Matteo Ricci, figure de l’inculturation et «pont entre la Chine et l’Occident»
Delphine Allaire – Cité du Vatican
Le cardinal Pietro Parolin a fait le choix d'une réflexion sur l’actualité et l’importance de Matteo Ricci (1552-1610), s'appuyant sur la pensée des trois derniers Papes, en commençant par Jean-Paul II. Lors d'un discours prononcé à Manille en 1981, s'adressant à toutes les communautés catholiques chinoises d'Asie, le Pape polonais déclarait: «Le père jésuite Matteo Ricci a pleinement compris et apprécié la culture chinoise dès le début, et son exemple devrait être une source d'inspiration pour beaucoup». L’année suivante fut une «année Ricci», marquant le 400e anniversaire de l’arrivée du jésuite dans l’Empire du milieu.
L'inculturation, une double dimension personnelle et évangélique
À cet égard, le discours de Jean-Paul II prononcé en ces lieux mêmes, à la Grégorienne le 25 octobre 1982, fut selon le cardinal Parolin «le plus complet et le plus riche» consacré au grand missionnaire italien. Il y parle du père Ricci comme d'un «véritable pont entre les deux civilisations, européenne et chinoise», saluant son profond processus d’inculturation dans les réalités chinoises. Deux dimensions en émanent: une «personnelle», qui fait référence aux expériences, aux réflexions sur le contexte culturel et à l'adoption du style de vie des lettrés pour pénétrer au cœur même de la société chinoise. Jean-Paul II souligne que l'inculturation du père Ricci n'est pas seulement le résultat d'un travail intellectuel, mais aussi d'une conduite de vie exemplaire et vertueuse, d'un «témoignage personnel de vie». De l'inculturation personnelle, le père Ricci et ses compagnons sont passés, naturellement et spontanément, à l'inculturation du message évangélique, seconde dimension. Une étape cruciale dans l’histoire de l’évangélisation que l’ancien archevêque de Cracovie compare à celle des Pères de l’Église pour la culture grecque.
Bons chrétiens et bons citoyens
«Matteo Ricci a été convaincu à juste titre que la foi dans le Christ ne porterait aucun préjudice à la culture chinoise, mais l'enrichirait et la perfectionnerait». Et le cardinal Parolin d’insister sur cette phrase répétée par le Pape François: «Il n'y a pas de contradiction entre le fait d'être un bon et fidèle citoyen chinois et le fait d'être chrétien.»
Enfin, Jean-Paul envoyait un message clair aux autorités chinoises dans un discours en octobre 2001 pour les 400 ans de l’arrivée du jésuite dans la Cité interdite. Reconnaissant «des erreurs et des limites du passé», notamment la canonisation de martyrs chinois le jour de la fête nationale de la République populaire, il exprimait le souhait d'ouvrir des voies de communication et de dialogue entre l'Église et la République Populaire de Chine; cela, malgré des siècles de vicissitudes et de tragédies, telles que la controverse ecclésiale sur les rituels chinois et à ses conséquences, l'arrogance du colonialisme occidental et à son imbrication avec les missions chrétiennes, la violence des réactions xénophobes, au rejet du christianisme et de l'Église comme étrangers à la culture et aux intérêts du peuple chinois, autant d’exemples cités par le cardinal Parolin.
Évoquant ensuite le rapport du Pape Benoît XVI à l’héritage riccien, le cardinal Parolin a mis l’accent sur le parcours concret et graduel d'expériences, d'apprentissages et de rencontres que Matteo Ricci était en train de faire, en particulier aussi de l'influence qu'il avait du contexte culturel chinois et de ses disciples et amis influents, sans lesquels il n'aurait pas pu devenir ce qu'il a été.
Une Église de ponts, courageusement exposée aux contextes culturels
Contrairement à ses prédécesseurs enfin, le Pape François n'a pas consacré de longs écrits ou discours au père Ricci, a reconnu le Secrétaire d’État du Saint-Siège, rappelant que le thème de l'inculturation lui est très cher depuis les années 1970. Lors de l'Assemblée d'Aparecida, le cardinal Bergoglio l'a repris et développé dans le contexte de l'Amérique latine, mais aussi dans sa dimension plus générale. Tout au long de son pontificat, il le cite désormais presque chaque fois qu'il revient sur le thème de l'inculturation dans l'évangélisation.
Pour le Pape François, l'Église doit être missionnaire, «extravertie», non pas «autoréférentielle», mais ouverte, s'exposant «courageusement» aux différents contextes dans lesquels elle se trouve ou se rend, a souligné le cardinal diplomate. «Nous devons construire des ponts et non des murs», dans l'esprit d'une «culture de la rencontre», répète souvent le Pape argentin. «Les mots qui reviennent sur ses lèvres lorsqu'il parle de la Chine sont surtout: respect, admiration, écoute, dialogue, amitié, rencontre... Et sur Matteo Ricci, il insiste: ‘’J'ai compris comment il a pu dialoguer avec cette grande culture dotée d'une sagesse antique. Il a su la rencontrer’’», a poursuivi le Secrétaire d’État, concluant sur l’inculturation comme possibilité de permettre la rencontre «vraie et juste» à l’instar de Matteo Ricci, qui a prouvé qu’elle était possible. «Il vaut la peine de continuer à la chercher et à la construire avec patience et courage», a conclu le cardinal Parolin, plein d’espérance.
Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé, inscrivez-vous à la lettre d’information en cliquant ici