Cardinal Kambanda : par mon cardinalat, « le Pape est dans les périphéries »
Jean-Pierre Bodjoko, SJ* - Cité du Vatican
Le 28 novembre dernier, vous avez été créé cardinal par le Pape François. Que représente pour vous le fait d’avoir été créé cardinal dans des circonstances particulières, à cause de la pandémie ? Que signifie pour vous ce consistoire un peu spécial ?
Ça fait partie de l’histoire, car on se souviendra toujours de ce consistoire qui a eu lieu pendant la pandémie. Cela signifie qu’on doit continuer à faire notre travail et à continuer nos programmes. Je remercie le Saint-Père qui a été courageux pour avancer, malgré les obstacles pour organiser ce consistoire pendant la pandémie.
C’est un peu une sorte de consistoire du Covid-19, comme on peut aussi dire que vous êtes des cardinaux de la période de la pandémie de Covid-19 ?
Oui. Comme je le dis toujours, le Pape est allé dans les périphéries. Le Rwanda n’est pas un pays qui a un siège cardinalice. C’est une petit pays, une jeune Eglise. C’est aussi le cas pour d’autres cardinaux créés notamment mon collègue de Brunei. Pendant cette période de pandémie, le Seigneur a inspiré le Saint-Père pour qu’il nous montre un geste de grâce, malgré les difficultés que nous vivons.
Vous êtes cardinal d’un pays qui a vécu des moments difficiles, surtout le génocide de 1994, au cours duquel, vous-mêmes et beaucoup d’autres personnes ont perdu des membres de leurs familles. Que signifie pour vous le sens du pardon, en tant que chrétien, évêque et aujourd’hui cardinal ?
Le pardon est le mot clé de notre pastorale au Rwanda, parce que nous avons vécu une tragédie difficile à supporter, humainement parlant. Mais, avec la grâce de Dieu nous permet de surmonter cette tragédie et d’avoir la capacité de pardonner. Cela a constitué notre pastorale au cours de ces 26 dernières années, parce qu’on devait, tout de même, reprendre notre vie chrétienne et reconstruire notre Eglise ainsi que notre communauté chrétienne. Le génocide au Rwanda n’a pas été perpétré par des étrangers. Il a été fait par des voisins et même des parents. Par la suite, les familles des victimes et des bourreaux vivent ensemble, les enfants vont à la même école, on se soigne dans les mêmes hôpitaux et on va dans les mêmes marchés. Alors, on devait chercher une pastorale qui pourrait reconstruire cette communauté et réparer le tissu social. L’évangile est la lumière et le sel qui donne le goût à la vie, malgré ses difficultés. Avec l’appui de la grâce de Dieu, on a compris la signification de la résurrection après la croix. Je dis toujours qu’on a effectué le cheminement des disciples d’Emmaüs : traumatisés, désespérés, découragés. Mais, tout au long du chemin, le seigneur ressuscité marche avec eux, sans qu’ils ne s’en rendent compte, avant de trouver que sa parole donne le goût de revivre et qu’elle guérit. Et ils demandent au Seigneur de rester avec eux, ce qu’il fait volontiers jusqu’à la découverte du Christ ressuscité et obtiennent aussi la force d’aller annoncer la nouvelle du Christ ressuscité. Ce cheminement des disciples d’Emmaüs est donc le même que la communauté chrétienne au Rwanda est en train de faire.
Maintenant, en étant cardinal, vous appartenez à l’Eglise universelle. Ce qui signifie que vous pouvez partager cette expérience de votre pays le Rwanda avec l’Eglise universelle et avec d’autres peuples qui peuvent vivre la même situation que vous ?
Oui. C’est ce que le Seigneur a voulu, que nous puissions partager notre expérience, si ça peut aider les autres. Parce que beaucoup de communautés en Afrique et ailleurs vivent des conflits et cherchent les moyens ainsi que le chemin pour se réconcilier et sortir d’un conflit qu’ils ont vécu ou qu’ils vivent.
Quelle est la situation actuelle dans votre pays le Rwanda ainsi que dans la région des Grands Lacs ?
Au Rwanda, la paix et la stabilité règnent depuis plusieurs années. On travaille tranquillement. C’est aussi ce qui nous a aidés, comme église, d’avoir un cadre pour réaliser ce travail de réconciliation et reconstruire la société. Mais, dans la région, nous avons des soucis, avec des pays voisins qui souffrent de conflits et de guerres. Nous avons des réfugiés au Rwanda, des guerriers dans les pays voisins, etc. Donc, il y a beaucoup à faire. Et, au niveau de l’Association des Conférences Episcopales d’Afrique Centrale (ACEAC), le premier dimanche de l’Avent est consacré à une journée de prière pour la paix dans la région des Grands Lacs. Ensemble, nous avons également mis en place plusieurs initiatives comme « Justice et Paix ACEAC », des initiatives pour la paix dans les Grands Lacs, même si, souvent, l’ampleur des conflits nous dépasse. Néanmoins, l’évangile, même si elle ne s’affiche pas, est le levain dans la pâte, elle transforme la société. Les populations ont besoin de paix et n’ont pas de conflits entre elles, si elles ne sont pas déviées et ne sont pas nourries à l’idéologie ethnique et de la haine. Nous avons connu beaucoup d’expériences. Quand c’est possible, les jeunes se rencontrent dans les forums, des femmes commerçantes traversent les frontières notamment entre Goma et Gisenyi, entre Bukavu et Cyangugu…
C’est pour dire qu’il n’y a pas de problèmes au niveau des peuples ?
Il n’y a pas de problèmes, s’ils ne sont pas manipulés et terrorisés. Le jour où on va surmonter ces manipulations idéologiques, on aura la paix.
Avec les autres évêques de votre pays et ceux de la région, notamment de l’ACEAC, qui réunit le Burundi, le Rwanda et la République démocratique du Congo (RDC), vous êtes surtout engagés dans la recherche de la réconciliation entre les différents peuples et pas seulement le peuple rwandais. Maintenant, comme cardinal, vous comptez apporter une voix de plus dans cette recherche de la paix et de la réconciliation dans votre pays et dans la région ?
Ça me donne l’occasion de travailler beaucoup plus et de porter ma voix encore plus loin pour la recherche de la réconciliation. Cela n’a pas été facile au Rwanda après le génocide. Quand vous sortez de votre propre souffrance et que vous considérez la souffrance de l’autre, vous constaterez qu’il y a un autre qui souffre beaucoup plus que vous. Ce qui fait que vous oubliez votre propre souffrance pour tenir compte de la souffrance de l’autre. Ce dernier tient aussi compte de votre souffrance. Vous avez ainsi in intérêt commun de collaborer. Vous mettez de côté les barrières d’auto-défense et vous parvenez à dialoguer. Nous partageons l’humanité et la grâce de la foi en tant que chrétiens. Nous avons ainsi une base pour construire la paix et la réconciliation.
Comme cardinal, votre voix porte encore plus. Pourriez-vous lancer un message au peuple rwandais, qui est content d’avoir son premier cardinal de l’histoire et aussi un message pour le peuple africain ?
Chers frères et sœurs, ce qui me touche beaucoup et me fait plaisir c’est de voir combien vous aimez le Seigneur. Nous avons un peuple qui aime Dieu et qui cherche le salut en Dieu. Parfois, ce peuple est manipulé par certains pasteurs, mais ce peuple fait surtout preuve d’une soif du salut de Dieu et de la parole de Dieu. Et, sur cette base de l’amour de Dieu, nous avons une base pour construire notre fraternité. L’amour de Dieu signifie que nous sommes des frères et des sœurs. Voir l’image de Dieu dans l’autre est une base pour surmonter les différences et insister sur ce que nous avons en commun. Je me souviens d’un écrivain au Rwanda, qui avait écrit des mots au sein d’une église où plusieurs personnes avaient été tuées pendant le génocide. Il avait écrit : « Si vous saviez qui je suis, vous ne m’auriez pas tué ». Cela veut dire, si vous aviez constaté que je porte l’image de Dieu et que vous portez également l’image de Dieu, vous auriez trouvé que je suis en vous et vous alliez vous identifier également à moi. C’est cette base et cette identité commune, comme enfants de Dieu, qui est fondamentale pour surmonter les divisions. Les différences ne seraient pas un problème, mais plutôt une richesse. Saint Paul nous donne un bon exemple. Tout comme dans le corps, les membres sont différents, les bras ne peuvent pas être comme les jambes et les yeux ne peuvent pas être comme la bouche. Si tout le corps devient un seul membre, la vie ne serait pas possible. Les différences sont une richesse pour vivre en harmonie. Je saisis également cette occasion pour appeler à continuer dans la ligne de la prière. L’ACEAC a choisi le premier dimanche de l’Avent pour prier en faveur de la paix. Nous sommes faibles et, parfois, les évènements nous dépassent. Mais, avec la prière, nous pouvons y arriver. Dans le jardin de Gethsémané, quand le Seigneur a trouvé les apôtres qui devaient l’accompagner en train de dormir, il leur a dit qu’il fallait prier, parce que le cœur cherche à faire du bien, mais la faiblesse du corps gagne sur la force du cœur. Néanmoins, c’est la prière qui donne de la force au cœur.
*Twitter : @JPBodjoko E-mail : jeanpierre.bodjoko@spc.va
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