Bioéthique: l’Église de France veut «montrer que d’autres chemins sont possibles»
Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican
Trois membres de la CEF ont pris la parole hier pour expliquer les «positions» de l’Église de France en matière de bioéthique: Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et président de la CEF, Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes et responsable du groupe de travail sur la bioéthique, et Mgr Michel Aupetit, archevêque de Paris et ancien médecin. Experts et témoins étaient également présents, comme la théologienne Marie-Dominique Trébuchet.
Cette soirée s’est tenue quelques jours après l’examen en commission des lois de bioéthique à l’Assemblée nationale, qui s’est terminé le 14 septembre dernier. Les travaux en séance plénière reprendront lundi 23 septembre, et le projet de loi sera soumis au Parlement pour un vote prévu le mois prochain. Une vingtaine d’associations, dont La Manif pour Tous, ont quant à elles appelé à une mobilisation contre ce projet de loi le 6 octobre à Paris.
Porter un regard clairvoyant sur la vie humaine
Ouverture de l’Assistance Médicale à la Procréation aux couples de femmes homosexuelles et aux femmes seules, réforme de la filiation et de l'accès aux origines, primat de la volonté des adultes: il faut dire que le contenu de ces futures lois vient bouleverser les repères en matière de principes éthiques, de conception de la personne humaine et de sa dignité. La vocation de la médecine elle-même est interrogée.
Dans ce contexte, «la parole de l’Église est avant tout un oui: à la beauté de l’union conjugale des époux, reflet le plus expressif de la relation que Dieu veut avoir avec l’humanité, un oui aux enfants qui sont un don pour l’humanité entière», a rappelé lundi soir Mgr de Moulins-Beaufort. «Énoncer des dangers ne nous réjouit pas. Notre foi nous libère de la peur de manquer, et nous aide à considérer que d'autres chemins sont possibles pour être plus vivants», a-t-il également souligné.
Pour Radio Vatican, le président de l’épiscopat français sur quelques aspects de ce projet de loi, et d’abord sur l’institution de l’absence de père et ses conséquences.
Les enfants auront un géniteur qui va leur donner son patrimoine génétique pour les constituer. Mais on s’organise pour qu’ils ne puissent pas le connaître, en tous cas pour qu’ils ne puissent pas avoir avec lui une relation de père. Pour ma part, je suis assez effaré d’entendre des gens nous expliquant que c’est beaucoup mieux comme ça, qu’avoir un père une mère n’est pas suffisant, alors qu’au contraire, il y a un immense progrès de civilisation dans le fait que le père est bien celui qui nous a engendré, la mère est bien celle qui nous a engendré, et que l’un est l’autre nous ont engendré parce qu’ils se sont promis l’un à l’autre, et ils s’efforcent chaque jour de créer un espace d’amour. Après, il y a beaucoup de situations dans lesquelles quelqu’un n’est pas élevé par son père ou par sa mère biologiques, mais par des parents qui l’aiment beaucoup et qu’il peut beaucoup aimer, mais c’est du rattrapage de situation. Aujourd’hui on entérine cela et on crée des situations compliquées pour les enfants qui vont venir.
On parle d’un recours à la médecine pour des personnes sans pathologie, que penser de cette transformation de la vocation médicale ?
La médecine est faite pour soigner et si possible guérir. Là, on transforme la médecine en un prestataire de service, elle vient répondre à des frustrations, à des douleurs… qui sont réelles, mais on est en train d’organiser et d’utiliser la technique médicale non pas pour guérir mais pour venir répondre à cette douleurs. La collectivité publique se présente comme capable de répondre à des souffrances, des douleurs et à des frustrations grâce à la technique médicale et à la technique juridique, c’est-à-dire au bricolage juridique qu’on est capable de faire pour que tout ait l’air de bien se passer, mais c’est une course sans fin. Personnellement, je doute que nos sociétés aient la capacité de s’arrêter. Après la PMA on aura forcément la GPA, quelques soient les bonnes intentions de ceux qui disent le contraire. Donc, le drame c’est de sortir la médecine de son rôle et de consacrer des moyens d’intelligence et des moyens financiers à cette transformation de la médecine, alors qu’il y a toujours beaucoup de gens à soigner.
Le seul point positif du débat qui a émergé, quand même, c’est une sorte de volonté d’un certain nombre de parlementaires que notre pays s’engage fermement dans la recherche sur l’infertilité. Il est temps , parce que c’est une grande partie du problème.
Cette loi met donc au centre la volonté de l’individu et révèle un modèle de société égocentré. Quel message spécifique les chrétiens peuvent-ils apporter ?
Déjà, nous devons avertir, c’est un peu le rôle des prophètes de l’Ancien Testament qui avertissent que l’on est en train de prendre un mauvais chemin. La foi nous éclaire, c’est-à-dire qu’elle nous libère de ce qui nous aveugle et ce qui aveugle c’est une certaine fascination pour la technique, c’est la peur de la solitude, de ne pas être aimé, de ne pas aimer. Pourquoi est-ce qu’on veut avoir un enfant ? Avoir un enfant c’est l’assurance que vous allez être tiré hors de vous-même, que vous allez être appelés à un amour inconditionnel. Donc il y a quelque chose de très beau dans cela. Mais seulement cela ne justifie pas tous les bricolages que l’on est en train de faire, parce que cette capacité d’aimer peut et pourrait s’exprimer autrement. Ce qui suppose de la part de la société de l’attention auprès des personnes qui sont seules, aux personnes qui ne peuvent pas avoir d’enfants, y compris pour les personnes homosexuelles qui n’ont pas d’enfants ; il y aura toujours heureusement des personnes homosexuelles qui seront capables de choisir de ne pas avoir d’enfants, parce qu’elles sont conscientes qu’on ne peut pas bricoler comme cela avec la vie, mais elles mettront à la disposition de la société leur énergie, leur générosité, leur créativité. Nous chrétiens nous pouvons indiquer que d’autres voix sont possibles pour vivre, au lieu de chercher toujours à combler nos désirs, les uns derrière les autres.
Quel modèle de bioéthique défendez-vous ?
L’union de la technique médicale et de la réflexion éthique pourrait développer une attention aux personnes avec un rapport à la technique qui soit plus maitrisé, c’est-à-dire sans fascination et sans mettre tous nos rêves dans la technique, en essayant de développer une attention à la personne malade, à l’écoute de ce qu’elle a à dire, un accompagnement plus fin, et non pas en cherchant toujours une solution technique à tous les problèmes et si possible au moindre coût, qui est la direction que l’on est en train de prendre.
On peut quand même avoir le sentiment que tout est joué d’avance, que répondez-vous à ceux qui sont tentés par le défaitisme ?
Il va y avoir un débat parlementaire donc il ne faut jamais négliger la possibilité d’éclairer nos parlementaires qui sont souvent des gens de bien, dont une partie ne sait pas très bien de quoi il s’agit et ne comprennent pas bien les enjeux techniques car ils ont beaucoup de sujets en tête. D’autre part, à travers les parlementaires il s’agit d’éclairer l’ensemble de nos concitoyens, parce que certains promoteurs de la loi trouvent que c’est un progrès, qu’il faut transformer la société, changer nos modèles familiaux, mais une grande partie de nos concitoyens n’entrent pas tout à fait là-dedans. En revanche ils se laissent fasciner par des promesses qui en plus sont souvent faite par des médecins, des gens de bien et à qui on fait confiance. Donc nous devons toujours éclairer nos concitoyens pour qu’ils puissent faire dans leur vie concrète les meilleurs choix : quelle que soit la loi qui sera votée, quel que soit le cadre juridique, tout dépendra du choix individuel que chacun fera. On peut ne pas recourir à la PMA, on n’est pas obligé de recourir à la PMA. Donc nous aurons toujours à éclairer nos concitoyens pour que nous apprenions toujours mieux à assumer les grandeurs et les limites de notre corps.
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