Motu proprio “Spiritus Domini”: une «ouverture» pour les laïcs dans l'Église
Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican
Le motu proprio Spiritus Domini, paru le 11 janvier dernier, modifie le premier paragraphe du canon 230 du Code de Droit canon de 1983. Concrètement, le Pape François ouvre la possibilité de confier, sous forme stable et institutionnalisée, les ministères de lecteur et d’acolyte aux femmes. Des femmes lectrices ou ministres de l’Eucharistie, des jeunes servantes d’autel: dans la pratique, rien de très nouveau. Mais jusqu’à présent, ces missions étaient remplies de manière temporaire, sans véritable mandat. Suite à un motu proprio promulgué par Paul VI en 1972 - Ministeria quaedam -, le lectorat et l’acolytat en tant que tels étaient par ailleurs réservés aux hommes, la plupart étant des séminaristes institués dans le cadre de leur parcours jusqu’à la prêtrise.
Dans une lettre adressée au cardinal Luis Ladaria Ferrer, Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, François explique les raisons théologiques de son choix. «Il y a aujourd'hui un sentiment d'urgence croissant pour redécouvrir la coresponsabilité de tous les baptisés dans l'Église, en particulier la mission des laïcs» écrit-il.
Astrid Kaptijn est professeur de droit canonique à la faculté de Théologie de l’université de Fribourg, en Suisse. Elle revient d’abord sur les changements induits par ce motu proprio:
Ce qui change, c’est ce qui est derrière tout cela. C’est la question de savoir à quel titre la personne exerce cette tâche. C’est là que le droit canonique intervient, on est alors dans des choses qui ne sont pas toujours immédiatement visibles. L’élément qui faisait la différence jusqu’ici était la stabilité. Pour les hommes, [la mission] était conférée avec une stabilité, on peut donc dire «à vie». Pour les femmes, c’était seulement possible avec un mandat limité dans le temps. C’est là qu’est le grand changement: ce nouveau texte du Pape François, et les modifications qu’il apporte au code de droit canonique, implique que maintenant, les femmes peuvent elles aussi recevoir ces mêmes ministères de manière stable. D’un autre côté, cela veut dire qu’on se met au service de l’Église, et l’on peut aller là où l’Église nous appelle à exercer ce ministère. Il me semble que c’est la première fois que des femmes peuvent recevoir de cette manière-là des ministères à vie.
Est-ce que cette stabilité pourrait avoir une influence sur la manière dont on exerce la mission, sur la conscience que l’on a de son caractère sacré?
Oui, cela pourrait en effet être le cas. Toute fonction dans l’Église, on l’exerce car on y est appelé. On ne peut pas s’attribuer soi-même une fonction dans l’Église, car elle est en lien avec les besoins de l’Église. Ce n’est pas un droit de recevoir une telle fonction, et bien sûr, dès qu’on la reçoit, il y a des droits et des devoirs qui en découlent. Ce n’est pas simplement pour soi-même qu’on la reçoit – c’est la notion de service qui a été largement soulignée par le Concile Vatican II et qui vaut pour toutes les fonctions et ministères dans l’Église. Il y a donc des éléments qui étaient déjà présents, mais je peux imaginer qu’étant donné que ce ministère est conféré avec un acte liturgique, cela renforce l’idée de quelque chose de sacré, qu’il faut respecter et qui ne nous appartient pas.
On parle d’une avancée pour les femmes et leur place dans l’Église, mais est-ce que cette clé de lecture d’une plus grande égalité hommes-femmes est adaptée pour comprendre ce motu proprio?
Oui et non. Je dirais oui pour l’aspect que je viens d’évoquer: c’est une nouveauté que des femmes puissent maintenant recevoir un ministère à vie. Dans ce sens-là, c’est une certaine promotion de la femme, si l’on veut. Mais d’un autre côté, j’ai l’impression que ce n’est pas la bonne clé de lecture de placer tout cela uniquement dans une perspective d’égalité hommes-femmes. Il s’agit plutôt de la distinction suivante: est-ce que l’on se réfère en permanence au sacrement de l’ordre, et donc aux questions de «pouvoir» de l’ordre et de gouvernement? Est-ce notre cadre de référence? Ou alors met-on beaucoup plus l’accent sur le sacrement du baptême? Le Pape François, à mon avis, insiste tellement sur ce dernier élément que je vois plutôt la nouveauté dans ce sens-là. La théologie baptismale n’est bien évidemment pas nouvelle dans l’Église, le Concile Vatican II l’a largement élaborée et insisté là-dessus. Mais les ministères institués réservés pour les séminaristes étaient surtout, dans cette optique-là, liés au sacrement de l’ordre. Ce que le Pape François fait maintenant, c’est dissocier un peu plus ces deux ministères du sacrement de l’ordre. C’est donc un pas dans un autre sens. Mais on aura toujours des séminaristes qui vont recevoir des ministères institués, donc ce sera toujours encore en lien avec le sacrement de l’ordre; des personnes qui exercent les tâches de lecteur et d’acolyte sur une vase temporaire, comme c’était le cas jusqu’ici; et maintenant, on va avoir des hommes et des femmes qui de manière stable, peuvent recevoir ces ministères institués de lecteur et d’acolyte. Je pense donc qu’il s’agit plutôt d’une ouverture pour montrer que des laïcs dans l’Église – et même des femmes - peuvent recevoir des ministères institués.
D’un autre côté, il faut aussi souligner que le sacrement de l’ordre – le mot le dit – est un vrai «sacrement». Les ministères institués sont des «sacramentaux», ça n’a donc pas le même poids ni la même signification. Mais je trouve que c’est important que les femmes puissent maintenant recevoir ces ministères institués.
On est donc en train de déployer le sacerdoce commun des fidèles, c’est de cela dont il s’agit?
Je pense en effet que c’est un déploiement vers une plus grande diversification du sacerdoce commun. Dans l’Église, les laïcs représentent la grande majorité des fidèles, mais c’est un groupe qui n’est pas homogène: des gens agissent en tant que bénévoles au nom de leur propre foi; d’autres agissent avec un mandat d’un curé, d’un évêque diocésain, et cela devient donc quelque chose de plus officiel, car à ce moment-là on représente aussi l’Église; il y a des personnes qui ont reçu une mission ecclésiale, des gens qui ont été nommés à des offices ecclésiastiques; et maintenant, à côté de tout cela, il y aura des personnes ayant reçu un ministère institué. Et ce texte du Pape François pourrait non seulement être un coup de pouce pour les femmes, mais aussi pour les hommes laïcs – pour ces ministères institués de lecteur et d’acolyte – et cela peut aussi ouvrir la porte à d’autres ministères institués, car le Pape François lui-même souligne que c’était déjà présent dans le motu proprio Ministeria Quaedam en 1972. Et comme il le répète dans sa lettre au cardinal Ladaria, il n’est pas exclu qu’il y ait une émergence d’autres ministères institués, qui doivent être approuvés par le Saint-Siège. On peut donc s’attendre à un développement, mais toujours bien sûr selon les besoins de l’Église.
Certains évoquent une étape ultérieure qui serait l’ordination des femmes. Que peut-on en penser, au regard de ce qui a déjà été dit par les Souverains Pontifes?
Sur ce plan-là, rien ne changera à mon avis, c’est difficile d’y toucher. Le plus important, c’est qu’avec ce texte du Pape François, on sort de cette logique consistant à se référer constamment au sacrement de l’ordre. Je pense qu’il est primordial de quitter cette perspective, et de chercher comment on peut développer, sur la base du baptême, cette diversité de services et de ministères, qui peuvent être exercés par les laïcs…
… Et d’ailleurs ce motu proprio est sorti le lendemain de la fête du Baptême du Seigneur, peut-être que l’on peut le souligner aussi ?
Oui, c’est très parlant comme symbole, tout à fait.
Dans quelle mesure ce motu proprio pourrait-il répondre à des défis actuels, tels que le manque de prêtres dans certains diocèses, ou encore la difficulté d’accès à l’Eucharistie en cette période de pandémie?
Pour l’Eucharistie, on aura toujours besoin du prêtre qui fait en sorte que le pain et le vin deviennent vraiment le Corps du Christ. Cela, on ne peut pas y toucher. (…) Les ministères institués de lecteur ou d’acolyte sont des fonctions qui sont tout de même très liés à la liturgie. Pour l’acolyte c’est un peu plus large si l’on dit qu’il peut aussi porter la communion aux malades, etc., mais il n’est pas nécessaire d’être ministre institué pour le faire. Le document final, après le Synode sur l’Amazonie, évoquait aussi, par exemple, un ministère de femmes “leaders” de communauté. Apparemment, en Amazonie, il y a ce besoin-là. Il y aura aussi certainement d’autres pays intéressés par cette idée. Le Pape François n’en parle pas pour l’instant, mais ça peut être quelque chose à développer. Mais il faut bien réfléchir de quelle manière.
Comment va se passer la mise en œuvre de ce motu proprio dans les diocèses?
La seule chose que l’on sait, c’est que les conférences épiscopales devront formuler des critères, concernant notamment l’idonéité des personnes: il faut être apte à exercer le ministère en question, et il y aura sûrement des questions de formation, ou de formation permanente. Personnellement, je vois aussi un intérêt à avoir, au niveau des conférences épiscopales peut-être, des critères pour faire un discernement concernant l’opportunité d’avoir des ministères institués de ce genre – est-ce une vraie réponse à ses besoins? Ce n’est pas non plus une obligation. Chaque évêque diocésain est donc libre d’avoir ces ministères dans son diocèse, et je pense qu’on ne peut pas non plus les imposer aux paroisses. Dans ce sens, on peut aussi avoir là une diversification selon les endroits, selon les sensibilités, et il est important de maintenir cela. Parmi les questions ouvertes, je vois aussi celle de savoir comment on va gérer ce ministère si c’est à vie. La personne ne peut pas exiger d’exercer ce ministère dans sa propre paroisse, parce qu’on est au service de l’Église et donc au service du diocèse. Cela implique une certaine disponibilité pour aller là où il y a un besoin et là où l’évêque souhaite que la personne exerce ce ministère. [Et aussi,] qu’est-ce que cela implique lorsque la personne quitte le diocèse? Je pense que l’on peut faire une sorte de parallèle avec l’incardination des clercs. Ils sont incardinés, donc cela crée un lien juridique, avec des droits et des devoirs réciproques entre les clercs et le diocèse. Ce sera un peu pareil, je pense, pour les ministères institués. Ce n’est pas une incardination, mais cela crée quand même un lien plus fort entre le fidèle laïc qui reçoit ce ministère, et le diocèse où la personne va l’exercer.
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