Mgr Aveline: le cardinal Parolin à Marseille pour son lien entre Europe et Méditerranée
Entretien réalisé par Delphine Allaire - Marseille, France
La plus ancienne ville de France reçoit pour la première fois la visite d’un Secrétaire d’État du Saint-Siège. Le cardinal Pietro Parolin s’est rendu à Marseille pour une journée, vendredi 24 juin, solennité du Sacré-Cœur. En la cathédrale de la Major, aux abords du Vieux-Port, il a célébré la messe du vœu des échevins, tradition tricentenaire perpétuée depuis 1722 afin de protéger à l’époque la cité de la peste. Le Secrétaire d’État du Saint-Siège a été accueilli et reçu par Mgr Jean-Marc Aveline, futur cardinal français à la fin de l’été. L’archevêque de Marseille nous confie les raisons de cette invitation et la signification de cette tradition spirituelle, culturelle et populaire.
Que représente la venue du Secrétaire d’État du Saint-Siège, pour la première fois, à Marseille?
Effectivement, c’est une première. La journée est historique. Il s’agit aussi de la première venue d’un Secrétaire d’État du Vatican à Marseille. J’ai invité le cardinal Parolin, car la fête du Sacré-Cœur est toujours pour nous, avec la tradition toujours perpétuée jusqu’à présent du vœu des échevins, une occasion de relations entre l’Église et la société, la mairie, les collectivités territoriales, les responsables politiques, militaires, civils. Une occasion qui travaille sur le lien entre Église et société. C’est la fonction du Secrétaire d’État, j’ai donc cru bon de l’inviter.
Le cardinal Parolin vient pour le vœu des échevins, mais aussi pour rencontrer le clergé et des fidèles marseillais. Quel est la particularité du lien de l’Église de Marseille avec Rome, dans le passé et aujourd’hui?
Marseille et Rome sont des cités bordées par la Méditerranée. Outre des liens culturels et historiques -Marseille était rattachée un temps directement au Saint-Siège-, nous partageons aujourd’hui avec l’Église d’Italie les défis actuels autour de l’espace méditerranéen. J’ai participé aux rencontres de Bari et de Florence, organisées par la conférence épiscopale italienne, mais aussi portées par le Saint-Siège. Nous partageons l’ampleur et la gravité des défis de cette zone, en matière migratoire, économique ou écologique. Marseille est une ville particulière en France. Elle est européenne de par son appartenance à la France, mais aussi méditerranéenne. Le cardinal Parolin vient aussi pour ce point de jonction qu'elle représente.
Quelle résonance va prendre le renouvellement du vœu des échevins, initialement prononcé pour éloigner la peste, après ces deux dernières années compliquées par une pandémie, certes bien moindre que la peste?
Toute ressemblance avec une situation existante n'est pas tout à fait fortuite! La peste est arrivée par le Grand Saint Antoine, bateau accueilli dans la rade de Marseille en juin 1720. L’épidémie s’est propagée, entraînant beaucoup de choses qui ressemblent, toute proportion gardée, à ce que nous avons vécu, la peste ayant fait beaucoup plus de ravages.
En 1720, sur les conseils d’une religieuse visitandine, la Vénérable Anne-Madeleine Rémusat (1696-1730), l’évêque de Marseille, Mgr de Belsunce décide de consacrer Marseille au Sacré-Cœur de Jésus. Chose faite au 1er novembre 1720. La peste avait ensuite reculé, permettant la célébration d’une première liturgie du Sacré-Cœur en 1721, avant une «deuxième vague» début 1722. C’est la raison pour laquelle l’évêque a écrit aux échevins, soit la municipalité de l’époque, leur demandant de s’engager par un vœu et de façon perpétuelle à demander protection pour la ville. Le 1er vœu a été prononcé le 4 juin 1722 dans la cathédrale de l’époque, que l’on appelle aujourd’hui la Vieille Major.
Comment expliquer ce supplément d’âme de piété populaire à Marseille, la pérennisation de ces fortes traditions religieuses, comme la Chandeleur d’ailleurs?
L’âme méditerranéenne, peut-être mieux que d’autres, résiste au rouleau-compresseur de la sécularisation. Sans que celle-ci ne soit mauvaise, mais une certaine forme d’y céder détruit quelque chose à l’intérieur de l’humain, qui l’étouffe. Les sociétés méditerranéennes ont gardé cette possibilité d’exprimer ce désir de Dieu à l’intérieur de tout homme, comme disait saint Augustin et saint Thomas. La piété populaire a parfois été une expression considérée de façon méprisante. Or, je la trouve très positive. Elle permet à des personnes d’exprimer ce désir intérieur, sans qu’elles n’appartiennent de façon très proche à une religion. On traduit par des gestes et une fidélité quelque chose que l’on porte en soi.
Le vœu des échevins est à l’origine prononcé par des échevins, donc les autorités politiques municipales de la ville. Comment à Marseille foi et politique dialoguent-t-elles et cohabitent-elles ensemble?
Depuis plusieurs années, il est prononcé par le président de la Chambre de Commerce et d’Industrie, institution vénérable à Marseille. C’est la première constituée en France, elle est jumelée avec Alexandrie, et déploie beaucoup de travail méditerranéen. Nous savons bien à Marseille qu’aucun responsable politique, économique, religieux, ne peut à lui seul sauvegarder cette âme marseillaise qui est toujours à surveiller comme le lait sur le feu, notamment à cause de la précarité économique, de problèmes à potentiel explosif, tout le monde sait qu’il a besoin de l’autre. Le jour du Sacré-Cœur est la traduction de cette conscience que chacun a de ne pas pouvoir à lui tout seul accomplir cette mission de veille pour le bien commun pour les citoyens de cette ville.
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