Le dicastère pour le Dialogue interreligieux
Benedetta Capelli - Cité du Vatican
«Un petit groupe au service des trois quarts de l'humanité». La boutade du cardinal Arinze, qui capte une vérité, est retenue avec gourmandise et affection dans les salles du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. Cette institution constitue un groupe hétérogène et multiculturel, dont le budget de mission fait partie du budget de 21 millions alloué cette année à une trentaine d'institutions du Vatican, et dont l'engagement est de promouvoir des relations fraternelles et amicales avec les personnes de diverses traditions religieuses.
Ce livre a été ouvert il y a 60 ans par le Concile Vatican II, et il a atteint, avec le magistère du Pape François, le chapitre de la fraternité humaine. Le cardinal Miguel Ángel Ayuso Guixot dirige le dicastère depuis deux ans et demi, à la suite du cardinal français Jean-Louis Tauran (1943-2018). Le cardinal espagnol, qui fut missionnaire en Égypte et au Soudan avant d’être appelé au service du Saint-Siège, rappelle que ce type de dialogue nécessite un dévouement et une attention constants, où l'expression de la propre identité ne doit pas alimenter les préjugés.
"Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux": le nom du dicastère résume à l'extrême une vaste mission, qui, surtout avec le Pape François, est en train de devenir l'une des priorités de l'Église, comme en témoignent ses derniers voyages internationaux, d'Abou Dhabi en février 2019 à celui qui vient de s'achever en Irak, sous le signe de la «fraternité humaine». Quel engagement et quelle responsabilité cela implique-t-il pour vous?
Je voudrais tout d'abord dire quelques mots sur l'histoire du Dicastère qui, en tant que Secrétariat pour les non-chrétiens, a été créé par le Pape Paul VI, le 19 mai 1964, avec le Bref Progrediente Concilio, avant la promulgation de la Déclaration conciliaire Nostra Aetate (1965) et la clôture du Concile Vatican II. Déjà à l'époque, le besoin se faisait sentir, dirait le Pape François, d'une Église en sortie qui dialoguerait avec le monde, en particulier avec les membres d'autres traditions religieuses.
Depuis lors, près de 60 ans se sont écoulés, le dialogue interreligieux promu par l'Église catholique, tout en rencontrant des difficultés et des incompréhensions, n'a jamais cessé. En 1988, conformément à la Constitution Apostolique Pastor Bonus, le Secrétariat est devenu ce qu'il est encore aujourd'hui : le Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux (PCDI). Le nouveau nom du dicastère privilégie une idée plus inclusive du dialogue avec les personnes de différentes traditions religieuses.
Le dicastère est au service de l'Église dans sa vaste mission de dialogue, et ce en collaboration avec les évêques des Églises locales, notamment à travers les Commissions épiscopales pour le dialogue interreligieux. De nombreux membres de notre dicastère sont en fait les présidents de ces commissions. Même si une activité de dialogue est promue par le dicastère, nous avons toujours le souci d'impliquer à la fois l'Église locale et la Représentation pontificale.
Depuis sa création, le travail du dicastère s'est considérablement étendu, mais il est aussi devenu plus précis. Nous avons eu de nombreuses occasions de rencontrer des personnes issues de diverses traditions religieuses. Ces rencontres ont donné lieu à des initiatives structurées de dialogue et de collaboration avec diverses institutions, tant multireligieuses qu'appartenant à une seule religion. Je me souviens de notre tradition d'envoyer des messages de bons vœux, comme ceux adressés aux musulmans pour le mois de Ramadan, aux bouddhistes pour la fête de Vesakh ou Hanamatsuri, aux hindous pour la fête de Deepavali, aux communautés jaïnes à l'occasion de Mahavir Jayanti, et aux communautés sikhes à l'occasion de Prakash Diwas.
Je voudrais également souligner la dimension œcuménique du dialogue interreligieux. En effet, le Conseil pontifical entretient depuis de nombreuses années des relations constantes avec le Bureau similaire pour le dialogue interreligieux du Conseil œcuménique des Églises et collabore avec lui dans des initiatives d'étude et de promotion du dialogue. Être unis dans le dialogue, ou du moins un peu moins divisés, est un témoignage nécessaire.
L'impulsion donnée par les Pontifes, avec pour conséquence un plus grand engagement de la part du dicastère, n'a bien sûr pas manqué. Je ne citerai qu'un seul exemple : la Journée de prière pour la paix, voulue en 1986 à Assise par saint Jean-Paul II, qui a marqué une étape importante dans le dialogue interreligieux, comme l'a été ensuite le Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune, signé le 4 février 2019 à Abou Dhabi par le Pape François et l'imam Al-Tayyeb, et l'encyclique Fratelli tutti de 2020.
Le Pape François, qui, à la suite de ses prédécesseurs, a lui-même promu le dialogue en de nombreuses occasions, nous encourage aujourd'hui à poursuivre le chemin de la fraternité avec toutes les personnes de bonne volonté. Pour ma part, et au nom du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, je peux dire que nous serons très attentifs à définir les mesures concrètes à prendre pour que les thèmes de la fraternité et de l'amitié sociale deviennent de plus en plus un champ de discussion et d'action entre les membres des différentes traditions religieuses.
Sans renoncer à notre identité ni recourir à un irénisme facile, nous devons affirmer avec force et courage la nécessité de mettre de côté les préjugés, les hésitations et les difficultés pour construire une société fraternelle.
Le dialogue avec l'islam en particulier est aujourd'hui crucial, à tel point que le Conseil Pontifical a une commission spécifique pour s'en occuper. Quelle est la situation actuelle et quelles sont les perspectives d'avenir?
Le 22 octobre 1974, par la volonté du pape Paul VI, la Commission pour les relations religieuses avec les musulmans a été créée pour promouvoir et stimuler les relations religieuses entre musulmans et catholiques. Il s'agit d'un organisme distinct mais lié au Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. Elle dispose de ses propres consulteurs dont la tâche est de promouvoir les relations religieuses entre chrétiens et musulmans et d'étudier et d'explorer divers sujets liés au dialogue islamo-chrétien.
Le Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux a toujours cherché à établir des relations régulières avec les institutions et organisations musulmanes afin de favoriser la connaissance et la confiance mutuelles, l'amitié et la coopération. En fait, des accords ont été conclus avec diverses institutions, tant sunnites que chiites, basées dans des pays islamiques ou à majorité musulmane, afin d'assurer la possibilité de réunions régulières, selon des programmes et des procédures convenus par les parties.
Par souci de concision, je ne vais pas énumérer les différents entretiens que nous avons eus. Ils sont en effet nombreux. Le Pape François a fourni l'exemple et un matériel abondant pour consolider et élargir le dialogue islamo-chrétien. J'ai déjà mentionné le Document sur la fraternité humaine et l'encyclique Fratelli tutti.
En 2019, le pape a visité deux pays, les Émirats arabes unis et le Maroc, où l'islam est fortement majoritaire. Enfin, du 5 au 8 mars de cette année, lors du récent voyage apostolique en Irak, il y a eu deux moments marquants du point de vue du dialogue avec l'islam. La visite de courtoisie au Grand Ayatollah Sayyid Ali Al-Husayni Al-Sistani, l'une des personnalités les plus symboliques et significatives du monde chiite, et la prière interreligieuse à Ur, sont allées précisément dans le sens de la construction de la fraternité entre chrétiens et musulmans.
Tout cela pour dire qu'il y a un chemin déjà commencé avec nos frères et sœurs musulmans qui a trouvé un nouveau souffle et qui se reflétera certainement dans les futures activités de dialogue du Dicastère.
Enfin, je tiens à rappeler qu'en août 2019, le Haut Comité de la fraternité humaine, dont je suis membre, a été créé pour diffuser et mettre en œuvre les valeurs contenues dans le Document sur la fraternité humaine. L'un de ses fruits a été la proclamation par l'ONU de la Journée internationale de la fraternité humaine, qui sera célébrée le 4 février de chaque année.
D'un point de vue "démographique", le bouddhisme, l'hindouisme et les autres religions asiatiques ne peuvent être ignorés.
Les relations avec les représentants des différentes écoles et organisations bouddhistes continuent à se développer et à s'enrichir au fil des rencontres et des visites. Des entretiens entre chrétiens et bouddhistes ont lieu régulièrement depuis 1995. Le Dicastère participe régulièrement au Sommet des Religions qui, depuis 1987, suite à la journée de prière pour la paix de 1986 à Assise, a lieu chaque année au Mont Hiei (Kyoto), centre historique du bouddhisme Tendai. Les rencontres avec les représentants du mouvement bouddhiste laïc Rissho Kosei-kai, avec lequel nous entretenons des relations cordiales depuis l'époque de Vatican II, sont fréquentes.
Le dicastère a également organisé deux colloques chrétiens-taoïstes, tandis que des représentants du confucianisme ont été invités à participer à des événements multireligieux organisés par le dicastère. Les occasions de rencontres de dialogue avec les adeptes du shintoïsme ne manquent pas.
Le Conseil pontifical a depuis longtemps de nombreux contacts avec les représentants de diverses organisations hindoues et continue à établir des relations formelles avec eux. Nous avons eu plusieurs réunions en Inde, aux États-Unis, en Italie. Nous avons une très bonne coopération avec les représentants du jaïnisme, en particulier avec l'Institut de jaïnologie basé à Londres.
Avec la communauté sikhe également, la coopération et le dialogue se sont intensifiés ces dernières années, tant en Inde qu'avec les sikhs de la diaspora. Toutes ces traditions religieuses sont sans aucun doute ouvertes au dialogue avec l'Église catholique. Ces dernières années surtout, un intérêt commun s'est manifesté pour des questions plus sociales telles que la paix, l'environnement, les migrations, etc. Je rappelle également qu'en 2019, à l'occasion du voyage apostolique, le Pape François a proposé le thème de la fraternité humaine à des pays comme la Thaïlande et le Japon.
La mission du Conseil pontifical vous a presque naturellement amené à voyager beaucoup dans le monde pour tisser des relations personnelles et créer des liens durables. Maintenant, avec la pandémie, la planète s'habitue au mode de rencontre "en ligne". L'économie financière est-elle proportionnelle au sacrifice, ou risquez-vous de perdre quelque chose ?
Comme tout le reste, les restrictions auxquelles nous devons faire face en raison de la pandémie ont des aspects négatifs et positifs. Toute l'activité du Conseil pontifical est axée sur le témoignage et la diffusion de la rencontre, tant au niveau institutionnel qu'à travers l'amitié personnelle faite de proximité, de participation et de proximité. C'est un dicastère qui est résolument tourné vers l'extérieur. Nous avons donc dû renoncer à beaucoup de choses. En effet, rien ne peut remplacer les rencontres directes et personnelles et la possibilité de partager son temps avec les autres en présence et non virtuellement.
Cependant, l'expérience que nous vivons depuis plus d'un an nous a sans doute permis d'économiser de l'argent, mais je voudrais dire qu'elle nous a aussi donné la possibilité, grâce au mode webinaire, de participer à de nombreuses vidéoconférences sur le dialogue interreligieux, probablement beaucoup plus que ce que nous aurions pu faire en présence. Il a également été possible, grâce aux vidéoconférences, d'augmenter le nombre de participants. Je répète cependant que le mode "virtuel", bien que moins cher, n'a évidemment pas la même valeur que la rencontre personnelle. C'est pourquoi, avec les précautions nécessaires et en respectant toutes les mesures, nous essaierons de revenir progressivement à la conduite du dialogue en mode traditionnel, tout en continuant à utiliser le mode en ligne là où c'est possible, pour les raisons exposées ci-dessus.
Essayons de faire une carte d’identité de la communauté du dicastère. Combien de personnes sont impliquées et d'où viennent-elles? Quels sont les domaines de travail et les compétences requises?
Permettez-moi de répondre à cette question par les mots de mon prédécesseur, le cardinal Francis Arinze, qui, lorsqu'on lui a demandé comment fonctionne le dicastère, a répondu: «nous sommes un petit groupe au service des trois quarts de l'humanité». C'est encore le cas aujourd'hui. Nous sommes un petit dicastère, 14 personnes en tout, dont cinq femmes, de nationalités et d'origines diverses, laïcs, prêtres et religieux, engagés dans différents secteurs : Islam, religions d'Asie et d'Afrique, nouveaux mouvements religieux… Selon la Constitution aposstolique Pastor Bonus (paragraphe 159), «le Conseil favorise et règle les relations avec les membres et les groupes de religions qui ne sont pas comprises sous le nom de chrétien et aussi avec ceux qui, de quelque manière que ce soit, sont dotés du sens religieux». En tout état de cause, je tiens à rappeler que le dicastère n'a aucune compétence en matière de dialogue avec le judaïsme (qui relève de l’œcuménisme, et donc du Conseil pontifical pour la Promotion de l’Unité des chrétiens, ndr).
Les fonctionnaires responsables des différents secteurs disposent de personnel technique et administratif. Il faut dire que tout le personnel est très disposé à partager son travail car il est souvent nécessaire de se donner un coup de main en raison des nombreux engagements et demandes qui arrivent. Nous sommes une petite famille diversifiée et travailleuse. Il est évident que les compétences varient en fonction du poste : formation académique dans les différentes traditions religieuses, connaissance de diverses langues, expertise dans des domaines plus techniques tels que les archives, l'administration et, compte tenu des besoins actuels, l'informatique. Je tiens à souligner que le Dicastère dispose de son propre site Internet (www.pcinterreligious.org) qui propose des informations, des documents, des extraits des discours du Pape et des Supérieurs du PCDI, ainsi qu'un téléchargement de notre publication, le Bulletin Pro Dialogue.
Quels sont les "postes" qui nécessitent le plus de ressources financières et comment le budget économique du dicastère reflète-t-il sa mission particulière ?
L'activité institutionnelle du dicastère, entièrement financée par l'Administration du Patrimoine du Siège Apostolique, visant à promouvoir le dialogue interreligieux, se réalise principalement à travers l'organisation de voyages, de congrès, de conférences et de colloques, tant à Rome qu'à l'étranger, avec la participation de personnes provenant de toutes les parties du monde. Les ressources financières disponibles sont donc principalement utilisées à ces fins.
En raison de la pandémie, de mars 2020 à aujourd'hui, les dépenses financières ont évidemment été fortement réduites. Les ressources financières du Dicastère ont été utilisées notamment pour la publication de livres, de recueils d'actes de colloques et la mise à niveau du parc informatique du Dicastère.
L'action du Dicastère en faveur du dialogue interreligieux est également menée à travers la Fondation Nostra Aetate - Bourses d'études, fondée en 1990, dotée d'une personnalité juridique canonique publique et civile dans l'État de la Cité du Vatican et dont le siège se trouve dans le dicastère lui-même. La Fondation accorde des bourses d'études à des jeunes d'autres religions, résidant dans des pays étrangers, qui souhaitent approfondir leur connaissance du christianisme dans les institutions académiques pontificales de Rome.
Une fois leurs études terminées, ceux qui ont bénéficié des bourses retournent dans leur pays pour faire connaître le christianisme en s'engageant dans des activités qui concernent le dialogue interreligieux. La Fondation accorde également des subventions pour soutenir des initiatives locales visant à promouvoir le dialogue interconfessionnel. D'un point de vue économique, la Fondation est autonome et s'autofinance.
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