Le cardinal Raniero Cantalamessa (archives 2021) Le cardinal Raniero Cantalamessa (archives 2021) 

Cantalamessa: Jésus est avec nous dans ce monde qui semble nous échapper

Le cardinal Raniero Cantalamessa a prononcé sa première méditation de carême ce vendredi dans la salle Paul VI du Vatican, insistant sur la nécessité de raviver l’émerveillement devant l’Eucharistie.

Voici l’intégralité de la prédication du cardinal Raniero Cantalamessa, donnée ce vendredi 11 mars devant le Saint-Père et les membres de la Curie romaine:

P. Raniero Card. Cantalamessa, ofmcap

LA LITURGIE DE LA PAROLE

Première Prédication, Carême 2022

Parmi les nombreux maux infligés à l’humanité par la pandémie de Covid, il y a eu au moins un effet positif du point de vue de la foi. Elle nous a fait prendre conscience du besoin que nous avons de l'Eucharistie et du vide que crée le fait d’en être privés. Pendant la période la plus aiguë de la pandémie en 2020, j'ai été fortement impressionné - et avec moi je pense bien d'autres - par ce que cela signifiait de suivre à la télévision chaque matin la Sainte Messe célébrée par le pape François à Santa Marta.

Certaines Églises locales et nationales ont décidé de consacrer l'année en cours à une catéchèse spéciale sur l'Eucharistie, en vue d'un renouveau eucharistique dans l'Église catholique. Cela me semble une décision opportune et un exemple à suivre, en soulignant peut être quelque point parfois négligé. J'ai donc pensé apporter ma petite contribution à ce projet, en consacrant les méditations de ce Carême à une réflexion sur le mystère eucharistique.

L'Eucharistie est au centre de chaque temps liturgique, autant durant le Carême que dans les autres temps. C'est ce que nous célébrons chaque jour, la Pâque quotidienne. Chaque petit progrès dans sa compréhension se traduit par un progrès dans la vie spirituelle de la personne et de la communauté ecclésiale. Cependant, l’Eucharistie est aussi, malheureusement, la chose la plus exposée - du fait de sa répétitivité - à devenir routinière, à être retenue pour acquise. Dans la lettre Ecclesia de Eucharistia écrite en Avril 2003, saint Jean-Paul II dit que les chrétiens doivent redécouvrir et toujours entretenir « l’admiration eucharistique ». Nos réflexions voudraient servir à cela, c’est-à-dire à raviver l’émerveillement devant l’Eucharistie.

Parler de l’Eucharistie en temps de pandémie (et à présent avec les horreurs de la guerre dans les yeux) ce n'est pas nous abstraire de la réalité dramatique que nous vivons, mais une aide pour la regarder d'un point de vue plus élevé et moins contingent. L'Eucharistie est la présence dans l'histoire de l'événement qui a inversé à jamais les rôles entre vainqueurs et victimes. Sur la croix, le Christ a fait de la victime le vrai vainqueur : « Victor quia victima », saint Augustin le définit : Vainqueur parce que victime. L'Eucharistie nous offre la véritable clé de lecture de l'histoire. Elle nous assure que Jésus est avec nous, non seulement intentionnellement, mais réellement dans ce monde qui semble nous échapper à tout moment. Il nous répète : «Prenez confiance, j'ai vaincu le monde » (Jn 16:33).

L'Eucharistie dans l'histoire du salut

Partons d’une question : Quelle place l'Eucharistie occupe-t-elle dans l'histoire du salut ? La réponse est qu’elle n'occupe pas une place, mais qu’elle occupe toute la place ! L'Eucharistie est coextensive à l'histoire du salut. Cependant elle est présente de trois manières différentes, dans les trois temps – ou phases - différents du salut ; elle est présente dans l'Ancien Testament comme figure ; elle est présente dans le Nouveau Testament comme événement, et elle est présente au temps de l'Église comme sacrement. La figure anticipe et prépare l'événement, le sacrement « prolonge » et actualise l'événement.

Dans l'Ancien Testament, disais-je, l'Eucharistie est présente en image et en figure. L'une de ces figures est la manne, une autre le sacrifice de Melchisédek, une autre encore le sacrifice d'Isaac. Dans la séquence Lauda Sion Salvatorem, composée par saint Thomas d'Aquin pour la fête du Corpus Domini, on chante : « D’avance il est désigné en figures / Lorsqu’Isaac est immolé / L'agneau pascal sacrifié / La manne, donnée à nos pères » : In figúris præsignátur, / cum Isaac immolátur: / agnus paschæ deputátur: / datur manna pátribus. En tant que figures de l'Eucharistie, saint Thomas appelle ces rites « les sacrements de l'ancienne Loi[1] ».

Avec la venue du Christ et son mystère de mort et de résurrection, l'Eucharistie n'est plus présente comme une figure, mais comme un événement, comme une réalité. Nous en parlons comme d’un « événement » parce que c'est quelque chose qui s'est produit historiquement, un fait unique dans le temps et dans l'espace, qui n'a eu lieu qu'une seule fois (semel) et qui ne se répète pas : le Christ, « c'est une fois pour toutes, à la fin des temps, [qu'il] s'est manifesté pour détruire le péché par son sacrifice ». (He 9, 26)

Enfin, au temps de l'Église, l'Eucharistie, disais-je, est présente comme un sacrement, c'est-à-dire sous le signe du pain et du vin, institué par le Christ. Il est important que nous comprenions bien la différence entre l'événement et le sacrement, en pratique, la différence entre l'histoire et la liturgie. Laissons saint Augustin nous aider :

Nous - dit le saint docteur - savons et croyons avec une foi très certaine que le Christ est mort une seule fois pour nous, lui juste pour les pécheurs, lui Seigneur pour les serviteurs. Nous savons parfaitement que cela n'est arrivé qu'une seule fois ; et pourtant le sacrement le renouvelle périodiquement, comme si ce que l'histoire proclame n'être arrivé qu'une seule fois se répétait plusieurs fois. Pourtant, événement et sacrement ne s'opposent pas, comme si le sacrement était fallacieux et que seul l'événement était vrai. En fait, de ce que l'histoire prétend être arrivé, en réalité, une seule fois, de cela le sacrement renouvelle souvent (renovat) la célébration dans le cœur des fidèles. L'histoire révèle ce qui s'est passé une fois et comment cela s'est passé, la liturgie veille à ce que le passé ne soit pas oublié ; non pas au sens qu’il le fait se reproduire (non faciendo), mais au sens qu’il le célèbre (sed celebrando).[2]

Préciser le lien qui existe entre l'unique sacrifice de la croix et la messe est une chose très délicate et a toujours été l'un des points les plus discordants entre catholiques et protestants. Augustin utilise, on l'a vu, deux verbes : renouveler et célébrer, qui sont parfaitement corrects, à condition de les comprendre l'un à la lumière de l'autre ; la messe renouvelle l'événement de la croix en le célébrant (et non en le réitérant) et elle le célèbre en le renouvelant (pas en le rappelant seulement). Le terme, dans lequel se réalise aujourd'hui le plus grand consensus œcuménique, est peut-être le verbe utilisé par saint Paul VI, dans l'encyclique Mysterium fidei « représenter » [3], entendu au sens fort de re-présenter, c'est-à-dire rendre présent à nouveau. En ce sens, nous disons que l'Eucharistie représente la croix.

Selon l'histoire, il n'y a donc eu qu'une seule Eucharistie, celle célébrée par Jésus avec sa vie et sa mort ; selon la liturgie, au contraire, c'est-à-dire grâce au sacrement, il y a autant d'Eucharisties qui ont été célébrées et seront célébrées jusqu'à la fin du monde. L'événement n'a eu lieu qu'une seule fois (semel), le sacrement a eu lieu « à chaque fois » (quotiescumque). Grâce au sacrement de l'Eucharistie, nous devenons mystérieusement contemporains de l'événement ; l'événement est présent à nous et nous à l'événement.

Nos réflexions de Carême porteront sur l'Eucharistie dans son état  actuel, c'est-à-dire en tant que sacrement. Dans l'ancienne Église, il y avait une catéchèse spéciale, dite mystagogique, qui était réservée à l'évêque et était donnée après, et non avant, le baptême. Son but était de révéler aux néophytes le sens des rites célébrés et la profondeur des mystères de la foi : baptême, confirmation ou onction, et en particulier l'Eucharistie. Ce que nous avons l'intention de faire, c'est une petite catéchèse mystagogique sur l'Eucharistie. Pour rester ancrés le plus possible dans sa nature sacramentelle et rituelle, nous suivrons de près le développement de la messe dans ses trois parties - liturgie de la Parole, liturgie eucharistique et communion -, en ajoutant à la fin une réflexion sur le culte eucharistique en dehors de la messe.

La liturgie de la Parole

Chaque jour, d'un même cœur, ils fréquentaient assidûment le Temple, ils rompaient le pain dans les maisons, ils prenaient leurs repas avec allégresse et simplicité de cœur ;

Au tout début de l'Église, la liturgie de la Parole était détachée de la liturgie eucharistique. Les disciples, rapportent les Actes des Apôtres, « chaque jour, d’un même cœur, ils fréquentaient assidûment le Temple » ; là, ils écoutaient la lecture de la Bible, récitaient les psaumes et les prières avec les autres Juifs ; c’était leur liturgie de la Parole. Puis ils se réunissaient séparément, chez eux, où « ils rompaient le pain », c'est-à-dire célébraient l'Eucharistie (cf. Ac 2, 46).

Cependant, cette pratique est vite devenue impossible à cause de l'hostilité à leur égard de la part des autorités juives, et parce que les Écritures avaient désormais acquis pour eux une nouvelle signification, toutes orientées vers le Christ. C'est ainsi que l'écoute de l'Écriture s'est également déplacée du Temple et de la synagogue vers les lieux de culte chrétiens, prenant peu à peu la physionomie de l'actuelle liturgie de la Parole qui précède la prière eucharistique. Dans la description de la célébration eucharistique faite par saint Justin au IIème siècle, non seulement la liturgie de la Parole en fait partie intégrante, mais les lectures de l'Ancien Testament sont maintenant rejointes par ce que le saint appelle « les souvenirs des apôtres », c'est-à-dire les Évangiles et les Lettres, en pratique le Nouveau Testament[4].

Écoutées dans la liturgie, les lectures bibliques acquièrent un sens nouveau et plus fort que lorsqu'elles sont lues dans d'autres contextes. Leur but n'est pas tant de mieux connaître la Bible, comme lorsqu'on la lit chez soi ou dans une école biblique, que de reconnaître celui qui se rend présent à la fraction du pain ; leur but était d'éclairer à chaque fois un aspect particulier du mystère qu’on va recevoir. Cela apparaît clairement dans l'épisode des deux disciples d'Emmaüs. C'est en écoutant l'explication des Écritures que leur cœur commença à fondre, de sorte qu'ils purent alors le reconnaître « à la fraction du pain » (Lc 24, 1 sq.). Cette explication de Jésus ressuscité fut la première « liturgie de la Parole » de l'histoire de l'Église.

Deuxième caractéristique : au cours de la messe, non seulement les paroles et les épisodes de la Bible sont racontés, mais ils sont revécus ; la mémoire devient réalité et présence. Ce qui s'est passé « à ce moment-là » se passe « à ce moment-ci », « aujourd'hui » (hodie), comme aime à s'exprimer la liturgie. Nous ne sommes pas seulement des auditeurs de la Parole, mais des interlocuteurs et des acteurs de celle-ci. C'est à nous, présents là, que la Parole s'adresse ; nous sommes appelés à prendre la place des personnages évoqués.

Quelques exemples nous aideront à comprendre. Une fois on lit, en première lecture, l'épisode de Dieu parlant à Moïse du milieu du buisson ardent : nous sommes, à la messe, devant le vrai buisson ardent... Une autre fois on parle d'Isaïe recevant sur ses lèvres l'ardent charbon qui le purifie pour la mission : nous sommes sur le point de recevoir le vrai charbon ardent sur nos lèvres, le feu que Jésus est venu apporter sur la terre... Ézéchiel est invité à manger le rouleau des oracles prophétiques : nous nous apprêtons à manger celui qui est la parole elle-même faite chair et faite pain.

La chose devient encore plus claire si nous passons de l'Ancien Testament au Nouveau, de la première lecture au passage de l'Évangile. La femme qui a souffert d'une hémorragie est sûre d'être guérie si elle peut toucher le bord du manteau de Jésus : et nous, qui sommes sur le point de toucher plus que le bord de son manteau ? Une fois, alors que j'écoutais l'épisode de Zachée dans l'Évangile, j'ai été frappé par sa « pertinence ». J'étais Zachée, c’était à moi qu’était adressée la parole : « Aujourd'hui il faut que j'aille demeurer dans ta maison » ; c'est de moi qu'on pouvait dire : « Il est allé loger chez un homme qui est un pécheur ! » et c'est à moi, après que je l’aie reçu dans la communion, que Jésus disait : « Aujourd'hui, le salut est arrivé pour cette maison » (cf. Lc 19, 5-9).

Ainsi avec chaque épisode de l'Évangile. Comment ne pas s'identifier au cours de la messe au paralytique à qui Jésus dit : « Mon enfant, tes péchés sont pardonnés » et « Lève-toi et marche » (cf. Mc 2, 5, 11) ; à Siméon tenant l'Enfant Jésus dans ses bras (cf. Lc 2, 27-28) ; à Thomas touchant ses plaies (Jn 20, 27-28) ? Le deuxième dimanche du Temps Ordinaire du cycle liturgique actuel, il y a le passage de l'Évangile dans lequel Jésus dit à l'homme à la main paralysée : « "Étends la main". Il l'étendit, et sa main redevint normale ». (Mc 3, 5) Nous n'avons pas la main paralysée ; cependant, nous avons tous, certains plus ou moins, des âmes paralysées, des cœurs flétris. C'est à l'auditeur que Jésus dit à ce moment-là : « Étends ta main ! Étendez votre cœur devant moi, avec la foi et la disponibilité de cet homme ».

L'Écriture proclamée pendant la liturgie produit des effets qui dépassent toute explication humaine, à la manière des sacrements qui produisent ce qu'ils signifient. Les textes divinement inspirés ont aussi un pouvoir de guérison. Après la lecture du passage de l'Évangile à la messe, la liturgie invitait autrefois le ministre à embrasser le livre en disant : « Que les paroles de l'Évangile effacent nos péchés » (Per evangelica dicta deleantur nostra delicta).

Tout au long de l'histoire de l'Église, des événements importants se sont produits à la suite de l'écoute de lectures bibliques pendant la messe. Un jour, un jeune homme entendit le passage de l'Évangile où Jésus dit à un jeune homme riche : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, suis-moi. » (Mt 19, 21) Il comprit que ces mots lui étaient adressés personnellement. Alors il rentra chez lui, vendit tout ce qu'il avait et se retira dans le désert. Il s'appelait Antoine, l'initiateur du monachisme. Plusieurs siècles plus tard dans la ville d’Assise, un autre jeune homme, récemment converti, entra dans une église avec un de ses compagnons. Dans l'Évangile du jour, Jésus disait à ses disciples : « Ne prenez rien pour la route, ni bâton, ni sac, ni pain, ni argent ; n'ayez pas chacun une tunique de rechange ». (Lc 9, 3) Le jeune homme se tourna vers son compagnon et lui dit : « As-tu entendu ? Voilà ce que le Seigneur veut que nous fassions, nous aussi ». Ainsi commença l'Ordre Franciscain.

La liturgie de la Parole est la meilleure ressource dont nous disposons pour faire de la messe à chaque fois une célébration nouvelle et attrayante, évitant ainsi le grand danger d'une répétition monotone que les jeunes, en particulier, trouvent ennuyeuse. Pour une telle célébration, nous devons investir plus de temps et de prière dans la préparation de l'homélie. Les fidèles doivent pouvoir comprendre que la Parole de Dieu touche aux réalités de la vie et est la seule à avoir des réponses aux questions les plus sérieuses de l'existence.

Il y a deux manières de préparer une homélie. On peut s'asseoir à son bureau et choisir le thème en fonction de ses expériences et de ses connaissances ; puis, une fois le texte préparé, se mettre à genoux et demander à Dieu d'infuser l'Esprit dans nos paroles. C'est une bonne chose, mais ce n'est pas une voie prophétique. Pour être prophétique, il faudrait suivre le chemin inverse : se mettre d'abord à genoux et demander à Dieu quelle est la parole qu'il veut faire résonner pour son peuple.

En effet, Dieu a une parole pour chaque occasion et ne manque pas de la révéler à son ministre qui la lui demande humblement et avec insistance. Au début, ce ne sera qu'un petit mouvement du cœur, une lumière qui s'allume dans l'esprit, une parole de l'Écriture qui attire l'attention et éclaire une situation vécue. Apparemment, ce n'est qu'une petite graine, mais elle contient ce que les gens ont besoin d'entendre à ce moment-là.

Après cela, on peut s'asseoir à une table, ouvrir ses livres, consulter ses notes, recueillir et organiser ses pensées, consulter les Pères de l'Église, les maîtres, parfois les poètes ; mais maintenant, ce n'est plus la parole de Dieu qui est au service de notre culture, mais notre culture au service de la parole de Dieu C'est seulement ainsi que la Parole manifeste sa puissance intrinsèque.

Par le Saint-Esprit

Mais il faut ajouter une chose : toute l'attention portée à la parole de Dieu ne suffit pas. « La force d'en haut » doit descendre sur elle. Dans l'Eucharistie, l'action de l'Esprit Saint ne se limite pas seulement au moment de la consécration, à l'épiclèse qui est récitée avant elle. Sa présence est également indispensable dans la liturgie de la Parole et dans la communion.

L'Esprit Saint poursuit dans l'Église l'action du Ressuscité qui, après Pâques, « a ouvert l'intelligence des disciples à la compréhension des Écritures » (cf. Lc 24, 45). « La Sainte Écriture », dit Dei Verbum du Concile Vatican II, « doit être lue et interprétée à la lumière du même Esprit que celui qui la fit rédiger[5]. » Dans la liturgie de la Parole, l'action de l'Esprit Saint s'exerce par l'onction spirituelle présente chez celui qui parle et celui qui écoute.

L’Esprit du Seigneur est sur moi,

Parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction.

Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres

(Lc 4, 18)

 

Ainsi, Jésus a indiqué où la parole annoncée puise sa force. Ce serait une erreur de se fier uniquement à l'onction sacramentelle que nous avons reçu une fois pour toutes dans l'ordination sacerdotale ou épiscopale. Cela nous permet d'accomplir certaines actions sacrées, telles que gouverner, prêcher et administrer les sacrements. Cela nous donne, pour ainsi dire, l'autorisation de faire certaines choses, pas nécessairement cette autorité que les gens percevaient lorsque Jésus parlait ; il assure la succession apostolique, pas nécessairement le succès apostolique !

Mais si l'onction est donnée par la présence de l'Esprit et est un don, que pouvons-nous faire pour l'avoir ? Il faut d'abord partir d'une certitude : « C'est de celui qui est saint que vous tenez l'onction », nous assure saint Jean (1 Jn 2, 20). C'est-à-dire que grâce au baptême et à la confirmation - et, pour certains, à l'ordination presbytérale ou épiscopale - nous avons déjà l'onction. En effet, selon la doctrine catholique, elle a imprimé dans notre âme un caractère indélébile, comme une marque ou un sceau : « Celui qui nous a consacrés, c'est Dieu » écrit l’Apôtre « il nous a marqués de son sceau, et il a mis dans nos cœurs l'Esprit, première avance sur ses dons ». (2 Co 1, 21-22)

Cette onction, cependant, est comme un onguent parfumé enfermé dans un pot ; elle reste inerte et ne libère aucun parfum si l’on n’ouvre pas le pot. C'est ce qui arriva à la jarre d'albâtre brisée par la femme de l'Évangile, dont le parfum emplit toute la maison (Mc 14, 3). C'est là qu'intervient notre partie sur l'onction. Il ne dépend pas de nous de produire l’onction, mais il dépend de nous d’ôter les obstacles qui empêchent son rayonnement. Il n'est pas difficile de comprendre ce que cela signifie pour nous que de briser le vase d'albâtre. Le vase est notre humanité, notre moi, parfois notre aride intellectualisme. Le briser signifie se mettre dans un état d'abandon à Dieu et de résistance à soi-même et au monde.

Heureusement pour nous, tout n'est pas de l’ordre d’un effort ascétique. Dans ce cas, la foi, la prière et l'humble imploration peuvent faire beaucoup. Par conséquent, il nous faut demander l'onction avant d’entreprendre une prédication ou une action importante au service du Royaume. Alors que nous nous préparons à la lecture de l'Évangile et à l'homélie, la liturgie nous fait demander au Seigneur de purifier nos cœurs et nos lèvres afin de pouvoir annoncer dignement l'Évangile. Pourquoi ne pas dire parfois (ou du moins penser en nous-mêmes) : « Oins mon cœur et mon esprit, Dieu tout-puissant, afin que je proclame ta Parole avec la douceur et la puissance de l'Esprit » ?

L'onction n'est pas seulement nécessaire pour que les prédicateurs proclament efficacement la Parole, elle est également nécessaire pour que les auditeurs l'accueillent. L'évangéliste Jean écrit à sa communauté : « C'est de celui qui est saint que vous tenez l'onction, et vous avez tous la connaissance. […] L'onction que vous avez reçue de lui demeure en vous, et vous n'avez pas besoin d'enseignement. » (1 Jn 2, 20.27) Non pas que tout enseignement de l’extérieur  soit inutile, mais il ne suffit pas. « Il y a, à l'intérieur, un maître qui instruit : c'est le Christ, c'est son inspiration. Là, où son inspiration et son onction font défaut, les paroles humaines ne font qu’un bruit inutile[6] ».

Nous espérons qu'aujourd'hui encore le Christ nous aura instruits de son inspiration intérieure et que mes paroles n'auront pas été « un bruit inutile ».

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Traduit en Français par Cathy Brenti de la Communauté des Béatitudes

[1] Thomas.d’Aquin, S.Th., III, q.60, a. 2, 2.

[2] Augustin, Sermo 112 (PL 38, 643).

[3] Paul VI, Mysterium fidei (AAS 57, 1965, p. 753 ss).

[4] Justin, I Apologia, 67, 3-4.

[5] Dei Verbum, 12.

[6] Saint Augustin, Commentaire de la première épître de saint Jean, 3,13.

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11 mars 2022, 15:01