Archives déclassifiées: Pie XII a fait le choix de «la résistance non déclarée»
Alessandro Di Bussolo - Cité du Vatican
Dans l’assemblée, l’intention est d’éclairer d'un jour nouveau les événements historico-théologiques liés à la figure de Pie XII et au Vatican pendant la période de l'Holocauste, mais les pensées se tournent vers la Terre sainte après l'attaque du Hamas contre Israël. Une minute de silence pour les centaines de victimes en Israël et en Palestine a été respectée à la demande de Mgr Étienne Vetö, évêque auxiliaire de Reims en France et ancien directeur du Centre Cardinal Bea d'études juives de l'Université pontificale grégorienne. Le prélat français venait d’ouvrir les travaux de la conférence internationale sur «Les nouveaux documents du pontificat de Pie XII et leur signification pour les relations judéo-chrétiennes: un dialogue entre historiens et théologiens». Ce colloque de trois jours a nécessité deux ans de préparation, en collaboration avec l'Institut international de recherche sur l'Holocauste, Yad Vashem, à Jérusalem. Son directeur était attendu, mais n’était pas à Rome en raison de l'escalade de la violence dans son pays.
Le cardinal Parolin: Il est maintenant fondamental d'établir la vérité historique
La première session de travail a été introduite par le discours du secrétaire d'État, Pietro Parolin. Le cardinal italien a souligné que, suite à la décision du Pape François, en mars 2019, de rendre accessibles les documents des Archives secrètes du Vatican concernant le pontificat de Pie XII, et à la publication de plusieurs études, «il est d'une importance fondamentale de continuer à établir une vérité historique» à travers la recherche historico-critique. Maintenir l'exactitude historique, selon le cardinal Parolin, signifie défendre la vérité au-dessus de toutes les parties impliquées.
Des cas de malhonnêteté scientifique
Mais malheureusement, a-t-il souligné, «il existe encore des cas de malhonnêteté scientifique, qui deviennent des manipulations historiques, où des documents sont négligés ou délibérément dissimulés», telle que la réponse du cardinal Gasparri, alors secrétaire d'État, au Comité juif américain en 1916, puis aux juifs ashkénazes de Jérusalem en 1919. Ce n'est que récemment que l'on a redécouvert des documents qui disent comment les catholiques doivent percevoir les juifs: «Les juifs sont nos frères», a cité le cardinal Parolin, «et le peuple juif doit être considéré comme le peuple frère de tout autre peuple dans le monde».
Les réponses du cardinal Gasparri inspirées par Mgr Pacelli
Le futur Pie XII, alors Mgr Eugenio Pacelli, secrétaire de la congrégation pour les Affaires ecclésiastiques extraordinaires, «avait personnellement contribué à la rédaction de ces documents qui montrent une image de lui très différente de celle que l'on connaît généralement» explique le cardinal Parolin. Les juifs, dont un certain nombre de rabbins, étaient convaincus de l'attitude amicale du Pape Pie XII à leur égard, «c'est pourquoi ils se sont tournés vers lui pendant la Seconde Guerre mondiale pour obtenir de l'aide». Le président israélien Isaac Herzog a rappelé cet épisode dans une interview accordée à L'Osservatore Romano, «en parlant des relations cordiales avec Pie XII et ses collaborateurs pendant la Seconde Guerre mondiale».
Le Saint-Siège au côté du peuple juif dès le début du XXe siècle
Le secrétaire d'Etat a expliqué qu'il souhaitait rappeler ces documents de 1916 et 1919 et l'amitié de Mgr Pacelli avec les juifs du monde entier, «pour souligner que le Saint-Siège avait déjà pris position en faveur du peuple juif au moment de la Première Guerre mondiale. Et pendant la Seconde Guerre mondiale, le Pape a appelé un nombre considérable de catholiques des instituts religieux à défendre les juifs par tous les moyens, en participant même à la résistance contre le fascisme et le nazisme». Les récentes découvertes faites au Vatican, mais aussi dans d'autres archives, «ont permis à tout le monde de mieux comprendre comment de nombreux documents historiques ont été manipulés dans la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale».
La voie de la «résistance non déclarée» de Pie XII
Grâce à l'ouverture des archives, a poursuivi le cardinal Parolin, «il est devenu clair que le Pape a suivi à la fois la voie de la diplomatie et celle de la résistance non déclarée. Cette décision n'était pas apathique et inactive», mais comportait au contraire de grands risques pour toutes les personnes impliquées. Les historiens ont encore des années de travail devant eux, a conclu le secrétaire d'État, en espérant «qu'ils continueront à faire la lumière sur l'une des périodes les plus discutées et les plus délicates du pontificat de Pie XII».
Intervention du grand rabbin de Rome
Riccardo Di Segni, grand rabbin de la communauté juive de Rome, a ensuite pris la parole pour inviter à «une distinction entre l'émotion et l'histoire, car il faut un certain détachement pour examiner les faits. Il y a une dimension religieuse différente de la dimension politique, entre les grands événements de l'histoire et les innombrables histoires individuelles. Le déroulement même des événements est différent du plan moral». Il a affirmé que sous le pontificat de Pie XII, «la souffrance du peuple juif était théologiquement justifiée. Mais une explication de la dynamique est une chose, un jugement moral en est une autre». Le dialogue judéo-chrétien, a conclu Riccardo Di Segni, est né d'une révision, grâce au Concile Vatican II, «de positions qui ont créé de grandes souffrances dans l'histoire».
Pie XII ne parle pas d'«extermination»…
Après les discours d'introduction, la première session a porté sur les motivations et les décisions de Pie XII face au fascisme, au nazisme et au communisme, dans une tentative d'équilibrer ses rôles de chef de l'Église et du Saint-Siège. Intervenant sur le thème "Mots, silences et malentendus dans les documents de Pie XII", Giovanni Coco, archiviste des archives apostoliques du Vatican, a rappelé qu'en novembre 1945, Pie XII avait eu sa première audience avec un groupe de juifs. Il s'agissait de survivants des camps de concentration venus exprimer leur profonde gratitude pour l'aide qu'ils avaient reçue de l'Église catholique. Dans son discours, rappelle l'universitaire, le Pape s'est montré compatissant, a mentionné les «passions racistes» qui avaient «englouti d'innombrables victimes innocentes» en raison de leur «race», mais a soigneusement évité de faire une référence explicite au mot «extermination».
Mais de «massacres en haine de la race»
Ce silence persistant sur la Shoah, poursuit Giovanni Coco, fait l'objet d'une longue controverse historique, qui dure depuis un demi-siècle. Le débat sur l'attitude du Pape a impliqué des historiens, des philosophes et des théologiens, même si auparavant les documents complets du Vatican n'étaient pas directement disponibles, à l'exception de la sélection publiée dans les Actes et Documents du Saint-Siège relatifs à la Seconde Guerre mondiale.
«L'ouverture récente des Archives du Vatican pour le pontificat de Pie XII a enfin permis l'accès à l'ensemble des documents. Et maintenant, les documents pourront révéler, explique l'archiviste, comment des concepts tels que l'antisémitisme, l'extermination et le silence se sont formés dans l'esprit du Pape Pacelli et de l'Église de l'époque». Pour Giovanni Coco, cela a certainement été influencé par la prudence excessive de Mgr Angelo Dell'Acqua, chargé du dossier sur les juifs à la Secrétairerie d'État, pour qui la nouvelle de l'Holocauste était une «exagération juive». Il n'est pas vrai, conclut-il, de dire que la Shoah n’a pas affecté le magistère catholique. En effet, Pie XII a parlé de «massacres par haine raciale» et des «horreurs des camps de concentration», mais pas d'«extermination» en 1953, dans un discours aux juristes. Jusqu'à la fin, Pie XII a été «animé d'une saine inquiétude pour une blessure qui n'est pas encore guérie».
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