connaissance réciproque et de la coopération pour atteindre le but de nos objectifs communs : le bien de l’humanité entière. Nous sommes en faveur de l'unification des énergies religieuses pour affronter la discrimination, le racisme et la haine», a souligné ce conseiller du Grand-Imam d’Al-Azhar, en remarquant que «chaque jour, nous voyons des jeunes se rallier autour des principes de fraternité et de coexistence, et nous assistons à une ouverture sans précédent dans les relations entre les fidèles des religions».
L’encyclique, un défi lancé à notre responsabilité sociale
La théologienne Anna Rowlands, spécialiste de la doctrine sociale de l’Église, a expliqué que cette encyclique est «une méditation sociale sur le Bon Samaritain, qui reconnaît en l’amour et en l’attention à l’autre la loi prééminente, et nous propose le modèle d’une amitié sociale créative. Le Pape François nous invite à regarder le monde avec ce regard, de telle sorte que nous arrivions à percevoir la relation fondamentale et indispensable qui existe entre toutes choses et toutes personnes, qu’elles soient proches ou éloignées de nous. Par la simplicité de son appel, "Fratelli tutti" est un redoutable défi lancé à notre mode de vie écologique, politique, économique et social.»
Face aux tentations individualistes et populistes, «l’encyclique affirme clairement le poids de la responsabilité des communautés religieuses. Les groupes religieux sont prisonniers de la culture du numérique et de consommation qui nous nuisent. De manière inexcusable, les chefs religieux ont été lents à condamner les pratiques injustes, tant passées que présentes. Les religions ont, elles aussi, besoin du repentir et d’un renouveau. Mais le message que le Pape François souhaite nous transmettre aujourd’hui est que nous ne devenons pleinement humains que par ce qui nous tire au-delà de nous-mêmes. Ce qui rend cela possible, c'est l’amour divin, ouvert à tous, qui naît, lie, crée des ponts et se renouvelle sans cesse», a-t-elle expliqué.
Une invitation à une quête inlassable de la paix
Enfin, Andrea Riccardi, fondateur de la Communauté de Sant’Egidio, a souligné que dans notre monde contemporain, là où «une désorientation est vécue par tant de fils et de filles de la mondialisation», «Fratelli tutti trace un chemin simple et essentiel pour nous, les désorientés : la fraternité».
Il a concentré son intervention sur «la blessure la plus grave, qui a l’odeur de la mort: la guerre. Dans ces pages, la fraternité se mesure à la guerre. Toutefois, n’est-elle pas trop fragile face à la guerre, cette impitoyable machine de mort et de destruction ? La résignation à la guerre, comme étant un fait nécessaire de l’histoire, s’est développée à partir du sentiment de n’être pas concerné», a regretté Andrea Riccardi.
«Comme le dit l’encyclique, la “perte du sens de l’histoire” tend à se généraliser. La mémoire se perd dans un présentisme égocentrique ou dans des confrontations exacerbées. Le nationalisme, le populisme exaltent la valeur d’un groupe spécifique contre les autres. Pendant ce temps, ces mots importants, véritables phares éclairant l’humanité, ont été vidés de leur sens : fraternité, paix, démocratie, unité…», a-t-il regretté, reconnaissant une certaine désillusion collective après les progrès accomplis à la fin du XXe siècle.
«Nous avons cru que le monde avait tiré les leçons de tant de guerres et d’échecs. Nous avons cru à l’enthousiasme pour un monde de paix après 1989. Au lieu de cela, nous avons régressé dans la conquête de la paix et dans les formes d’intégration entre les États. Les structures de dialogue, qui préviennent les conflits, ont tendance à être discréditées. Ainsi, le monde devient incapable d’empêcher la guerre et laisse ensuite les conflits se poursuivre, s’envenimer pendant des années, voire des décennies, révélant l’impuissance de la communauté internationale», a regretté le fondateur de cette communauté qui s’est spécialisée dans les médiations entre groupes en conflit, notamment en Afrique.
Andrea Riccardi a trouvé dans cette encyclique «non seulement une dénonciation de la guerre, mais aussi l’espoir d’une paix possible». «Les artisans de paix sont des hommes et des femmes de fraternité». Le Pape François propose de véritables rêves au monde globalisé, qui a détruit les balises des mots importants et des grands idéaux. «Je n’en retiens qu’un seul, et pas le plus petit, mais celui dont dépendent tant de choses : la paix», a-t-il martelé, avant de citer ces mots prononcés en 1929 par le prêtre italien Luigi Sturzo, opposant au fascisme et précurseur de la démocratie chrétienne : «Il faut avoir la conviction que la guerre, comme moyen juridique de protection du droit, devra être abolie, tout comme la polygamie, l'esclavage, le servage et la vengeance familiale furent légalement abolis».
«Même après la grisaille du temps de la pandémie, cette encyclique ouvre un horizon rempli d’espoir : celle de devenir tous frères et sœurs. Un rêve se fait jour, pour lequel il faut vivre et se battre, même à mains nues», a conclu Andrea Riccardi.
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