Saint-Jean-de-Latran: une basilique jubilaire célébrant le triomphe du Christ
Maria Milvia Morciano – Cité du Vatican
Dans la basilique Saint-Jean-de-Latran, la plus ancienne d’Occident, la Résurrection triomphe. On le voit bien même de loin: au sommet de la façade de l’église se dresse la statue du Ressuscité qui lève le bras et tend la main, attirant vers lui l’humanité. La basilique est reliée par de longues allées aux basiliques Sainte-Marie-Majeure et Sainte-Croix-de-Jérusalem. La première représente la naissance, tandis que la seconde témoigne de la passion et de la mort du Seigneur; ensemble, elles forment un triangle spirituel qui parle du Christ.
Et, à l’intérieur de l’église du Latran, son visage se détache dans le bassin de l’abside, œuvre créée par Jacopo Torriti au XIIIe siècle puis remaniée entre 1876 et 1886 sous Léon XIII. Ce visage du Sauveur reprend à grande échelle celui conservé dans la proche chapelle Sancta Sanctorum.
La première dédicace de la basilique fut au Christ Sauveur, puis avec le Pape Grégoire le Grand l’on ajouta Jean l’Évangéliste et Jean-Baptiste. Elle est considérée comme la mère de toutes les églises: c’est la première, voulue par l’empereur Constantin, au lendemain de la victoire du pont Milvius en 313. C’est précisément ici, dans cette basilique, que les chrétiens purent cesser de se cacher et professer librement leur foi pour la première fois.
Aménagement des espaces urbains
Saint-Jean-de-Latran occupe une place essentielle dans la géographie des hauts-lieux de la papauté. En effet, la procession d’intronisation du Pape partait du tombeau du Prince des Apôtres et se terminait dans la basilique Saint-Jean-de-Latran par la prise de possession de la chaire, en qualité d’évêque de Rome. Cet itinéraire, hautement symbolique car passant également par le Colisée, lieu du martyre des premiers chrétiens, et la colline du Capitole, lieu du pouvoir de l’Empire romain puis de la municipalité de Rome, est documenté pour la première fois en 858 avec le Pape Nicolas Ier.
Lors du deuxième Jubilé, celui de 1350, Clément ajouta la basilique Saint-Jean-de-Latran à celles de Saint-Pierre et Saint-Paul. Le parcours des Papes était calqué par les itinéraires jubilaires, bifurquant au fil du temps vers d’autres basiliques, Sainte-Marie-Majeure d’abord, devenue la quatrième basilique prescrite dans les visites que les pèlerins devaient faire à plusieurs reprises pour obtenir l’indulgence.
Lien entre Saint-Pierre et Saint-Jean-de-Latran
Lors du premier Jubilé, Boniface VIII vivait encore au Latran, et sa bulle d’indiction Antiquorum Habet Fida Relatio porte la date du 17 février 1300 à la résidence, conformément au règlement de la chancellerie. Mais quelques jours plus tard, le Pape décida de la promulguer une deuxième fois et au bas du document est écrit Datum Romae apud S. Petrum, «donné à Rome à Saint-Pierre». Cette oscillation entre les deux pôles, le Vatican et le Latran, laisse entrevoir le caractère éminemment pétrinien qui, selon Boniface, devait caractériser le Jubilé, mais aussi l’attraction irrésistible exercée par le lieu saint au-delà du Tibre sur les fidèles qui allaient prier sur le tombeau de l’Apôtre et vénéraient le célèbre Voile de Véronique. Tout cela fut scellé le 22 février, fête de la Chaire de Pierre, lorsque le Souverain pontife se rendit à Saint-Pierre et, de manière solennelle, habillé d’une splendide chasuble de soie dorée, annonça l’indulgence du Jubilé et déposa la bulle sur l’autel de l’Apôtre.
La fresque de Giotto
Un symbole typique du Jubilé est le fragment de fresque trouvé dans le premier pilier à droite de la basilique représentant le Pape Boniface VIII à une loggia dans l’acte de bénir ou de prononcer une allocution, ce qui est généralement interprété comme l’indiction du Jubilé. D’après une copie de Jacopo Grimaldi conservée dans un manuscrit de la Bibliothèque Ambrosienne (Instrumenta translationum, ms. 1622, f. inf 227), on peut reconstituer l’aspect originel de la fresque, bien plus grande que la portion connue: le Pape Boniface s’adresse à la foule du haut de la loggia du Latran, ayant à ses côtés un clerc et un cardinal, peut-être Francesco Caetani. Hors du baldaquin papal se trouvent de nombreux prélats disposés en deux groupes symétriques à droite et à gauche. De plus, en 1570, l’historien Onofrio Panvinio rappelait que la scène faisait partie d’un véritable cycle pictural avec le baptême de Constantin et la construction de la basilique du Latran, précisant que le lieu originel se trouvait dans la loggia appelée thalamo ou pulpitum Bonifacii, correspondant à l’actuelle loggia des bénédictions, qui, dans une première rédaction, fut faite construire par le Pape lui-même sur la façade du palais ajouté à l’ancien Latran.
La fresque fut commandée à l’époque du premier Jubilé ou en tout cas vers l’an 1300. Quoi qu’il en soit, plusieurs études ont proposé une réinterprétation du sujet iconographique, identifié plutôt comme la cérémonie des «malédictions» qui avait lieu le Jeudi Saint, en l’occurrence le 7 avril de la même année, et qui frappa la famille Colonna et Philippe de France, ou la deuxième bulle jubilaire du 22 février 1300, promulguée le même jour que Antiquorum Habet Fida Relatio, centrée précisément sur l’exclusion des ennemis de l’Église du bénéfice des indulgences. Cette deuxième interprétation donnerait une signification politique évidente à la fresque.
Un urbanisme adapté aux pèlerins
Au fil des siècles, plusieurs interventions s’enchaînèrent pour créer un réseau routier facilitant le chemin des pèlerins, comme le projet d’urbanisme de Sixte V assisté par Domenico Fontana, qui s’étendait vers le Colisée et Saint-Jean, et prévoyait un tracé routier en forme d’étoile dont les pointes étaient les basiliques, mais qui ne fut pas réalisé, puis le projet de Grégoire XIII en vue du Jubilé de 1575.
La basilique était le cœur d’un complexe de bâtiments qui s’élevait autour d’elle, appelé Patriarchio, où les Papes vécurent depuis l’époque de Constantin, sauf pendant la période d’Avignon, de 1309 à 1377. A la fin du XIVe siècle, la cour pontificale commença à se déplacer au Vatican, également parce que la forteresse du château Saint-Ange garantissait une protection imprenable en cas de danger.
L’importance, voire le caractère exceptionnel du Latran s’exprime dès sa définition, que l’on retrouve dans certaines inscriptions de la façade principale: Omnium Urbis et Orbis Ecclesiarum Mater et Caput, soit «Mère et chef de toutes les Églises de Rome et du monde» et qui se reflète dans les sources, à partir du Liber Pontificalis: «Riche et splendide en or et en marbre, à l’imitation du palais des Césars, la basilique s’appelait aurea». Dans son dictionnaire géographique, l’érudit arabe Yaqout al-Rumi, qui vécut entre le XIIe et le XIIIe siècle, décrit les étonnantes merveilles de Rome. Il dresse une liste des églises et attribue la plus grande importance à Saint-Jean, qu’il appelle «des nations» c’est-à-dire Ecclesia universalis.
Yaqout al-Rumi ajoute que Saint-Jean est aussi l’église la plus précieuse et décrit avec admiration les innombrables portes dont quarante sont en or, une forêt de colonnes en marbre splendide ou en bronze doré, un autel serti d’émeraudes et aussi des statues d’or aux yeux de rubis. Il ne s’intéresse pas aux reliques hormis celles appartenant à la sphère juive comme le bâton de Moïse, les restes des tables de la Loi et de l’Arche d’Alliance. Des siècles plus tôt, le Liber Pontificalis avait également évoqué les donations faites par Constantin pour lui conférer la magnificence impériale.
Une œuvre en constante évolution
Le plan actuel de l’église suit celui de Constantin et est divisé en cinq nefs. Elle a toujours été, au fil du temps, embellie d’œuvres d’art de grande valeur, également grâce à des donations très bien documentées par les sources, comme le Liber Pontificalis. Au fil du temps, elle a subi des destructions et des pillages. En 1300, avec Boniface VIII, de nouveaux travaux furent entrepris à l’occasion du premier Jubilé de l’histoire, peut-être même avec des fresques réalisées par Giotto. Encore une fois le Pape Innocent X en commanda une réorganisation totale pour le Jubilé de 1650, désignant Francesco Borromini comme architecte.
La nef centrale fut caractérisée par des proportions gigantesques, et les nefs latérales par des perspectives claires et essentielles. À partir de la fin de 1702, les niches que Francesco Borromini réalisa dans les piliers en forme de tabernacle accueillirent les statues des douze apôtres, inspirées principalement des dessins du peintre Carlo Maratta. Le Pape Clément XII fit ajouter la façade grandiose, couronnée de quinze énormes statues, dessinée par Alessandro Galilei et achevée en 1734. Les dernières grandes interventions eurent lieu avec Pie IX, au XIXe siècle, qui restaura le tabernacle et la confession, puis avec Léon XIII, qui, entre 1876 et 1886, chargea l’architecte Francesco Vespignani de démolir l’abside et de la reconstruire plus en arrière. À cette occasion, la mosaïque de Jacopo Torriti fut démontée, remontée et fortement retravaillée.
Les très saintes têtes de Pierre et Paul
Pourtant ce sont les reliques qui intéressent et attirent le plus les pèlerins. Selon certaines sources, aucune église ne possédait plus de reliques que la basilique de Saint-Jean. Au XIIe siècle, l’abbé islandais Nikulas de Munkathvera écrivait: «On dit que Rome mesure quatre milles de long et deux milles de large. Il y a cinq évêchés. L’un se trouve à l’église de Saint-Jean-Baptiste. C’est là que se trouve la chaire pontificale et que sont conservés le sang du Christ et sa tunique, la robe de Marie et une grande partie des ossements de saint Jean-Baptiste; il y a le prépuce de l’Enfant Jésus et le lait du sein de Marie, des fragments de la couronne d’épines du Christ et de sa tunique et bien d’autres reliques sacrées, conservées dans un grand vase d’or».
Les reliques les plus précieuses restent les têtes de Pierre et Paul, conservées dans des bustes en argent, placés en haut et visibles à travers une grille dorée, au-dessus de l’architrave qui soutient le toit du tabernacle gothique, conçu par Giovanni di Stefano en 1367. Ces bustes-reliquaires furent réalisés au début du XIXe siècle, tandis que les originaux, datant de 1370 sous le pontificat d’Urbain V (1362-1370), furent fondus à la fin du XVIIIe siècle pour payer l’indemnité de guerre à la France napoléonienne à la suite du traité de Tolentino de 1797. Juste en-dessous du tabernacle, au bout de l’escalier hélicoïdal, se trouve le tombeau du Pape Martin V qui voulut être enterré à l’ombre des très saintes reliques.
En outre, l’autel en marbre en englobe un deuxième en bois, sur lequel, selon la tradition, l’apôtre Pierre aurait célébré la Messe. Cette dernière relique fait contrepoint aux restes de la table, également en bois, de la Cène, située à gauche du maître-autel, dans une pièce non accessible, au niveau du relief en argent réalisé par Curzio Vanni au XVIe siècle. Ce qui est sûr, c’est que la présence de ces deux reliques similaires au sein d’une même basilique matérialise une symbolique importante: la continuité du mystère de l’Eucharistie, du Christ à Pierre.
Les symboles anciens du passé se transforment dans le présent
Devant ou à l’intérieur de la basilique elle-même, les sources historiques et iconographiques témoignent de la présence de plusieurs œuvres de la Rome ancienne, exaltant une fois de plus l’importance du Latran. La louve du Capitole, célèbre sculpture en bronze aujourd’hui conservée dans les Musées du Capitole, représente le symbole de la ville. Elle arriva au Capitole grâce à la donation de Sixte IV. Les premières informations certaines sur cette statue remontent au Xe siècle, lorsqu’elle était enchaînée sur la façade ou à l’intérieur du palais du Latran: dans le Chronicon de Benoît de Soracte, qui date de la même époque, le moine décrit l’établissement d’une cour suprême de justice «au palais du Latran, au lieu appelé […] c’est-à-dire la mère des Romains». Des procès et des exécutions «à la louve» ont été enregistrés jusqu’en 1450. La Louve était conservée avec d’autres monuments du passé, comme l’inscription en bronze de la Lex de imperio Vespasiani, qui étaient exposés comme des reliques, le symbole de passage entre le passé et le présent du monde païen au monde chrétien, de l’empire romain à la papauté.
Un autre témoignage exceptionnel provenant de l’antiquité se trouve à l’entrée de la nef centrale, fermée par la superbe porte en bronze du Ier siècle avant J.-C., qui appartenait à la Curie Julienne, l’ancien siège du Sénat romain dans le forum. Elle fut démontée en 1656 par Alexandre VII et restaurée par Francesco Borromini, qui y ajouta les symboles héraldiques de la famille Chigi, des étoiles et des glands.
La présence de la sculpture en bronze de Marc Aurèle au Latran est enregistrée depuis le Xe siècle, mais il est probable qu’elle fut là depuis au moins la fin du VIIIe siècle, lorsque Charlemagne voulut reproduire l’aménagement du Campus Lateranensis. En janvier 1538, par ordre du Pape Paul III Farnèse, la statue fut transférée sur la colline du Capitole, devenue depuis 1143 le siège des autorités de la ville. Dans la basilique Sainte-Marie-sur-la-Minerve, dans la chapelle Carafa, peinte par Filippino Lippi entre 1488 et 1493, au fond à gauche, devant la vue sur le Latran, se détache la sculpture de l’empereur romain, offrant ainsi un aperçu de son époque. La basilique et les palais du Latran ont été représentés en d’innombrables vues, notamment dans des aquarelles et des gravures qui reflètent la passion des voyageurs du Grand Tour au XVIIIe siècle.
L’obélisque de la place Saint-Jean-de-Latran mesure 32,18 mètres de haut et atteint 45,70 mètres avec la base. Il remonte à l’époque des pharaons Thoutmôsis III et Thoutmôsis IV, donc au XVe siècle avant J.-C. Il provient du temple d’Amon-Rê à Thèbes en Égypte. Il fut amené à Rome par l’empereur Constance II en 357 et placé par le praefectus urbis, le préfet de Rome, Memmio Vitrasio Orfito, sur l’axe du Cirque Maxime. Il fut redécouvert en 1587, avec l’obélisque Flaminio, et fut transporté et érigé à son emplacement actuel par l’architecte Domenico Fontana à la demande du Pape Sixte V.
La Porte Sainte du Latran
La porte latérale droite de la façade de la basilique est en bronze foncé, presque étincelant, mais le petit pied de l’Enfant Jésus et la main de la Vierge brillent clairement de loin, signe du passage des fidèles et de leur geste de dévotion qui les conduit à toucher l’image sacrée, au plus haut qu’ils le peuvent.
En l’an 2000, à l’occasion du Jubilé, saint Jean-Paul II voulut doter la basilique du Latran d’une nouvelle Porte Sainte. Œuvre du sculpteur Floriano Bodini, élève de Francesco Messina, elle possède un seul battant en bronze et mesure 3,6 mètres de haut et 1,9 mètres de large. Toute la porte est traversée par une grande croix. Au-dessous du Christ, au visage douloureux et aux larges mains abandonnées, s’inscrivent la Vierge qui embrasse tendrement son Fils et accorde une bénédiction de la main droite, à la manière latine. En bas se trouvent les armoiries pontificales.
Des plaques sur la porte marquent chacune le passage d’un Souverain pontife par la Porte Sainte à l’occasion de Jubilés précédents. Elles sont simples, plutôt petites mais émouvantes, également parce que chacune a été écrite avec les caractères épigraphiques typiques de chaque période correspondante, marquant son époque. Le 29 décembre prochain, le Pape François ouvrira la Porte Sainte de Saint-Jean-de-Latran qui sera refermée et murée le dimanche 28 décembre 2025.
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