Le cardinal Turkson s’indigne des dérives de la pêche industrielle
Cyprien Viet – Cité du Vatican
«Quand on parle de pêche et de pêcheurs, c’est un peu comme si l’on s’aventurait dans une mer vaste et profonde, comme celle sur laquelle les bateaux de pêche de toutes formes et dimensions, avec à leur bord des pêcheurs de toutes ethnies et nationalités, naviguent sans relâche, en cherchant à remplir leurs filets pour satisfaire l’appétit insatiable de notre monde», remarque le cardinal ghanéen. Dans ce message dense et éprouvant, il se penche sur les violations des droits de l’homme en mer, un sujet qui concerne des milliers de travailleurs dans le secteur de la pêche industrielle et commerciale, particulièrement dans le contexte de la pandémie de Covid-19, qui «a rendu encore plus problématique la vie des pêcheurs et de leurs familles».
Malgré les conventions internationales, «dans la plupart des cas, quand un bateau de pêche sort des eaux calmes du port, les pêcheurs deviennent des otages de circonstances extrêmement difficiles à contrôler», regrette le cardinal Turkson, dont le dicastère supervise les aumôneries de la mer. Rassemblées dans le réseau international Stella Maris, ces petites cellules de soutien spirituel sont présentes dans de nombreux ports du monde, et tentent de pallier certaines situations de détresse vécues par les professionnels du secteur. Il s’agit d’un enjeu pastoral important, notamment pour les pères de famille éloignés de leur épouse et de leurs enfants durant la majeure partie de l’année, ce qui touche notamment de nombreuses familles philippines. Pour des milliers de pêcheurs, la foi catholique constitue le seul lien avec la culture d'origine.
Les accidents mortels au travail, un phénomène massif
Le cardinal dénonce les nombreux abus exercés par les entreprises de pêche. De nombreux employés du secteur subissent «des menaces et des intimidations» de la part de leurs supérieurs et «sont contraints à faire des tours de service infinis, de jour comme de nuit, pour pêcher le plus possible de poissons, quelques soient les conditions atmosphériques».
Les accidents de la travail liés à l’épuisement sont nombreux, avec plus de 24 000 morts par an, révèle le cardinal Turkson, qui s’indigne de l’indifférence qui entoure ces situations dramatiques et du manque de respect vis-à-vis des pêcheurs disparus en mer. «Rien ou presque n’est offert en compensation aux familles et aux parents des défunts. Souvent, ils n’ont même pas la consolation d’une tombe sur laquelle prier et déposer des fleurs, car les corps sont promptement ensevelis en mer», dénonce-t-il.
Le cardinal Turkson évoque également les détails de la vie pratique des pêcheurs, qui travaillent souvent dans des conditions insalubres et dangereuses: «L'âge moyen de la flotte mondiale de la pêche industrielle dépasse les 20 années, ce qui devrait être une source de grande préoccupation pour les propriétaires et les gouvernants, surtout en ce qui concerne la question de la sécurité. Les conditions à bord sont inhumaines, car les cuisines et les réserves sont sales, les réservoirs d’eau rouillés, l’eau potable limitée, la nourriture de mauvaise qualité et inadaptée. Les cabines de l'équipage sont petites, sans ventilation et avec peu d’espace pour bouger. Aller aux toilettes est souvent un jeu d’équilibrisme périlleux, sur deux morceaux de bois tendus au-dessus de la mer», explique-t-il.
Les pécheurs, otages des conflits territoriaux
Il souligne aussi le problème géopolitique soulevé par les activités de pêche dans des zones de frontières, où éclatent parfois des incidents armés avec les militaires en patrouille. «S’ils sont capturés, les navires sont séquestrés, le produit de la pêche confisqué, l’équipage emprisonné et abandonné à son sort dans un pays étranger, l’armateur refusant de payer les billets pour leur rapatriement et même leur salaire impayé».
Outre des conditions salariales déplorables, face auxquelles les pêcheurs n’ont souvent aucune possibilité de contestation et de recours, «de nombreux propriétaires de bateau de pêche s’adonnent sans scrupules à la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INDNR), ainsi qu’à d’autres activités criminelles transnationales, comme la traite des personnes, l’esclavage et la contrebande de drogue et d’armes», dénonce-t-il. Face à toutes ces formes de violations des droits de l’homme, «une fois encore, nous appelons les organisations internationales, les gouvernants, les sociétés civiles, les différents acteurs de la filière de la pêche et les ONG à unir leurs forces pour les arrêter!», martèle le cardinal Turkson.
Reconnaissance pour un travail vital pour l’alimentation des populations
«Nous invitons les aumôniers et les volontaires de Stella Maris à poursuivre leur mission de compassion pour accueillir les pêcheurs en reconnaissant sur leur visage le visage du Christ souffrant et à leur fournir un soutien spirituel et matériel», insiste encore le préfet du Dicastère pour le Service du développement humain intégral.
«En cette Journée Mondiale de la Pêche, notre indignation pour les nombreuses violations des droits de l’homme en mer devrait se transformer en une nouvelle force qui induise l’industrie de la pêche à mettre le respect des droits humains et professionnels des pêcheurs au centre de ses intérêts», espère-t-il, avant de conclure par cette citation d’un discours du Pape François aux aumôneries de la mer en 2019 : «Sans pêcheurs, de nombreux endroits du monde mourraient de faim».
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