Rapport accablant de la CIASE sur les agressions sexuelles sur mineurs dans l’Eglise en France
Cyprien Viet - Cité du Vatican
Le président de la Commission, Jean-Marc Sauvé, a brièvement introduit la conférence de présentation (diffusée sur la chaîne KTO) en évoquant la lettre d’une victime, reconnaissant que le travail intense mené par les 21 membres de la CIASE a pu être parfois «déstabilisant et décourageant» mais qu’il donnait l’espérance d’un nouveau départ, d’un «autre rapport à cette histoire blessée».
Une membre de la Commission, Alice Casagrande, spécialiste des questions de protection de l’enfance, a raconté le climat humain très éprouvant des auditions de victimes, revenant notamment sur les larmes d’un septuagénaire, et sur la «colère incandescente d’une femme». «Seul le calme de Jean-Marc Sauvé lui a permis de ne pas se consumer», a-t-elle remarqué, en soulignant l’importance d’un travail commun avec les victimes. Les membres de la CIASE ont d’abord été des écoutants, plus que des experts.
S’exprimant au nom des victimes, François Devaux, victime du père Preynat dans le diocèse de Lyon et cofondateur de l’association La Parole Libérée, a délivré un discours rempli de souffrance et de colère, mais aussi de reconnaissance vis-à-vis du travail de la Commission, saluant leur «sacrifice pour le bien commun». «C’est de l’enfer dont vous revenez, vous, membres de la Commission. Vous avez étudié les détails les plus sombres, les plus abjects, que l’homme sait engendrer dans ses névroses.» Il a appelé l’Église à de profondes réformes, exprimant son sentiment de trahison face aux silences et aux «dysfonctionnements systémiques» auxquels il a été confronté dans son combat.
Une estimation de 216 000 personnes agressés par des clercs
Tout en reconnaissant que ce rapport (qui compte 485 pages, et plus de 2 000 pages d’annexes) ne peut pas être exhaustif, le président de la CIASE en a présenté le contenu en délivrant un grand nombre de données précises qui ont pu être collectées en croisant plusieurs disciplines, de la médecine à la théologie, en passant par la sociologie, l’anthropologie, la psychiatrie ou encore le droit civil et canonique. L’enquête a surtout permis d’entrer en relation avec des milliers de victimes.
Comme cela avait déjà été communiqué dans la presse, la CIASE a délivré une estimation de 2 900 à 3 200 prêtres et religieux impliqués dans des faits de pédocriminalité en France entre 1950 et 2020. Mais cette fourchette représente une évaluation a minima: un vaste sondage en population générale estime à 216 000 au total (avec une marge d’erreur de 50 000) le nombre de personnes vivant actuellement en France ayant subi un agression sexuelle commise par des prêtres et religieux catholiques, dont un tiers de viols. En incluant les agressions commises par des laïcs (notamment en milieu scolaire), cette estimation monte à 330 000 personnes.
Jean-Marc Sauvé a précisé que dans l’ensemble de la société française, cinq millions et demi de personnes (14,5% des femmes et 6,4% des hommes) ont subi des agressions sexuelles avant l’âge de 18 ans. Les familles et les cercles amicaux demeurent les premiers lieux d’agression, mais la prévalence des agressions en milieu ecclésial catholique demeure élevée, y compris sur des périodes récentes, et 80% de ces abus concernent des garçons.
L’appel à des «actions vigoureuses»
En dénonçant la mentalité corporatiste de l’Église catholique qui a longtemps cherché à étouffer ces affaires (notamment en faisant du silence des victimes une condition à l’octroi d’indemnisations), Jean-Marc Sauvé a appelé à des «actions vigoureuses», notamment la reconnaissance des actes passés et des mesures préventives dans la formation et le discernement vocationnel. Il a mis en garde contre une sacralisation excessive de la personne du prêtre. Le rapport de la CIASE présente 45 recommandations précises, avec notamment un renforcement des mécanismes de contrôle interne, une meilleure définition du rôle de l’évêque afin d’éviter qu’il ne soit à la fois juge et partie, et une meilleure implication des laïcs dans la gouvernance de l’Église.
Appelant à un «travail de vérité, de pardon et de réconciliation », Jean-Marc Sauvé a souligné que l’Église catholique est «une composante essentielle de la société» et qu’elle doit œuvrer à «rétablir une alliance qui a été mise à mal». «Notre espérance ne peut pas et ne sera pas détruite. L’Eglise peut et doit tout faire pour rétablir ce qui été abîmé et reconstruire ce qui a été brisé», a-t-il conclu en saluant le courage des victimes.
L’Église en France en tirera les conséquences
Les deux mandants du rapport étaient présents et ont pris la parole. Dans son discours, Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et président de la conférence épiscopale a reconnu l’ampleur «effarante» de ces violences sexuelles au sein de l’Église. La voix des victimes «nous bouleverse, nous accable», a-t-il reconnu en saluant notamment la franchise et la «parole vraie» de François Devaux. Le président de la CEF a promis que les évêques allaient prendre le temps d’étudier le rapport et en tirer les conséquences. Le sujet sera central lors de leur assemblée plénière de novembre.
Pour sa part, la présidente de la Conférence des Religieux et Religieuses de France (Corref), Sœur Véronique Margron a dit son «infini chagrin», sa «honte absolue» face à des «crimes contre l’humanité du sujet intime, croyant, aimant». Les 45 recommandations de la CIASE constituent cependant un «signe d’exigeante confiance en l’Église», qui devra travailler avec les autres institutions, et notamment les autres Églises. Citant Bernanos, elle a conclu en expliquant que la plus haute forme de l’espérance est le «désespoir surmonté».
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