Mgr Leborgne : “Nous ne pouvons plus faire demi-tour”
Entretien réalisé par Manuella Affejee – Cité du Vatican
Beaucoup ont salué une assemblée plénière «qui a fait date», affirmant qu’un cap avait été passé, qu’un pas de géant avait été accompli. Est-ce ainsi que vous ressentez personnellement les choses?
Je le ressens ainsi pour les victimes et la détermination des évêques de France à prendre à bras-le-corps l’ampleur de ce drame révélé par le rapport de la CIASE. Donc oui, je crois qu’il y a eu un pas de géant dans la reconnaissance de notre responsabilité et dans notre engagement pour une justice réparatrice.
Je le ressens aussi dans la qualité du travail de l’assemblée, tout au long de cette semaine où la collégialité, vécue dans une fraternité authentique et vraie, amène à une vraie communion quand il faut prendre des décisions. Cela a été très important.
Les évêques ont annoncé à la fois des mesures particulières et des mesures globales. Vous demandez notamment au Pape d’envoyer des visiteurs en France. Quelle serait leur mission précise?
En fait, c’est le Pape qui nous a confié cette mission, c’est de lui que nous la recevons. Donc, nous lui demandons d’envoyer des visiteurs pour évaluer la manière dont nous avons traité les cas d’abus, et éventuellement nous faire prendre des mesures, si nous avions mal fait.
Que seriez-vous prêt à faire?
Nous l’avons vu dans certains pays: en cas de grave manquement avéré, des évêques ont quitté leur charge. Nous nous rendons disponibles pour ce que le Pape nous dira.
Vous en appelez au Pape ; vous annoncez la création d’une instance nationale indépendante chargée de l’indemnisation des victimes. Vous vous tournez donc vers l’extérieur : par volonté de transparence absolue?
Ce n’est pas tant par désir de transparence que par désir de vraie justice et de vraie médiation. Et ce n’est pas une personne impliquée qui peut traiter l’affaire. Nous avons donc demandé à Madame Marie Derain de Vaucresson, qui a été haut-cadre au sein du ministère de la Justice et défenseur des droits de l’enfance, de prendre la direction de cette instance. Car il nous est apparu important de nous appuyer sur une compétence que nous n’avions pas et qui soit indépendante.
Vous vous engagez à indemniser les victimes d’abus ; la CIASE en a recensé plus de 300 000 et elles sont sans doute plus nombreuses encore. Les diocèses pourront-ils faire face à l’afflux de demandes, sachant que certains parmi eux ont déjà des problèmes financiers?
Il y a des diocèses qui ont des difficultés, c’est vrai, et il y en a d’autres qui ont des réserves de sécurité beaucoup plus importantes. Nous avons décidé entre évêques que chaque diocèse règlerait ses affaires mais que nous porterions la chose solidairement.
Entre la publication du rapport de la CIASE et l’assemblée plénière, de nombreuses voix se sont élevées pour demander des réformes profondes dans la gouvernance de l’Église. Là encore, plusieurs mesures ont été annoncées. Quelle est celle qui vous semble la plus significative?
Beaucoup touchent à la gouvernance et surtout à la méthode. Par exemple, nous avons neuf groupes de travail et nous avons décidé qu’ils seraient confiés à des laïcs, qui constitueraient eux-mêmes leurs équipes. Nous espérons pouvoir y associer des personnes victimes, mais c’est là une nouvelle manière de travailler. Pour des non-initiés, cela peut ne pas être très parlant, mais dans toutes les commissions où il n’y avait que des évêques, on fera désormais appel à des membres du Peuple de Dieu.
Nous avons une expérience tellement positive des 36 heures que nous avons passées avec 120 invités! Certains d’entre eux se disaient «est-ce que les évêques vont nous recevoir?», d’autres étaient en colère. Mais pendant 36 heures, nous avons été des frères et sœurs qui cherchent ensemble la volonté de Dieu et la manière de traiter une question si grave. Nous en ressortons, tous, extrêmement renforcés dans la volonté de travailler de manière synodale, comme le Pape nous y invite.
Les victimes et les fidèles vous attendent sur l’effectivité de ces mesures. Avez-vous fixé un calendrier précis?
L’instance nationale de reconnaissance et de réparation est au travail, dès maintenant. Il lui faudra un peu de temps pour constituer une équipe, mais c’est parti.
Le tribunal pénal canonique commencera son activité le 1er avril 2022.
Quant à nous, au sortir de cette assemblée, nous allons appeler neuf laïcs pour présider aux commissions; nous ferons le point avec elles en mars, en juin, en novembre – donc tous les trois mois, jusqu’au printemps 2023, où nous organiserons une grande rencontre pour évaluer ce qui a été fait et ce qui reste à faire.
Derrière l’unanimité des votes, cette prise de conscience est-elle enracinée? Êtes-vous prêts à aller au bout de votre démarche?
Moi personnellement, sans hésitation. Il y a eu un moment de bascule. À un moment, je voulais écouter les victimes mais je me suis rendu compte qu’inconsciemment, j’avais peur de perdre. Donc j’écoutais, mais en me disant : «que risques-tu de perdre ?». Et ce n’était pas juste. Tout d’un coup, en les écoutant, je me suis dit : «non, je veux partir des victimes, de leurs besoins, de leur cri», et on n’a plus peur de ce qu’on va perdre ou de ce qu’on risque. Je crois qu’il y a là quelque chose de profondément évangélique.
Moi j’ai le sentiment que nous voulons tous aller jusqu’au bout. Certains ont pu nous dire : «mais les médias ne vous pressent-ils pas?». Bien sûr que les médias ont joué leur rôle. Mais nous sommes intimement convaincus que c’est le Seigneur qui nous appelle aujourd’hui, qui nous a poussés sur ce chemin et nous ne pouvons plus faire demi-tour.
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