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Loïc Rossier, Vice-Commandant de la Garde suisse pontificale Loïc Rossier, Vice-Commandant de la Garde suisse pontificale  (Oliver Sittel )

Garde suisse: les défis du recrutement et du prochain Jubilé

Après deux ans et demi de service, le Vice-Commandant de la Garde suisse pontificale, Loïc Rossier fait le point sur son mandat marqué par des défis et des expériences stimulantes.

Romano Pelosi - Cité du Vatican 

En poste au Vatican depuis un peu plus de deux ans, Loïc Rossier, Vice-Commandant de la Garde suisse pontificale, a amené avec lui de précieuses compétences acquises au sein de la police suisse, qui ont renforcé son rôle de responsable. «Un officier doit être un modèle et un éducateur», souligne le Valaisan de 34 ans, qui dresse dans un entretien avec les médias du Vatican, un tableau vivant de ses responsabilités au sein de la plus ancienne armée du monde.

Monsieur le Lieutenant-Colonel, comment avez-vous vécu votre retour à la Garde suisse en tant que Vice-Commandant?

Ce retour s'est très bien passé, bien que ça a été un certain bouleversement, il faut dire que de passer d'une réalité helvétique à un retour dans la ville éternelle, ça ne faisait pas partie de mes plans de carrière, mais parfois, la Providence nous réserve quelques surprises. J'ai pu m'appuyer sur mon expérience militaire et mes années au sein de la police judiciaire du canton de Vaud. Cette expérience m'a passablement aidé à reprendre ses fonctions de Vice-Commandant.

Le Vice Commandant Loïc Rossier
Le Vice Commandant Loïc Rossier

Quelles sont les valeurs et les principes qui vous guident dans votre travail quotidien, et comment cela influence votre style de management au sein de la Garde Suisse?

Je pense qu'il est important, en tant qu'officier, d'être un modèle social envers les jeunes gardes suisses qui nous sont confiés. J'ai toujours eu pour principe d'essayer d'appliquer ce que le Maréchal Lyautey avait décrit au XIXᵉ siècle, c'est-à-dire le rôle social de l'officier. L'officier se doit d'être un modèle comme éducateur. Il doit être capable d'élever les âmes et d'apporter également des qualités sociales à sa troupe. Je pense que ce rôle d'éducateur me plaît énormément car j'ai la possibilité, notamment par mes fonctions, de transmettre un certain savoir et certaines valeurs qui nous sont chères, et ainsi de permettre à ces jeunes de faire leur service de manière adéquate pour le Successeur de Saint Pierre.

Quel profil doit avoir un garde suisse aujourd'hui en 2024? Quelles sont les qualités et les compétences requises?

Alors la particularité de la Garde Suisse, c'est qu'elle a cette capacité d'allier tradition et modernité. Nous vivons cela au quotidien, durant notre service. Le jeune suisse doit aussi être ouvert à une réalité multiculturelle. C’est-à-dire, vivre dans la ville éternelle, être confronté aux milliers de pèlerins qui viennent chaque jour demander des renseignements, être confrontés aux collaborateurs qui travaillent au Saint- Siège, qui sont issus de différentes nationalités. Il faut que le jeune garde ait cette sensibilité. Ensuite, chaque jeune suisse qui revêt l'uniforme de la Garde Suisse, remplit plusieurs critères qui sont demandés lors du recrutement. Le candidat recruté doit avoir achevé une formation obligatoire ou un baccalauréat en Suisse, cela nous permet d'avoir dans nos rangs des jeunes suisses formés. Le futur garde doit également être catholique romain, avoir achevé son service militaire obligatoire en Suisse, avoir un casier judiciaire vierge, ce qui nous garantit que le candidat a une bonne moralité. Disons que tous ces critères sont très importants. Lorsque le jeune garde suisse vient à Rome, il a également la possibilité de développer d'autres compétences, notamment durant ces deux années de service obligatoire ou plus, s'il désire rester plus longtemps au sein du Corps.

Loïc Rossier aux côtés du pape François au Sud-Soudan en 2023
Loïc Rossier aux côtés du pape François au Sud-Soudan en 2023

Quels sont les défis auxquels la Garde suisse pontificale est actuellement confrontée?

Les défis sont nombreux. Le défi principal, est notamment lié au recrutement. La Garde Pontificale en tant que corps historique, a cette particularité qui fait que les gardes suisses ont la possibilité d’intégrer le Corps tout au long de l'année. En effet, nous avons trois écoles de recrues durant l'année au sein de la Garde Suisse, ce qui fait que nous avons un certain défi en termes de formation. Il faut constamment former les nouveaux arrivés, et s’assurer également que nous soyons capables de maintenir l'effectif de la Garde. La mission qui nous est donnée de protéger le Souverain Pontife et sa résidence, ainsi que les autres missions de la Garde Pontificale, sont des missions permanentes. C'est une des raisons pour laquelle le défi principal est le recrutement, car il faut maintenir l'effectif et être sûr que nous avons toujours de jeunes suisses formés au sein de nos rangs afin de pouvoir continuer notre mission pluriséculaire au service du Saint-Père.

La Garde suisse pontificale
La Garde suisse pontificale

Comment la Garde suisse fait-elle face à la baisse de la religiosité en Suisse afin de continuer à attirer les jeunes au service?

Effectivement, c'est une problématique qui ne touche pas uniquement la Suisse. C'est un problème, je pense, qui est occidental. Actuellement, si nous regardons dans l'Europe, nous avons une perte de repères au niveau des valeurs et aussi au niveau de la foi. Je pense que la Garde Suisse permet d'être un peu un phare. Nous pourrions faire une allégorie d'un phare dans un port qui maintient certaines valeurs. Je pense que les jeunes actuels sont aussi intéressés à justement s'impliquer dans un service qui représente certaines valeurs dans lesquelles la société actuelle se perd.

Cette crise des vocations fait part de nos défis quotidiens. Cette crise aussi que nous vivons en Suisse avec les sorties dans l'Église, c'est l'une des raisons pour laquelle nous nous efforçons d'être présents en Suisse, notamment en faisant de la promotion lors de divers événements, lors de foires professionnelles, etc. Nous essayons d'assurer cette présence et de montrer que la Garde Suisse existe, afin d'éveiller un intérêt chez les jeunes pour qu'ils puissent venir chez nous effectuer ce service au sein de l'Église catholique romaine.

Loïc Rossier accompagne le Pape François lors de sa visite au Canada en 2022
Loïc Rossier accompagne le Pape François lors de sa visite au Canada en 2022

Je me souviens d'une citation d'un ex-conseiller fédéral renommé qui était présent à une assermentation et qui disait: «la Garde Suisse, c'est la carte de visite de la Suisse». Donc, quel est l'impact du service de la Garde Suisse sur l'image du Pape et du Vatican dans le monde?

Comme vous l'avez dit, la Garde Suisse est la carte de visite non seulement de la Suisse, mais dans tous les cas, elle est la première carte de visite du Saint-Père et du Vatican notamment. C'est une des raisons pour laquelle il est important d'avoir des jeunes qui sont toujours accueillants, qui sont toujours prêts à répondre aux demandes des pèlerins, des fidèles qui viennent au Vatican, cela fait partie intégrante des valeurs que je m'efforce, en tant que Vice-Commandant, d'inculquer aux jeunes gardes suisses qui revêtent notre uniforme. Il est vraiment essentiel de pouvoir représenter le Saint-Père toujours sous notre meilleur jour, lorsque nous remettons notre uniforme. Nous sommes vraiment, comme je l'ai dit, cette carte de visite, et c'est par notre service que nous pouvons témoigner de l'importance d'être au service du successeur de Pierre.

Loïc Rossier commande le piquet d’honneur sur le parvis de la place Saint-Pierre à l'occasion de la bénédiction de Noël Urbi et Orbi du Pape.
Loïc Rossier commande le piquet d’honneur sur le parvis de la place Saint-Pierre à l'occasion de la bénédiction de Noël Urbi et Orbi du Pape.

Que signifie la prochaine Année Sainte 2025 pour la Garde Suisse?

Le Jubilé de 2025 est un défi, comme tous les Jubilés. Le dernier grand Jubilé a eu lieu à Rome, il y a 25 ans, sous le pontificat de Jean-Paul II. Il faut dire qu'en 2016, le Pape François a institué le Jubilé de la miséricorde, qui était certes un très grand Jubilé, mais qui était d'une configuration bien différente que le Jubilé ordinaire. Le Jubilé que nous nous apprêtons à vivre va être un certain bouleversement pour la ville de Rome, mais également pour la Garde Suisse en termes de service. Il va y avoir énormément de services, et je pense que l'une des caractéristiques importantes pour un jeune garde est de savoir faire preuve d'abnégation, c'est-à-dire d'être capable de mettre ses intérêts personnels de côté pour le bien de la communauté. Pour rappel, le Jubilé va amener environ 45 millions de pèlerins dans la ville éternelle, ce qui représente un défi, un défi énorme. Et il faut être prêt et il faut savoir vivre, ce temps particulier.

La Garde suisse assure la sécurité rapprochée du Pape
La Garde suisse assure la sécurité rapprochée du Pape

Comment cela va-t-il se passer pour la Garde Suisse dans la nouvelle caserne? Les plans vous plaisent?

C’est également un très grand projet qui a été démarré par le Commandant, le Colonel Christoph Graf. C'est un projet ambitieux et je pense que c'est un projet nécessaire pour pérenniser la Garde Suisse Pontificale au sein du Vatican. Ce projet est extrêmement important, notamment du fait de l'augmentation de l'effectif qui a été voulue sous le pontificat du Pape François. Pour rappel, l'effectif était de 110 hommes. Mais en 2018, le Saint-Père a souhaité augmenter cet effectif de 25 personnes supplémentaires. Nous pourrions donc être jusqu'à 135 hommes dans une caserne qui a été conçue à différentes époques et qui n'est malheureusement plus adaptée. Il faut également le rappeler, le Vatican est une colline, et la caserne est bâtie au bas de cette colline qui est également le point de déversement des eaux. Ce qui donne aussi un certain défi pour la reconstruction de cette caserne car actuellement, les fondations de la caserne sont gangrénées, si je puis m'exprimer ainsi, par l'eau qui stagne, et cela donne énormément d'humidité dans les bâtiments. D'où ce projet ambitieux de reconstruire une caserne qui durera dans les années à venir, et qui sera à même de pouvoir abriter l'armée du Saint-Père et nous permettre de pouvoir le servir convenablement.


Permettez-moi une deuxième question un peu plus critique. Après l'assermentation en 2024, des voix se sont élevées dans les médias pour discuter des femmes dans la garde suisse. Comment voyez-vous la question des femmes dans la Garde Suisse Pontificale?

C'est une question légitime. C'est une question de société. Je comprends que la société évolue. Il est important de rappeler que la décision d’avoir des femmes au sein du corps de la Garde Suisse est uniquement réservée à la personne du Souverain Pontife.

loïc Rossier aux coté du Pape lors de l'arrivée du Pape en papamobile au milieu des fidèles
loïc Rossier aux coté du Pape lors de l'arrivée du Pape en papamobile au milieu des fidèles

Parlons encore un de vos tâches principales, les voyages du Saint-Père à l'étranger. Le Pape va bientôt entamer son plus long voyage à l'étranger de son pontificat, au cours duquel il sera accompagné de quelques gardes, et vous aurez à chaque fois le commandement de cette troupe à l'étranger. Comment se déroule les préparatifs pour ces voyages?

Alors, au niveau des préparatifs des voyages, nous travaillons en collaboration avec le protocole de la Secrétairerie d'État et également en étroite collaboration avec le Corps de la Gendarmerie du Vatican. Ce sont nos homologues en termes de sécurité au niveau du Vatican. Lorsque nous partons à l'étranger, nos deux corps travaillent en harmonie et nous devenons la sécurité vaticane. La conduite est gérée par la Gendarmerie, c'est-à-dire que le Commandant de la Gendarmerie a le lead exclusif de la sécurité vaticane. Toutefois, au niveau de la Garde, bien évidemment, j'assume le commandement et le choix aussi des gardes qui accompagnent Sa Sainteté. Ce sont toujours des voyages très exigeants en termes de préparatifs. Il faut dire que les collègues gendarmes ont énormément de travail notamment sur les aspects sécuritaires et logistiques mais nous travaillons également en commun pour garantir le succès de chaque voyage apostolique.

Loïc Rossier dans le studio de Radio Vatican
Loïc Rossier dans le studio de Radio Vatican

Comment se déroule un tel voyage? Où sont les défis?

Les défis sont nombreux dans un voyage apostolique. Comme je l'ai évoqué plus tôt, ils sont logistiques. Il y a énormément de défis logistiques en termes de vol, en termes d'hébergement et j'en passe. Il faut être à même de pouvoir travailler en harmonie avec les corps de sécurité des pays hôtes qui nous accueillent. Il n'est pas toujours évident de faire comprendre la particularité de la personne du Saint-Père, car il n'est pas uniquement chef d'État. Le Pape est avant tout un prêtre qui a besoin également d'avoir un contact particulier avec le peuple de Dieu. Je peux vous garantir que cela donne certaines sueurs froides de temps en temps à certains collègues d'autres pays, car cette particularité n'est pas concevable car elle est tout simplement unique au monde. Il est vrai que lors des voyages, il est important de trouver un juste équilibre entre la sécurité et le fait de pouvoir rencontrer les fidèles. Il est important de pouvoir garantir au Saint-Père la possibilité d’exercer librement son ministère et de pouvoir rencontrer des fidèles catholiques à l'autre bout de la planète tout en lui garantissant un contact privilégié avec ces derniers.

La Garde suisse et son potentiel de « phare d'orientation » - Le vice-commandant en exercice (Jessica Krämer)
La Garde suisse et son potentiel de « phare d'orientation » - Le vice-commandant en exercice (Jessica Krämer)

Et maintenant la dernière question: quelle a été pour vous jusqu'à présent le voyage le plus impressionnant? Comment percevez-vous le Pape lors de ces voyages?

Pour ma part, bien évidemment en tant que catholique romain, c'est une joie de pouvoir être au service du Saint-Père. C'est une bénédiction. Il est également pour moi une source d'inspiration. En effet, voir le Saint- Père avec son âge avancé être capable de faire preuve de tant de résilience, de pouvoir rencontrer tant de personnes et de toujours pouvoir démontrer cette attention particulière qu'il arrive à démontrer à chaque personne qu'il rencontre, ce sont pour moi des moments uniques. De même que de voir aussi l'émotion des fidèles lorsqu'ils rencontrent le Successeur de Pierre. Ce sont vraiment des moments très émouvants et tout simplement uniques. Pour moi, un des voyages qui m'a le plus marqué est bien évidemment mon premier voyage en tant que Vice-Commandant qui a eu lieu en 2022, au Canada. Toutefois, je pense que si je devais citer un des voyages qui m'a pour le moment vraiment bouleversé, c'est le voyage en Afrique. Je pense que l'Afrique a été un pays avec énormément de réalités et c'est un voyage où j'ai pu remarquer que malgré la pauvreté et malgré le fait que les gens ont toujours profité de l'Afrique, voir la joie des africains, notamment en République Démocratique du Congo, c’était magnifique. En Occident, avec toute la richesse que nous avons, avec tout ce bien être que nous avons à profusion, nous avons perdu complètement le sens des valeurs et le sens aussi moral de temps en temps de certaines choses. Lors du voyage en Afrique, la joie des africains lorsqu’ils ont vu le Saint-Père m'a vraiment bouleversé. C’était beau de voir cet accueil, de voir des millions de personnes le long des rues. C'était vraiment un voyage qui était impressionnant.

Loïc Rossier et le commandant de la gendarmerie vaticane, Gianluca Gauzzi Broccoletti (à gauche), collaborent étroitement lors des voyages du Pape à l'étranger, comme ici lors des Journées Mondiales de la Jeunesse à Lisbonne en 2023.
Loïc Rossier et le commandant de la gendarmerie vaticane, Gianluca Gauzzi Broccoletti (à gauche), collaborent étroitement lors des voyages du Pape à l'étranger, comme ici lors des Journées Mondiales de la Jeunesse à Lisbonne en 2023.


 

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27 août 2024, 14:55