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Au Vatican, rencontre entre le Pape François et Bartholomée, patriarche oecuménique de Constantinople (2017) Au Vatican, rencontre entre le Pape François et Bartholomée, patriarche oecuménique de Constantinople (2017) 

Marcher sur le même chemin, la synodalité d'un point de vue œcuménique

A l'occasion du 1700e anniversaire du Concile œcuménique de Nicée, le premier de l'histoire de l'Église, l’Osservatore Romano publie une longue réflexion du cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens.

par Kurt Koch*

En route vers un grand anniversaire

Le monde chrétien tout entier se rapproche d'un grand anniversaire. En 2025, nous célébrerons le 1700e anniversaire du premier concile œcuménique de l'histoire de l'Église, qui a eu lieu à Nicée en 325. Il faut tout d'abord rappeler qu'il a été convoqué par un empereur, et plus précisément par l'empereur Constantin. Cela ne peut être compris que dans le contexte historique où, à l'époque, une violente dispute avait éclaté au sein du monde chrétien sur la manière dont la profession de foi chrétienne en Jésus-Christ en tant que Fils de Dieu pouvait être conciliée avec la croyance tout aussi chrétienne en un Dieu unique. Dans ce conflit, l'empereur voit une menace sérieuse à son projet de consolider l'unité de l'Empire sur la base de l'unité de la foi chrétienne. Il voyait la division naissante de l'Église avant tout comme un problème politique, mais il était suffisamment clairvoyant pour comprendre aussi que l'unité de l'Église ne serait pas réalisée par des moyens politiques, mais seulement par des moyens religieux. Soucieux de rapprocher les parties adverses, l'empereur Constantin convoque le premier concile œcuménique dans la ville de Nicée en Asie mineure, près de la métropole de Constantinople qu'il a fondée.

Dans ce contexte historique, la grande importance du premier concile œcuménique devient encore plus évidente. Il a rejeté le modèle d'un monothéisme strictement philosophique prôné par le théologien d’Alexandrie Arius, selon lequel le Christ ne pouvait être “Fils de Dieu” que dans un sens impropre, en opposant ce modèle à la profession de foi en Jésus-Christ, Fils de Dieu, “de même substance que le Père”. Le Credo de Nicée est devenu la base de la foi chrétienne commune, puisqu’il s'est tenu à un moment où la chrétienté n'était pas encore déchirée par les nombreuses divisions qui ont suivi. Ce Credo unit encore aujourd'hui toutes les Églises et communautés ecclésiales chrétiennes, et son importance œcuménique est très grande. En effet, la restauration œcuménique de l'unité de l'Église suppose un accord sur le contenu essentiel de la foi, un accord non seulement entre les Églises et les communautés ecclésiales d'aujourd'hui, mais aussi un accord avec l'Église du passé et, surtout, avec son origine apostolique. Le 1700e anniversaire du Concile de Nicée sera donc une occasion fructueuse de commémorer ce Concile dans la communion œcuménique et de réfléchir de manière renouvelée à sa profession de foi christologique.

La synodalité comme défi œcuménique

Le Concile de Nicée revêt également une grande importance œcuménique d'un autre point de vue. Il raconte la manière dont, dans l'Église, les questions controversées sont discutées et résolues de manière synodale. Le mot l'indique déjà : “synode” est composé des mots grecs hodos (chemin) et syn (avec) et exprime le fait de marcher ensemble sur un chemin. Au sens chrétien, le mot désigne la marche commune des personnes qui croient en Jésus-Christ, qui s'est révélé comme “le chemin”, et plus précisément comme “le chemin, la vérité et la vie” (Jean 14, 6). La religion chrétienne était donc à l'origine appelée “la voie” et les chrétiens, qui suivaient le Christ comme Voie, étaient désignés comme “appartenant à cette Voie” (Actes, 9, 2). Dans ce sens, Jean Chrysostome a expliqué que “église” était un nom «indiquant une voie commune», et que l'église et le synode sont «synonymes» (Explicatio in Ps, 149). Le mot “synodalité” est donc aussi ancien et fondamental que le mot “église”.

Le Concile de Nicée marque donc le début - valable pour l'Église universelle - de la modalité synodale appliquée au processus décisionnel. C'est là une autre conclusion d'une importance fondamentale du point de vue œcuménique, comme le montrent deux importants documents récents: il y a quelques années, la Commission Foi et Constitution du Conseil œcuménique des Églises a publié l'étude L'Église en marche vers une vision commune, qui propose une vision multilatérale et œcuménique de la nature, du but et de la mission de l'Église. Cette étude contient la déclaration ecclésiologique commune suivante dans une perspective œcuménique : «Sous la conduite de l’Esprit Saint, l’Église tout entière est synodale/conciliaire, à tous les niveaux de la vie ecclésiale: local, régional et universel. La qualité de synodalité ou conciliarité reflète le mystère de la vie trinitaire de Dieu, et les structures de l’Église expriment cette qualité de façon à actualiser la vie de la communauté en tant que communion» (n. 53). Ce point de vue est également partagé par la Commission théologique internationale dans son document Synodalité dans la vie et la mission de l'Église. Le texte affirme avec joie que le dialogue œcuménique a progressé au point qu'il est possible de reconnaître dans la synodalité «une dimension révélatrice de la nature de l'Église», convergeant vers la «notion d'Église comme koinonia, qui se réalise dans chaque Église locale et dans sa relation avec les autres Églises, à travers des structures et des processus synodaux spécifiques» (n. 116).

Écouter le Saint-Esprit de manière synodale

Dans cet esprit œcuménique, le Pape François se prononce aussi fortement en faveur de la promotion des procédures synodales dans l'Église catholique. Il est convaincu que suivre fermement le chemin de la synodalité et l'approfondir est «le chemin que Dieu attend de l'Église du troisième millénaire» (Discours pour le 50e anniversaire de l'institution du Synode des évêques, 17 octobre 2015). Mais avant tout, le Saint-Père ne s'intéresse pas tant aux structures et aux institutions qu'à la dimension spirituelle de la synodalité, dans laquelle le rôle de l'Esprit Saint et son écoute commune sont d'une importance fondamentale: «écoutons, discutons en groupe, mais surtout prêtons attention à ce que l'Esprit nous dit». (Un temps pour changer, page 97). De cette forte insistance spirituelle, nous comprenons également la différence entre synodalité et parlementarisme démocratique, que le Pape François souligne avec insistance. Alors que le processus démocratique sert principalement à déterminer les majorités, la synodalité est un événement spirituel qui vise à obtenir une unanimité durable et convaincante sur le chemin du discernement, dans les convictions de foi et dans les modes de vie conséquents des chrétiens individuels et de la communauté de l'Église. Le synode, par conséquent, «n'est pas un parlement où, pour parvenir à un consensus ou à un accord commun, nous avons recours à la négociation, au marchandage ou au compromis, mais la seule méthode du synode est celle de s'ouvrir à l'Esprit Saint, avec un courage apostolique, avec une humilité évangélique et avec une prière confiante ; afin qu'Il nous guide». (Introduction au Synode sur la famille, 5 octobre 2015).

De ce qui vient d'être dit, il est facile de comprendre que pour le Pape François, il est prioritaire d'approfondir l'idée de la synodalité comme structure fondamentale et essentielle de l'Église catholique : «être Église, c'est être une communauté qui marche ensemble. Il ne suffit pas d'avoir un synode, il faut être un synode. L'Église a besoin d'un partage interne intense: un dialogue vivant entre les pasteurs et entre les pasteurs et les fidèles» (Discours aux prélats de l'Église gréco-catholique ukrainienne, 5 juillet 2019). Il en ressort aussi sans équivoque que la synodalité n'est pas opposée à la structure hiérarchique de l'Église, mais que la synodalité et la hiérarchie s'exigent et se promeuvent mutuellement. «La synodalité, en tant que dimension constitutive de l'Église, nous offre le cadre d’interprétation le plus adapté pour comprendre le ministère hiérarchique lui-même», en ce sens que «ceux qui exercent l'autorité sont appelés ministres: parce que, selon le sens originel du mot, ils sont les plus petits entre tous» (Discours pour le 50e anniversaire de l'institution du Synode des évêques, 17 octobre 2015). Pour le Pape François, cela s'applique aussi et surtout à la primauté pétrinienne elle-même, qui peut trouver son expression la plus claire dans une Église synodale : «Le Pape ne se trouve pas, tout seul, au-dessus de l’Église, mais en elle comme baptisé parmi les baptisés et dans le Collège épiscopal comme évêque parmi les évêques, appelé en même temps – comme Successeur de l’apôtre Pierre – à guider l’Église de Rome qui préside dans l’amour toutes les Églises» (ibid.)

Ainsi, la dimension œcuménique de la synodalité de l'Église aux yeux du pape François est-elle également évidente. Pour le Saint-Père, «l'examen attentif de la manière dont le principe de la synodalité et le service de celui qui préside» s'articulent dans la vie de l'Église est une contribution significative à la réconciliation œcuménique entre les Églises chrétiennes (Discours à la délégation œcuménique du Patriarcat de Constantinople, 27 juin 2015). Les efforts théologiques et pastoraux pour construire une Église synodale ont un effet profond sur l'œcuménisme, comme le souligne le Pape François avec le principe de base du dialogue œcuménique, qui consiste en l'échange de dons, grâce auquel nous pouvons apprendre les uns des autres. Cet échange vise avant tout à accueillir ce que l'Esprit Saint a semé dans les autres Églises «comme un don pour nous aussi». En ce sens, le Pape François note que nous, catholiques, en dialogue avec nos frères orthodoxes, avons la possibilité «d'en apprendre davantage sur le sens de la collégialité épiscopale et sur leur expérience de la synodalité» (Evangelii gaudium, n° 246). Étant donné que cela concerne le thème central du dialogue catholique-orthodoxe, il est utile de clarifier davantage la dimension œcuménique de la synodalité sur la base de cet important dialogue.

Synodalité et primauté dans le dialogue catholique-orthodoxe

Dans ce dialogue, un pas important a été franchi lors de l'assemblée plénière de la Commission mixte internationale tenue à Ravenne en 2007, où le document Conséquences ecclésiologiques et canoniques de la nature sacramentelle de l'Église a été approuvé. La communion ecclésiale, la conciliarité et l'autorité. Dans ce document, les termes “conciliarité” et “autorité”, “synodalité” et “primauté” sont clarifiés du point de vue théologique. Il est ensuite montré que la synodalité et la primauté sont mises en œuvre aux trois niveaux fondamentaux de la vie de l'Église, c'est-à-dire au niveau local, concernant l'Église locale, au niveau régional, concernant les différentes Églises locales proches les unes des autres, et au niveau universel, concernant l'Église qui s'étend au monde entier et inclut toutes les Églises locales. Dans un autre passage, il est souligné que la synodalité et la primauté sont interdépendantes à tous les niveaux de la vie de l'Église, en ce sens que la primauté doit toujours être comprise et réalisée dans le cadre de la synodalité et la synodalité dans le cadre de la primauté. Cela signifie concrètement qu'il doit y avoir un protos, une kephale, c'est-à-dire une tête, à tous les niveaux : au niveau local, l'évêque est le protos de son diocèse par rapport aux prêtres et à tout le peuple de Dieu; au niveau régional, le métropolitain est le protos par rapport aux évêques de sa province; au niveau universel, l'évêque de Rome est le protos par rapport à la multitude des Églises locales, tandis que dans les Églises orthodoxes, le patriarche œcuménique de Constantinople a un rôle analogue. Dans sa conclusion, le document exprime la conviction de la Commission, confiante que les réflexions présentées sur le thème de la communion ecclésiale, de la conciliarité et de l'autorité de l'Eglise sont «un progrès positif et significatif dans notre dialogue», et «une base solide pour la discussion future sur la question de la primauté au niveau universel de l'Eglise» (n. 46).

Le fait que les deux partenaires du dialogue aient pu déclarer ensemble pour la première fois que l'Église est structurée de manière synodale à tous les niveaux et donc aussi au niveau universel, et qu'elle a besoin d'un protos, est un jalon important dans le dialogue catholico-orthodoxe. Pour que cette étape prometteuse conduise à un avenir solide, la relation entre la synodalité et la primauté devra être explorée plus avant dans le cadre du dialogue œcuménique. Il ne s'agit pas de trouver un compromis sur le plus petit dénominateur commun. Il faudra plutôt mettre en dialogue les forces respectives des deux communautés ecclésiales, comme l'a souligné succinctement le groupe de travail orthodoxe-catholique Saint Irénée dans son étude Au service de la communauté: «les Églises doivent s'efforcer avant tout de parvenir à un meilleur équilibre entre synodalité et primauté à tous les niveaux de la vie ecclésiale, par le renforcement des structures synodales dans l'Église catholique et par l'acceptation par l'Église orthodoxe d'un certain type de primauté au sein de la communion mondiale des Églises» (n. 17, 7).

Réconciliation œcuménique entre synodalité et primauté

Il doit y avoir une volonté d'apprendre des deux côtés. D'une part, l'Église catholique doit reconnaître que dans sa vie et ses structures ecclésiales, elle n'a pas encore développé le degré de synodalité qui serait théologiquement possible et nécessaire, et qu'un lien crédible entre le principe hiérarchique et le principe synodal-communautaire favoriserait l'avancement du dialogue œcuménique avec l'orthodoxie. Le renforcement de la synodalité doit sans aucun doute être considéré comme la contribution la plus importante que l'Église catholique puisse apporter à la reconnaissance œcuménique de la primauté.

Il y a notamment un besoin de rattrapage au niveau régional. Ce niveau est bien développé dans les Églises orthodoxes, dans la mesure où les métropolites continuent à exercer cette tâche importante qu'ils avaient déjà dans les premiers siècles et par rapport à laquelle des décisions importantes ont été prises au premier concile œcuménique de Nicée en 325 et au quatrième concile œcuménique de Chalcédoine en 451. Il convient également de rappeler à cet égard le célèbre Canon apostolique 34 qui, reconnu par l'Église primitive tant en Orient qu'en Occident, régit les relations entre les Églises locales d'une région et se caractérise par un équilibre délicat entre synodalité et primauté : «les évêques de chaque province doivent reconnaître celui qui est le premier d'entre eux, le considérer comme leur chef et ne rien faire d'important sans son consentement; chaque évêque ne peut faire que ce qui concerne son diocèse et les territoires qui en dépendent. Mais les premiers ne peuvent rien faire sans le consentement de tous. Car ainsi la concorde prévaudra, et Dieu sera loué par le Seigneur dans l'Esprit Saint». L'Église catholique a beaucoup à récupérer au niveau régional des provinces ecclésiastiques et des régions ecclésiastiques, des conseils particuliers et des conférences épiscopales, comme l'observe le Pape François : «nous devons réfléchir pour accomplir encore davantage, à travers ces organismes, les instances intermédiaires de la collégialité, peut-être en intégrant et en mettant à jour certains aspects de l’ancienne organisation ecclésiastique» (Discours pour le 50e anniversaire de l'institution du Synode des évêques, 17 octobre 2015).

De la part des Églises orthodoxes, nous pouvons au contraire nous attendre à ce que, dans le cadre du dialogue œcuménique, elles en viennent à reconnaître que la primauté au niveau universel est non seulement possible et théologiquement légitime, mais aussi nécessaire. Les tensions intra-orthodoxes, qui ont fait surface de manière particulièrement évidente lors du Saint et Grand Synode de Crète en 2016, devraient nous faire prendre conscience de la nécessité d'envisager un ministère de l'unité également au niveau universel de l'Église, qui ne devrait évidemment pas se limiter à une simple primauté honorifique, mais devrait également inclure des éléments juridiques. Une telle primauté ne contredirait en rien l'ecclésiologie eucharistique, mais serait compatible avec elle, comme le mentionne souvent le théologien orthodoxe et métropolite Jean D. Zizioulas.

La nature eucharistique de la synodalité et de la primauté

Nous, catholiques, considérons la primauté de l'évêque de Rome comme un don du Seigneur à son Église et, par conséquent, comme une offrande à toute la chrétienté sur le chemin de la redécouverte de l'unité et de la vie dans l'unité. Pour pouvoir le démontrer de manière crédible, nous devrions insister davantage sur le fait que la primauté de l'évêque de Rome n'est pas simplement un appendice juridique et encore moins un ajout extérieur à l'ecclésiologie eucharistique, mais qu'elle est précisément fondée sur elle. L'Église, qui se conçoit comme un réseau mondial de communautés eucharistiques, a besoin d'un puissant service à l'unité, également au niveau universel. La primauté de l'évêque de Rome, comme l'a explicitement souligné le Pape Benoît XVI, ne doit finalement être comprise qu'à partir de l'Eucharistie, et plus précisément comme une primauté de l'amour au sens eucharistique, une primauté qui, dans l'Église, vise à une unité capable de réaliser la communion eucharistique et d'empêcher de manière crédible qu'un autel ne soit opposé à un autre.

Il est donc évident que la primauté et la synodalité ont toutes deux une nature profondément liturgico-eucharistique. Le fait que l'Église en tant que synode vit surtout là où les chrétiens se rassemblent pour célébrer l'Eucharistie montre que la nature la plus profonde de l'Église en tant que synode est la syntaxe eucharistique, comme le souligne à juste titre la Commission théologique internationale: «le cheminement synodal de l'Église est façonné et nourri par l'Eucharistie» (n. 47). La synodalité a sa source et son point culminant dans la participation consciente et active à la synaxis eucharistique et présente donc une dimension spirituelle fondamentale. Cela se manifeste encore aujourd'hui dans le fait que les assemblées synodales telles que les conciles et les synodes des évêques s'ouvrent généralement par la célébration de l'Eucharistie et l'intronisation de l'Évangile, comme cela était déjà prescrit dans le passé, des conciles de Tolède au VIe siècle au cérémonial des évêques en 1984.

La tradition synodale du christianisme constitue un riche héritage qu'il convient de revitaliser. Un signe éloquent est la décision prise par le pape François de consacrer l'assemblée générale ordinaire du Synode des évêques en 2022 précisément au thème de la synodalité : “Pour une Église synodale : communion, participation et mission”. Ce synode ne sera pas seulement un événement important dans l'Église catholique, mais il contiendra un message œcuménique significatif, car la synodalité est une question qui fait aussi bouger l'œcuménisme, et le fait en profondeur.

*Cardinal Président du Conseil pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens.

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18 janvier 2021, 17:54