Crise sécuritaire à l’Est de la RDC: «Ne pas se permettre de perdre espoir»
Entretien réalisé par Stanislas Kambashi, SJ - Envoyé spécial à Kinshasa, RDC
Le Pape a atterri ce mardi après-midi à Kinshasa, débutant ainsi son cinquième voyage apostolique dans le continent africain. La visite de François en République démocratique du Congo intervient dans un contexte de crise sécuritaire sérieuse, notamment sa partie Est. Dans un entretien accordé à Radio Vatican–Vatican News, Christian Géraud Neema, analyste indépendant et expert en économie politique des ressources naturelles et politique de la RDC, explique que le malaise dont souffre l’Est du pays trouve ses causes aussi bien dans les faiblesses internes de l’État congolais que dans l’ingérence extérieure, notamment celle de quelques États voisins et acteurs économiques internationaux.
L’étape de la visite du Pape à Goma a été supprimée pour raisons sécuritaires. Quelle est la situation actuelle dans la partie Est?
La résurgence du M23 avec le soutien actif du Rwanda a semé le chaos dans la région. Le mouvement rebelle continue de gagner du terrain causant d’énormes désastres humanitaires. En novembre dernier, les agences onusiennes rapportaient près de 200 milles déplacés internes. Il est évident que depuis lors ces chiffres ont augmenté. Il ne faut pas oublier les exactions dont sont victimes les populations civiles. Ce qui s’est passé dans la localité de Kishishe le 29 novembre dernier est symptomatique de ces massacres qui doivent faire l’objet d’enquêtes indépendantes et sérieuses.
Avec 900 éléments kenyans et 750 sud-soudanais, la ville de Goma qui était déjà dans un état de siège, est aujourd’hui surmilitarisée, mais sans pourtant que cela ne conduise à la fin du conflit en cours.
Quelles sont les causes profondes de ce malaise dont souffre l’Est de la RD Congo?
Il y a deux niveaux de réponse à cette question. Au niveau interne, la déliquescence de l’État congolais et la faiblesse de son administration n’ont pas permis à l’État de régler les questions foncières et communautaires (identitaires) qui remontent à plusieurs décennies avant la guerre de 97-98. Le génocide rwandais de 1994, la rébellion de l’Afdl en 97 et la guerre d’agression de 98 et leurs conséquences sont venus exaspérer des maux latents.
Au niveau externe, il y a lieu de noter que les implications du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi dès 1997-1998 sont les causes de l’externalisation (régionalisation et internationalisation) du conflit. Les intérêts sécuritaires et mercantiles des pays voisins et d’autres acteurs économiques internationaux, couplés aux tensions communautaires congolaises, le tout sur fond de faiblesses de l’État congolais, ont fait de l’Est de la RDC une zone de non-droit et de violence au point où la violence elle-même a fini par devenir une fin en soi. Une fin pour répondre aux diverses revendications de divers acteurs qui sont désormais internes (nationaux et locaux), externes (régionaux). La présence et la superposition des groupes armés locaux et étrangers, répondant à des intérêts socio-politiques et économiques en constante mutation ont rendu la situation très complexe.
La situation est devenue si complexe au point qu’il serait dangereux et simpliste de le résumer uniquement à un seul narratif –le pillage des ressources naturels ou la balkanisation du Congo par les puissances étrangères–. L’instabilité dans l’est de la RDC ressemble à une hydre dont les têtes coupées ne cessent de repousser.
Aujourd’hui, la prolifération des groupes armés locaux répond à une multitude de besoins –économiques, politiques, sociaux et identitaires– qui ne peuvent réellement trouver leurs solutions que dans la restauration de l’autorité de l’État congolais et de son administration. Et c’est du reste dans la restauration de la puissance de l’État que se trouve notamment la solution face à l’agression rwandaise d’aujourd’hui et aux immixtions ougandaises dans le grand-nord du Nord-Kivu. Évidemment, c’est sans compter tous les autres groupes armés dans les autres parties des provinces de l’Ituri par exemple.
Dans ce contexte, comment décririez-vous la situation géopolitique actuelle de cette zone et des Grands-Lacs en général?
Le moins que l’on puisse dire est que la situation est extrêmement tendue. Il est évident que le Rwanda et l’Ouganda tiennent à maintenir une influence géopolitique et économique dans cette partie de la RDC. L’implication évidente du Rwanda aux côtés du M23 semble rendre réticentes les forces kenyanes et sud-soudanaises de la Communauté est-africaine (EAC) de faire recours à la force, malgré les conclusions de la réunion de Luanda en novembre dernier, face au M23. Certainement une crainte de s’enliser dans un conflit qui pourrait paraitre sans fin.
Au niveau politique, les initiatives régionales ne semblent produire aucun résultat concret. Il est difficile d’engager des discussions directes avec le Rwanda tant que Kigali ne reconnait pas son implication dans le conflit et que l’EAC refuse de le reconnaitre publiquement. Les parties au conflit adoptent des postures qui ne permettent pas un progrès réel vers une solution définitive. Entretemps sur le terrain, l’armée congolaise recule face au progrès des forces du M23/Rwanda.
Y a-t-il une lueur d’espoir de changement de la situation actuelle de l’Est de votre pays? Quelles sont les pistes de sortie?
C’est une question difficile. On ne saurait se permettre de perdre espoir. Il faut le maintenir pour nous permettre de croire en l’éventualité d’une solution définitive. Comme je l’ai dit plus haut, le prérequis à une solution définitive demeure la restauration de l’autorité de l’État congolais et de son administration. Sans cela, il n’y aura pas de solution. Et je crois bien que c’est à cela que doit s’atteler la classe politique congolaise et tous les partenaires extérieurs qui se réclament être les amis du Congo. Le Congo doit s’engager dans un «State-building process», qui devra lui permettre d’affronter les problèmes qui sont nés de sa déliquescence.
Quel serait votre mot de la fin?
J’ose croire que le Pape portera un message d’espérance aux populations congolaises meurtries par la douleur de l’Est, mais aussi un message de fermeté aux autorités congolaises actuelles, dont les agendas politiques ont largement contribué à la résurgence de la crise. Il ne faudrait pas qu’ils en profitent pour tirer des avantages politiques au détriment des aspirations légitimes du peuple, spécialement en cette année électorale.
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