Vœux du Pape au corps diplomatique: la réaction de l'ambassadrice de France
Cyprien Viet - Cité du Vatican
Dans cet ample discours, le Saint-Père a passé en revue les thèmes de l’actualité internationale, à commencer par la pandémie de coronavirus qui a bouleversé la planète entière depuis près d’un an maintenant. François s’est montré attentif aux conséquences sanitaires, politiques, sociales, économiques et écologiques de la pandémie, soulignant l'importance de certains aspects collatéraux comme la montée des violences conjugales et le désarroi de la jeunesse, victime d’une «catastrophe éducative» avec la fermeture des écoles et des universités.
En ce début d’année 2021 qui marque le 100e anniversaire de la reprise des relations entre la République française et le Saint-Siège, nous avons interrogé l’ambassadrice de France près le Saint-Siège, Élisabeth Beton-Delègue. Elle nous a livré ses impressions quelques instants après l’allocution du Pape François.
Cela a été un exposé extrêmement complet et construit sur la pandémie dans ses différentes dimensions, puisque le Pape a mentionné quatre crises : la crise sanitaire, la crise économique et sociale, la crise politique et la crise environnementale. Donc on a eu une vision globale. Moi j’ai retenu notamment l’appel à annuler ou au moins à réduire la dette, par exemple. Évidemment l’accès au vaccin pour tous. Et sur l’analyse de la crise économique et sociale, il était intéressant de noter qu’il a évidemment parlé des plus vulnérables, mais il a parlé aussi des petites et moyennes entreprises, donc on avait une vision, un panorama assez large sur l’économie. Et sur la crise environnementale, on connaît parfaitement les positions du Pape et cela renvoie à Laudato Si’.
Le Pape l’a rappelé : la pandémie a accéléré la fragmentation politique du monde, même à l’intérieur de pays qui ont une longue tradition démocratique. Dans ce panorama incertain, le Saint-Siège est-il un facteur de temporisation et de modération, aussi du point de vue des diplomates?
Moi, ce qui m’a frappée dans ce discours, c’est la référence à l’Europe. Une référence appuyée, deux fois de suite, et positive : il a fait valoir les pas importants qui avaient été faits avec la solidarité qui s’est exprimée concrètement dans la mise en place du Recovery Fund. C’est très important, car je crois que quand on dit Europe, on dit aussi espace démocratique, donc dans ce message sur les dangers de la fracturation à l’œuvre, moi j’ai vu aussi la reconnaissance, en parlant de l’Europe, que malgré nos faiblesses et nos difficultés, nous étions un espace qui essayait d’avancer main dans la main, et que nous l’avions prouvé, à charge pour nous bien sûr de le faire durer, avec une solidarité interne comme externe.
Donc cette promotion du multilatéralisme, au niveau de l’Union européenne comme au niveau de l’ONU, c’est un point de convergence entre la France et le Saint-Siège?
Le multilatéralisme et la défense des droits de l’Homme ont toujours été des points de convergence, l’autre point étant bien sûr celui aujourd’hui de toute la lutte contre le changement climatique, mais là aussi dans le cadre de coalitions larges. N’oublions pas que nous avions beaucoup œuvré pour la signature des Accords de Paris, c’est une négociation qui a été menée sous l’égide de la France et nous serons très actifs aussi pour la COP26, pour relancer cette dynamique. Donc le multilatéralisme, c’est par définition l’endroit où on peut lutter pour la paix, et l’endroit où on peut aussi considérer les petits États et sortir d’une relation de rapports de force, qui a été ce que nous venons de connaître les années précédentes. Le retour au multilatéralisme, c’est l’endroit où l’on peut à la fois parler des problèmes globaux, qui sont ceux d’un monde interdépendant - et tout le monde est d’accord pour reconnaître cette dominante de ce siècle - mais aussi les traités sur des modes de régulation où les petits, les moins puissants, ne soient pas systématiquement pris en otage par des rapports de force.
Le Pape a aussi évoqué plusieurs conflits en cours, notamment au Sahel, en Centrafrique et en Syrie. Quels sont les points de contact, les convergences possibles entre la France et le Saint-Siège sur ces dossiers?
L’Irak, la Syrie sont des pays bien évidemment avec lesquels nous avons une histoire commune. Moi je voudrais insister sur le soutien aux chrétiens d’Orient, que l’État français apporte, en liaison notamment avec l’Œuvre d’Orient, aux écoles. Le Pape a mentionné aussi les risques d’un désastre éducatif, c’est très important. Et, d’une façon générale, sur la situation de guerre en Syrie, je crois que le Pape a mis toute la force de son énergie sur une situation qui est en partie inextricable dans un pays qui est traversé par des influences dont les chrétiens font les frais, mais aussi les habitants en général, puisqu'on est vraiment dans une fragmentation visible et qui dure. Le message du Pape, c’est de dire: «Ne laissez pas les Syriens tout seuls».
Je voudrais conclure sur un autre thème abordé par le Pape, peut-être plus inattendu dans un cadre diplomatique: c’est la question des violences conjugales. Le Pape a évoqué le drame notamment vécu par de nombreuses femmes et de nombreux enfants dans le contexte du confinement. La paix effectivement se joue aussi dans l’intimité des familles, et pas seulement au niveau des États. Alors comment la promotion de la femme peut-elle être un facteur de développement pour sortir de cette fracturation dont on parle souvent, et est-ce que le Vatican est un interlocuteur aussi pour porter en avant ce thème de la promotion et du respect de la femme?
Je crois qu’avec le Pape François il y a effectivement ce thème de l’attention portée aux femmes, sous différents angles. Il y a celui des violences, qui est assez récurrent puisqu'il vient de faire une vidéo de prière sur les violences faites aux femmes. C’est un premier point, et évidemment cela a une résonance particulière pour nous qui avons une diplomatie dite "féministe", avec un engagement pris par le président de la République sur la parité, pour ce qui nous concerne nous, en France, donc tout ça est parfaitement. aligné. Et nous avons dans la coopération et la politique de développement que nous menons, une obligation de toujours faire attention aux femmes en tant qu’actrices de développement.
Ensuite il y a une deuxième chose. Dans ce monde si compliqué, si rempli d’égo et de coups de menton, la femme est plutôt un pont. Sur une bonne partie de la planète, c’est elle qui porte la responsabilité de la famille, c’est elle qui porte la responsabilité des enfants, et donc à ce titre-là c’est elle qui a les pieds sur terre. Et quand on a les pieds sur terre, qu’on a des difficultés, qu’on les partage avec des femmes de l’autre côté de la frontière, de l’autre côté des barbelés, les femmes sont un élément fondamental dans la recherche de toute cette «amitié sociale» dont parle le Pape, qui va de l’amitié entre les voisins, jusqu’à l’amitié entre les nations. C’est d’ailleurs un sujet de réflexion, la participation des femmes aux processus de paix. C’est un sujet de droit international, qui est un vrai sujet.
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