L’Économie de François : pour une conversion du système financier
Marie Duhamel - Cité du Vatican
Comment réduire durablement une pauvreté endémique? Comment offrir aux plus démunis de quoi se nourrir, ou un travail digne? Comment changer le modèle économique actuel pour éviter de nourrir encore les inégalités dans un monde à bout de souffle? Ce vendredi, quelques-uns des 2 000 jeunes et experts qui se sont engagés ces derniers mois à travailler en ligne sur l’économie selon François, ont abordé ces différentes questions lors de six ateliers organisés de manière simultanée en visioconférence.
Les monts-de-piété
Des interventions très denses et techniques entrecoupées d’intermèdes de méditation sur la vie de saint François. Choqué par les inégalités qui l’entourent dans la ville prospère ville d’Assise au XIIIe siècle, le jeune homme aisé décide d’abandonner les richesses de sa famille pour se faire pauvre. D’autres suivirent son exemple.
À la tribune, depuis le palais du Monte Frumentario, un ancien hôpital reconvertit sur l'impulsion de l’Église en une banque prêtant du blé et des semences, des jeunes narrent tour à tour l’expérience de frères mineurs qui au XVe siècle créèrent, inspirés par saint François, les Monts-de-piété, des banques prêtant gratuitement ou à très faibles taux d’intérêt aux plus démunis «pour libérer les pauvres». Avec «ces institutions à but non-lucratif», ils voulaient lutter contre le phénomène d’usure, dévastateur, et réduire les inégalités. «La gratuité donne sa juste valeur à l’argent» explique un jeune. «Quand un pauvre est dans la ville, c’est toute la ville qui est malade», poursuit un autre.
Récompensé en 2006 par le prix Nobel de la Paix pour avoir fondé en 1976 la Grameen Bank, la première institution de microcrédit au monde, Muhammad Yunus, aujourd’hui à la tête d’un think-tank pour éradiquer la pauvreté, a répondu pendant une heure aux interrogations de plusieurs jeunes engagés au sein de The Economy of Francesco. Le débat portait sur la manière dont la finance pourrait «être un chemin vers une écologie intégrale»
Le microcrédit au service de la communauté
L’économiste bangladais a eu des mots très durs contre la «maximisation des profits» sur laquelle repose le système financier actuel, qui relaie le bien des autres ou de la planète au second plan. «La finance a été créée pour faciliter les échanges mais elle s’est fourvoyée en cours de route pour mettre à une minorité de continuer à s’enrichir», a-t-il dénoncé, en soulignant qu'aujourd’hui «1% de la population détient 99% des richesses, cela ne va tout simplement pas». La pandémie a d’ailleurs révélé les faiblesses du système : les personnes vivant en marge, les travailleurs journaliers ont été privés d’accès à la nourriture et aux soins. Il met en garde contre la concurrence entre entreprises et entre pays pour acquérir des vaccins contre la Covid. «C’est, regrette-t-il, l’occasion d’un super profit, et aucune concession ne sera faite pour sauver des vies».
Il faut se méfier des mots. Le système financier actuel est «durable du point de vue des affaires» mais «dangereux» et «suicidaire» pour l’humanité. Entre la pauvreté et le changement climatique, «nous sommes en voie d’extinction !» avertit le prix Nobel de la paix. La pandémie a arrêté «le train qui nous conduit à la mort», mais il semble que le monde ne souhaite pas saisir cette «dernière opportunité». «On veut revenir à ce que l’on connaît déjà», regrette Muhammad Yunus.
Il comprend que l’instinct de survie de l’homme le pousse à penser à ses propres intérêts mais l’homme vit en collectivité et doit penser à la communauté, estime l’économiste. Ainsi, lorsqu’il accordait aux plus pauvres des microcrédits, ce n’était pas de la charité, mais une entreprise sociale visant aussi à résoudre les problèmes de la communauté.
La finance doit servir un monde meilleur
Lors de son intervention, Muhammad Yunus a insisté sur la question de la finalité de la finance, «ce doit être quelque chose de désirable, qui sert le plus grand nombre.» Il estime qu’elle peut aujourd’hui avoir pour objectif de construire un monde sans émissions de gaz à effet de serre, sans chômage et sans concentration des richesses, même si cela passe, reconnaît-il, par une baisse du PIB mondial. Il faut juste trouver les nouvelles routes pour y parvenir.
Lorsqu’il pensa au microcrédit, explique-t-il, il décida de renverser les règles établies. Il ne prêtait pas aux hommes riches des grandes villes, mais aux femmes pauvres des campagnes.
Le changement peut venir de grandes institutions de réglementation, que ce soient les banques centrales ou les États, qui pourraient imposer aux banques d'accorder 50% des crédits aux pauvres pour leur permettre de s’en sortir, sous peine de fermeture… mais lui plaide avant tout pour l’action individuelle. «On peut demander à sa banque quels investissements sont faits à partir du salaire qui lui est confié chaque mois. Si cela ne convient pas à notre ligne éthique, on peut changer de banque», Muhammad Yunus.
«Il faut inverser les valeurs et cela n’est pas impossible» insiste le prix Nobel de la paix qui plaide, comme le Pape François, pour une conversion de la finance afin qu’elle se mette au service du plus grand nombre, et salue l’attention que le Saint-Père porte aux pauvres.
Le génie féminin à l'honneur
Il fut aussi question de microcrédit en fin de journée, lorsque Miriam expliqua le fonctionnement de sa «rescue women foundation» en Ouganda grâce à laquelle de nombreuses femmes ont cessé de mendier pour ouvrir de petites activités et pouvoir nourrir leurs enfants.
Plusieurs initiatives vertueuses ont été mises à l’honneur. Des initiatives notamment féminines, celle d’une adolescente en lutte contre les 70 milliards de sacs plastiques produits chaque année en Thaïlande ou celle d’une jeune femme australienne travaillant pour un urbanisme prenant soin du développement communautaire.
La fin de cette journée était spécifiquement dédiée au génie féminin. «Combien de richesses, l’économie a perdu en excluant les femmes dont les talents ont été confinés à la sphère privée ?» s’interroge un jeune homme. Sont soulignées leurs capacités relationnelles, d’attention à l’autre, de prendre sur elles pour éviter des conflits, de réagir concrètement et avec intelligence dans les situations d’urgence, leur «instinct vital qui les amène à choisir la vie à tout prix».
Depuis la basilique de Saint-Claire, un hommage appuyé a été rendu à la femme qui fut la première à choisir de suivre saint François, rompant à son tour avec sa famille et les codes de son temps pour se vouer à une vie évangélique et contemplative. Avec sainte Claire, «tout se concentre sur la prière, souffle de la vie».
Un jour, le pain vient à manquer. Il n’en reste plus qu’un pour nourrir tant la communauté d’hommes que celle des sœurs, Claire demande alors à son économe de tailler le pain en deux, puis d’en découper 50 tranches dans chaque part. «Claire suivait une logique de gratuité absolue, résume une jeune femme, elle ne s’accapare de rien et fait confiance à la Providence. Dans ses mains, le flux du don de Dieu reste intact (…) C’est ainsi que Claire est le levain d’une économie plus juste et solidaire».
Un marathon de prière
À l'issue de cette seconde journée de débat, un marathon de prière pour les victimes de la pauvreté dans le monde a débuté. Sur la chaîne Youtube de l'événement vous pourrez suivre les initiatives de prières qui se relayeront du Portugal au Brésil, de l'Argentine au Mexique, du Vietnam à plusieurs pays d'Afrique avant de revenir demain en Italie.
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