En Méditerranée, le Pape porte une théologie de l'écoute et du dialogue
Entretien réalisé par Delphine Allaire - Cité du Vatican
Soixante évêques et soixantes maires d'une vingtaine de pays du pourtour méditerranéen réunis en sommet. C’est la configuration inédite qui a lieu cette semaine à Florence en Toscane. Une rencontre pour la paix et la fraternité en Méditerranée, un petit synode organisé par l’épiscopat italien, auquel se rendra dimanche 27 février le Pape François.
Le Souverain pontife argentin poursuit ainsi sa volonté d’esquisser une théologie de la Méditerranée. De premiers jalons avait été posés de par ses voyages, qui l’ont emmené depuis 2013 de Tirana à Lampedusa, en passant par Chypre et Rabat. "Méditerranée, frontière de paix 2" est l’intitulé de cet événement, dont la première partie avait eu lieu en février 2020 à Bari dans les Pouilles italiennes. Nouveauté cette fois-ci, la présence de maires de grandes et petites villes de la Mare nostrum.
Entretien avec le père Patrice Chocholski, théologien et directeur de l’Institut catholique de la Méditerranée (ICM) à Marseille.
Comment définiriez-vous ce champ de réflexion encore peu exploré de «théologie de la Méditerranée»?
Nous nous référons en particulier au discours de Naples du Pape François le 21 juin 2019. Dans cette intervention, il propose une théologie dite «dans le contexte méditerranéen». Pour lui, elle doit être avant tout une théologie de l’accueil, de l’écoute et de la miséricorde. Selon François, la Méditerranée est un lieu privilégié de dialogue interculturel et interreligieux. Le dialogue sincère est d’après lui «la condition de possibilité» de la théologie. La théologie de la Méditerranée doit être celle d’un dialogue universel, avec tous, «avec les institutions sociales et civiles, avec les centres universitaires et de recherche, avec les responsables religieux et avec toutes les femmes et les hommes de bonne volonté».
Concernant le dialogue avec miséricorde, le Pape utilise une belle image: il dit que sur les plis de l’Histoire, il y a des ombres et des lumières, et pour discerner, interpréter, ces ombres et lumières, nous avons besoin du critère de la miséricorde. Ce qui est copernicien, est que pour en arriver à partir de ce critère, nous sommes obligés de passer en amont par un dialogue entre les trois grandes religions abrahamiques; voir ce que sous-tend le terme de miséricorde à partir des cultures hébraïques et arabes.
Alors il est plus facile d’examiner ensuite tous les pans de l’Histoire de la Méditerranée en vue de façonner de nouveaux récits communs, et pas seulement sur les enjeux théologiques ou métaphysiques, mais aussi environnementaux, de territoire, de frontière, d’appartenance ou d’identité.
Comment cette théologie méditerranéenne se nourrit-elle des racines de la foi chrétienne, née sur ses rivages?
Les traditions qui convergent des premiers textes, Ancien et Nouveau Testament, proviennent des traditions méditerranéennes: l’Égypte, la Syrie, Liban actuel, la Phénicie, les Hittites qui se trouveraient en Turquie aujourd’hui, Rome, la Grèce. Toutes irriguent les récits bibliques. La Pentecôte en est un exemple. Ils venaient de tous ces pays méditerranéens pour accueillir les dons de l’Esprit et ensuite repartir vers les terres bordant cette mer en apportant la Bonne Nouvelle.
Comment comprenez-vous la pertinence, voire l’urgence, de déployer une telle théologie aujourd’hui?
La Méditerranée traverse de plus en plus un temps d’incertitude. Les crises contemporaines multidimensionnelles nous interpellent fortement sur les plans individuels et collectifs, sociaux, humains, économiques, migratoires, numériques, géostratégiques, environnementaux, générationnels, culturels. Face à ces crises, le dialogue des cultures, des humanismes et des religions est une nécessité urgente. Puisque le temps est plus important que l’espace, le Pape François nous invite donc à lancer des processus. Nous ne savons pas toujours où ils aboutiront pour susciter des coopérations actives à l’échelle méditerranéenne. En d’autres termes, comment les religions peuvent faire parties de la solution. Plus nous saurons donner d’importance à la culture de la rencontre, et donc à ces relations interculturelles et interreligieuses, plus le Verbe de Dieu se manifestera.
Comprenez-vous cette démarche du Saint-Père d’insister autant sur la Méditerranée comme une démarche prophétique?
Ce qui serait prophétique serait de démultiplier ces lieux de rencontres et de relations, de laisser jaillir l’eau de la miséricorde de Dieu. Le goût de cette eau n’est ni chrétien, ni juif, ni musulman; c’est l’eau de la grâce de Dieu à même de nous offrir de nouveaux paradigmes culturels et civilisationnels. Si le Verbe s’est incarné sur les rivages de la Méditerranée, c’est peut-être aussi car il en était convaincu lui-même. Ces vecteurs culturels présents en Méditerranée se prolongent aussi naturellement dans le monde entier. Comme l’on dit dans la ville trois fois sainte: «Quand il y aura paix à Jérusalem, il y aura paix dans le monde entier». La Méditerranée est donc un microcosme, évocateur d’un macrocosme.
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