Cardinal Grech: François veut faire grandir l'Église du Concile Vatican II
Adriana Masotti - Cité du Vatican
Le dixième anniversaire du pontificat de François s'inscrit dans le contexte du chemin synodal qui implique toute l'Église catholique en vue des deux assemblées d'octobre 2023 et d'octobre 2024 au Vatican. La synodalité, selon le cardinal Mario Grech, est ce vers quoi converge tout le magistère du Pape, au centre duquel se trouvent la communion et la fraternité universelle.
Éminence, après dix ans de pontificat pour le Pape François, celui-ci est reconnu, par les croyants et les non-croyants, comme la voix ou du moins l'une des voix les plus importantes au niveau international, même si elle est trop peu écoutée. Quels sont les gestes et les paroles de François que vous aimeriez souligner à l'occasion de cet anniversaire?
Une phrase qui m'a frappé et qui me fait souvent réfléchir provient de l'encyclique Fratelli tutti, où le Saint-Père dit qu'aujourd'hui «personne ne se sauve tout seul» (n° 32). Cette affirmation n'est pas seulement valable dans l'Église, mais doit aussi être déclinée dans la vie quotidienne. En effet, je crois que dans un monde fragmenté, dans un monde de conflits et d'individualisme, le Saint-Père - inspiré bien sûr par Jésus et son Évangile - essaie de créer plus de communion entre les hommes et les femmes de notre temps: et ceci, je le répète, aussi bien dans le monde séculier que dans l'Église. C'est le défi, qui n'est certainement pas facile à relever, auquel le Pape s'est attelé ces dernières années.
Le Pape François aide l'Église à faire des pas, de petits pas, dans cette direction, précisément pour aider la communauté ecclésiale et la communauté internationale à s'unir pour faire face aux défis de l'humanité d'aujourd'hui.
En parlant de défis: les pauvres, les migrants, les injustices du système économique actuel, les inégalités, le souci de la création, la paix, voilà quelques-uns des aspects récurrents du pontificat du Pape François. Ils dessinent une Église qui a beaucoup à dire au monde et qui veut parvenir, comme vous l'avez dit, à une humanité plus fraternelle. On le voit notamment dans les deux encycliques Laudato sì et Fratelli tutti...
Ce que vous soulignez confirme la volonté du Saint-Père de marcher avec les personnes. Le Pape François nous invite sans cesse à réfléchir sur la synodalité. Mais la synodalité n'est pas seulement un défi pour l'Église, c'est aussi un défi pour toute l'humanité. Je veux dire par là que le Saint-Père nous invite à marcher ensemble et à écouter tout le monde, sans exclure personne, y compris les personnes qui connaissent ces difficultés. Peut-être pouvons-nous aussi dire que le Saint-Père donne une voix à ceux qui sont pauvres, à ceux qui souffrent d'injustice, à ceux qui se sentent marginalisés. Une autre phrase qui me vient à l'esprit est en fait l'enseignement du Pape François lorsqu'il parle de la périphérie. (…) Le Pape François nous rappelle souvent que les changements dans l'histoire ne sont pas partis du centre, mais de la périphérie, parce que ceux qui sont à la périphérie peuvent voir la réalité de manière beaucoup plus objective que ceux qui sont au centre. Ainsi, le Pape reconnaît en fait la dignité et la valeur de chaque personne et en particulier de ces "catégories" de personnes que vous avez soulignées. Ici, d'ailleurs, je crois que François envoie aussi un message à ceux qui détiennent le pouvoir dans le monde (…). Par ses actes, par ses choix, par ses actions, le Pape dit: mettez aussi ces personnes au centre parce que personne ne doit être oublié, surtout pas ceux qui souffrent. Face à ce défi, le Saint-Père nous dit de n'oublier personne, car chacun, même le plus petit, a quelque chose à apporter pour le bien du monde.
Nous avons regardé à l'extérieur, maintenant en regardant à l'intérieur de l'Église, ici aussi les appels à la conversion et au changement sont forts, contre le machisme et le cléricalisme, contre les abus, contre la tentation du pouvoir et de la mondanité, pour l'unité dans la diversité, pour un retour à une vie plus cohérente avec l'Évangile...
C'est la conversion ultime, que le Saint-Père décline en plusieurs catégories: conversion spirituelle, conversion écologique, conversion pastorale, conversion synodale. Le chrétien est dans cette dynamique de conversion, et malheur à nous si nous ne nous souvenons pas que nous sommes dans ce processus de conversion. Et le Saint-Père, comme c'est son devoir, essaie de nous rappeler cela, parce que si nous n'entrons pas dans ce processus de conversion, nous ne pouvons pas faire un pas en avant dans notre appel aussi à la sainteté. La conversion à la sainteté implique tous les aspects de la vie ecclésiale et humaine.
Cardinal Grech, vous êtes le secrétaire général du Synode, dont le thème est la synodalité. À votre avis, l'idée d'une Église où l'on vit le style synodal est-elle une "nouveauté" ou une idée que le Pape François a mûrie depuis longtemps? Et quelle est votre impression sur le chemin synodal emprunté par l'Église, à l’étape où nous en sommes?
J'étais à l'Assemblée synodale continentale des Églises orientales et, un jour, un évêque m'a dit: «Ce chemin synodal est un chemin de pénitence». À vrai dire, ces mots m'ont un peu frappé. Pourquoi pénitentiel? Il m'a répondu: «Parce que la synodalité est un joyau que l'Église a eu au premier millénaire, mais nous l'avons perdu, nous l'avons négligé». Il s'agit donc d'un chemin pénitentiel, car c'est aussi une demande de pardon au Seigneur pour avoir négligé, oublié cette dimension synodale de l'Église, qui n'est pas une nouvelle dimension que le Pape François veut ajouter à l'Église, mais qui fait partie de sa nature. Ce que fait le pape François, c'est nous aider à redécouvrir la beauté de l'Église en tant que peuple de Dieu. Et c'est le discours du Concile Vatican II. Donc, si aujourd'hui, à l'invitation du Saint-Père, nous réfléchissons - et j'espère que nous prendrons aussi des décisions - pour rendre l'Église plus synodale, c'est parce que le Saint-Père veut traduire dans la vie quotidienne l'enseignement du Concile Vatican II, en particulier l'enseignement sur l'Église, l'ecclésiologie de Vatican II.
Vous me demandez également comment se déroule ce processus. À ce stade, nous concluons la deuxième étape du processus, à savoir les réunions continentales. J'ai participé à quatre de ces sept assemblées et je dois avouer qu'à chaque fois, nous avons été surpris par l'enthousiasme que nous avons trouvé. L'enthousiasme de tous: évêques, prêtres, personnes consacrées et laïcs. Et oui, je peux dire que c'est une expérience indescriptible de voir avec quelle passion le peuple de Dieu parle de Jésus, de l'Évangile, de l'Église et de la présence de l'Église dans le monde.
Malheureusement, cela ne fait pas les gros titres, mais c'est la réalité. Je ne dis pas que tout le monde est convaincu, qu'il n'y a pas de difficultés, qu'il n'y a pas de doutes, mais c'est un processus: un processus qui a commencé! Le Saint-Père nous rappelle souvent que le synode n'est pas un événement, mais un processus. Nous pouvons donc nous attendre à ce qu'avec le temps, la grâce du Seigneur fasse des merveilles.
À quelles assemblées continentales avez-vous participé?
J'étais à Prague, puis j'ai assisté à l'assemblée européenne. Ensuite, je suis allé à Beyrouth pour l'Assemblée des Églises orientales. À Bangkok pour l'Assemblée d'Asie et enfin à Addis-Abeba pour l'Assemblée synodale du continent africain.
Vous avez donc vu des réalités très différentes...
Il est vrai qu'il y a cette diversité, mais il y a aussi l'unité; il y a la communion parce que le fondement est le même pour toutes les Assemblées, naturellement avec des nuances qui reflètent aussi l'histoire, la culture, l'expérience ecclésiale, spirituelle et pastorale de chaque continent. L'important est que l'Église soit toujours insérée dans le contexte local - certes différents - mais c'est là que l'Église doit apprendre à marcher avec les personnes et aussi à trouver des réponses aux questions que les habitants de ce continent se posent.
Récemment, lors de l'audience générale, le Pape François a donné une série de catéchèses sur le thème du discernement, qui est un élément essentiel du style synodal. Pouvez-vous nous dire quels sont les espoirs et les attentes du Pape par rapport à cet événement de la vie de l'Église, qui peut vraiment la transformer et lui donner un nouvel élan?
Je dirais que le thème du Synode pour une Église synodale est centré sur la communion, la participation et la mission. Si ces concepts sont bien compris, ils disent tout. Le Saint-Père veut une Église synodale où il y a communion, donc où personne ne se sent exclu; où il y a participation de tous, dans le respect des charismes et des ministères; et puis pour une mission, parce que tout cela n'est pas un discours autoréférentiel, c'est-à-dire que ce n'est pas une introspection, mais nous réfléchissons sur l'Église pour pouvoir aussi communiquer l'Évangile aujourd'hui, pour aider à la rencontre entre le Seigneur ressuscité et l'homme d'aujourd'hui.
Et le discernement est fondamental: dans son enseignement au cours de ces dix années, le Saint-Père nous a appris ce qu'est le Synode et ce qu'est une Église synodale, c'est-à-dire une Église dont le protagoniste est l'Esprit Saint. Une assemblée synodale, une Église synodale qui ne crée pas d'espace pour l'Esprit, n'est pas l'Église de Jésus et nous ne pourrons pas aller de l'avant; au contraire, ce serait autodestructeur, alors que si nous nous ouvrons à l'Esprit, alors oui, voici l'avenir. Mais pour savoir lire la présence de l'Esprit Saint, pour savoir discerner la volonté de Dieu, nous avons besoin de discernement, en invoquant l'Esprit Saint, précisément pour nous assurer que les pas que nous faisons dans l'approfondissement de la volonté du Seigneur seront faits dans la bonne direction.
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