Des anges inconscients
Michael Czerny, SJ *
Préfet ad interim du Dicastère pour le Service du Développement Humain Intégral
En Ukraine occidentale, la plupart des catholiques sont de rite oriental : c’est pour cela que de nombreux prêtres que j'ai rencontrés sont mariés et ont des enfants. Au lieu de fuir vers l'Ouest, ils restent avec leurs familles pour continuer à prendre soin des personnes et des réfugiés de passage. Les oratoires et les presbytères deviennent ainsi des havres de paix sur le chemin du salut, où, à toute heure du jour et de la nuit, c'est toute la famille du prêtre qui s'occupe d'accueillir ceux qui sont dans le besoin.
Normalement, on utilise le mot «ange» pour définir ceux qui font de leur mieux pour aider des étrangers en difficulté, en restant souvent anonymes, comme le font ces familles, mais aussi des religieux et religieuses, des prêtres célibataires, des évêques et de nombreux laïcs. Il est correct de les appeler ainsi, car ce sont bien des «anges». Cependant ils ne sont pas les seuls: l'Écriture nous invite à élargir notre regard et à nous rendre compte que ceux qui sont accueillis peuvent eux aussi être des anges anonymes. La Lettre aux Hébreux nous met en garde: «N’oubliez pas l’hospitalité: elle a permis à certains, sans le savoir, de recevoir chez eux des anges» (He 13,2).
Au cours de mon voyage, j'ai vu que c'était vrai: on s’en aperçoit assistant aux changements qui s'opèrent chez ceux qui les accueillent. À Berehove, je suis allé visiter une maison d'étudiants qui avait été transformée en centre d'accueil. Je m’attendais à rencontrer l'évêque et quelques prêtres locaux. Ils étaient là, bien sûr, mais avec eux il y avait aussi les responsables des autres communautés chrétiennes et de la communauté juive, ainsi que le plus haut fonctionnaire de l’administration civile. Il en a été de même à Užhorod: lors du dîner avec les séminaristes, après la liturgie de Carême dans la cathédrale gréco-catholique, les responsables de la communauté juive et des autres confessions chrétiennes étaient également présents.
J'ai été très impressionné, car dans ces régions, les relations entre les différentes confessions sont souvent problématiques et alourdies par une histoire de conflits et de préjugés. Soudain, la nécessité d'accueillir les réfugiés rend possible, voire impose, l'œcuménisme concret de la solidarité: se rencontrer et travailler ensemble pour répondre à ceux qui sont dans le besoin. Être proche des pauvres et des personnes vulnérables rassemble ceux qui les accueillent. Lorsque nous nous comportons en frères et sœurs envers eux, nous découvrons inévitablement que nous sommes tous des frères et sœurs. Cela devrait aller de soi: les frères de mes frères sont mes frères! Mais dans la pratique, nous l'oublions souvent.
Il s’agit là de la bonne nouvelle que les réfugiés ukrainiens - des anges inconscients – annoncent à ceux qui les accueillent. Ils ne le font pas par des mots, ni par des gestes, mais par leur simple présence et leur appel à l'aide, qui ramène tout le monde à l'essentiel. On touche du doigt la vérité profonde des paroles du Pape François qui, au paragraphe n. 198 d'Evangelii Gaudium, en parlant des pauvres, écrit: «la nouvelle évangélisation est une invitation à reconnaître la force salvifique de leurs existences, et à les mettre au centre du cheminement de l’Église. Nous sommes appelés à découvrir le Christ en eux, à prêter notre voix à leurs causes, mais aussi à être leurs amis, à les écouter, à les comprendre et à accueillir la mystérieuse sagesse que Dieu veut nous communiquer à travers eux».
Cela ne se passe pas seulement à l'ouest de l'Ukraine, mais aussi de l’autre côté de la frontière, dans les pays où les réfugiés arrivent après l’avoir finalement franchie. Pour ces nations, leur arrivée les encourage à s'ouvrir, à sortir d'une fermeture qui est un héritage durable de l'ère soviétique. Il s'agit d'un changement profond et soudain. L’histoire oblige ces sociétés-là à apprendre une notion et une pratique inconnues, mais dont elles pressentent la valeur. Il faut les respecter lors de leurs premiers pas et ne pas les juger à cause des positions qu'elles ont prises par le passé, afin de leur permettre de consolider cette expérience porteuse d’un avenir différent. «Aidez-nous à être utiles»: voici la demande qui semblait émerger au cours des réunions avec les organisations caritatives locales et aussi avec les autorités publiques à différents niveaux.
A mon retour de Slovaquie, je suis immédiatement parti pour Dakar, pour participer au 9ème Forum Mondial de l'Eau, où j'ai apporté et lu le message envoyé par le Pape François. À 7.000 kilomètres de l'Ukraine, le thème du Forum, «La sécurité de l'eau pour la paix et le développement», a remis en lumière l’enjeu de la paix. La dégradation écologique et le changement climatique menacent l'accès à l'eau de nombreuses populations, qui subissent des sécheresses de plus en plus terribles. Dans les décennies à venir, l'eau est destinée à devenir une ressource extrêmement stratégique, ainsi qu’une cause possible de guerres et de conflits, en particulier dans les régions où les grands fleuves traversent les frontières entre les États, comme c'est le cas en Afrique. «Dans toutes ces situations, écrit le Pape, l’eau doit devenir un symbole d’accueil et de bénédiction, un motif de rencontre et de collaboration qui fasse grandir la confiance mutuelle et la fraternité».
La gestion de l'eau en tant que bien commun et droit humain fondamental et universel est un engagement qui combine la construction de la fraternité et la protection de la maison commune. Alors que nous prions et nous nous engageons pour mettre fin à cette guerre «répugnante» en Ukraine, nous devons également continuer à regarder vers l'avenir pour prévenir d'éventuels conflits futurs.
* Vatican News publie la version française de l'article du cardinal Michael Czerny paru en italien sur le site de la revue Aggiornamenti Sociali
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