Mgr Olivier Ribadeau-Dumas, entre Lourdes et Paris
Entretien réalisé par Jean-Charles Putzolu - Lourdes, France
Mgr Olivier Ribadeau-Dumas enchaîne deux missions de «résurrection». C’est le terme qu’il emploie pour commenter sa nomination dans la capitale française comme recteur de Notre-Dame de Paris. À Lourdes, il laisse à son successeur père Michel Daubanes un sanctuaire encore convalescent, au sortir de la pandémie, où les pèlerins reviennent progressivement. À quelques jours de quitter les Pyrénées, bilan de ses trois années lourdaises.
Vous vivez les dernières semaines de votre mission au sanctuaire de Lourdes où vous avez passé trois ans. Une période compliquée par la pandémie, qui a bouleversé votre mission, ayant dû prendre un chemin différent de l'idée que vous en aviez au départ…
Les années que je viens de vivre ont été belles, denses et en même temps, assez difficiles. Mais d'abord, je veux souligner à quel point être recteur d'un sanctuaire comme celui de Notre-Dame de Lourdes est une chance formidable pour un prêtre. Il se vit ici une grâce inestimable, celle de la rencontre avec Bernadette et celle d'une possible rencontre avec Dieu par l'intermédiaire de Marie. Tout l'ordinaire du centre du sanctuaire, cette fraternité vécue en actes, cette primauté donnée aux plus petits et aux plus fragiles, cet accueil de tous, cette piété populaire aussi, et la dimension internationale, tout cela a nourri ces trois années. C'est vrai, elles ont été marquées par la pandémie et notamment par la fermeture du sanctuaire, ce qui n'était jamais arrivé dans son histoire, pendant deux mois, entre mars et mai 2020.
En même temps, il me semble que ces trois années ont été des années de profondes interrogations sur la manière d'exercer notre mission, sur les pèlerins qui viennent à Lourdes et sur ce qu'il est nécessaire d'entreprendre pour que nous soyons fidèles aujourd'hui et demain, dans les dix ans qui viennent, à la mission que l'Église nous confie. C'était une période de très grande créativité, de très grande solidarité entre tous les acteurs, qu'il s'agisse des chapelains, des prêtres ou des religieux au service du sanctuaire, des salariés, des bénévoles, des hospitaliers; et en même temps, une nécessaire inventivité pour que les pèlerins qui ne pouvaient pas venir puissent quand-même bénéficier de cette grâce de Lourdes, parce que c'est pour moi une conviction profonde, la grâce de Lourdes ne peut pas être enfermée à l'intérieur des grilles du sanctuaire. C'est pourquoi nous avons voulu développer tout ce qui était de l'ordre de la retransmission par la télévision, par les réseaux sociaux, des principales célébrations qui se vivaient à Lourdes. Nous avons créé les missions Notre-Dame de Lourdes pour permettre à des diocèses de bénéficier de ce qui se vit ici grâce à la venue de chapelains pendant deux jours ou une semaine qui permettent la visite des malades, l'organisation de processions, la méditation du rosaire, des catéchèses mariales. Pour que ce qui se vit à Lourdes puisse se vivre aussi à l'extérieur et donne envie à ceux qui sont à l'extérieur de revenir au sanctuaire. Nous sommes à cette période où les pèlerins reviennent, j'espère de plus en plus nombreux.
Vous évoquez cette période lors de laquelle vous avez développé les retransmissions. D'ordinaire, les pèlerins viennent à Lourdes, cette fois-ci, Lourdes est venue aux pèlerins.
C'était effectivement le but: ne pas priver les pèlerins de Lourdes. Cette crise nous a fait prendre conscience du nombre extrêmement important de pèlerins individuels qui venaient, sans avoir véritablement conscience de ce que représente ce lieu.
La sécularisation de nos sociétés occidentales fait que Lourdes sort peu à peu de l'inconscient collectif. De ce fait, "aller vers" est ce mouvement que nous avons redécouvert d'aller à la rencontre de ces gens qui entrent dans le sanctuaire pour leur expliquer ce qu'il est et pour leur permettre d'entrer dans la grâce de ce lieu. Les pèlerinages traditionnels qui viennent trois ou quatre jours ne sont pas comparables à des pèlerins individuels qui viennent trois ou quatre heures. Cela a été un renouveau profond de notre pastorale, pas simplement d'accueillir les pèlerinages, mais d'aller à la rencontre des pèlerins et des visiteurs pour leur permettre de vivre ici pendant les quelques heures qu'ils passeront dans le sanctuaire, une vraie expérience spirituelle.
Quels fruits avez-vous tiré de cette expérience de trois ans, à titre personnel?
C'est une expérience magnifique. C'est une expérience spirituelle profonde. Personne ne sort indemne d'un contact avec Lourdes. C'est d'abord la rencontre avec Marie, et cette conviction profonde que l'Église sera fidèle à sa mission seulement si elle devient de plus en plus mariale. C'est-à-dire, si comme Marie, elle se met à l'écoute de son Seigneur et à l’écoute des hommes et des femmes de notre temps; si elle s'empresse, comme Marie, pour aller dans la joie au service de sa cousine Elisabeth, et donc que nous nous empressions dans la joie au service de ceux qui ont besoin de nous; si elle est attentive comme Marie, aux besoins des autres, comme elle fut attentive à Cana; et si elle est au pied de la Croix. Ce contact avec Marie a été une expérience ecclésiale forte. C'est aussi l'expérience de la prière. Le confinement a permis aux chapelains de redécouvrir que leur mission première est de prier à la grotte. Nous sommes des priants pour porter devant Marie ce monde qui souffre. Et je pense que dans la simplicité de ce lieu, la prière sans doute s’est simplifiée aussi: elle est devenue plus confiante, plus simple. Mais en même temps, dans l’émerveillement et l'action de grâce pour tous les témoignages dont j'ai pu être le témoin au cours de toutes ces années, de la foi simple et si belle, des gens qui sont là et qui ont une confiance totale dans Marie. Et puis, il y a une leçon très importante: les pauvres, les fragiles, les précaires sont à la première place à Lourdes. Je crois que Bernadette a beaucoup de choses à dire aujourd'hui, Bernadette a beaucoup de choses à dire au prêtre. C'est une pauvre qui a donné à l'abbé Dominique Peyramale, le curé de Lourdes, sa mission. Et donc l'abbé Peyramale s'est mis au service de la mission que Bernadette avait elle-même reçue de la Vierge Marie: «Allez dire aux prêtres de bâtir ici une chapelle et de venir en procession». Et donc, je crois que même pour moi, prêtre, je reçois des pauvres cette mission de porter la bonne nouvelle de l'Évangile.
Vous laissez au père Michel Daubanes le sanctuaire dans quelques semaines, au moment où les pèlerinages redémarrent - à 50% seulement de la fréquentation habituelle en cette période. Quel message lui adressez-vous?
D'abord ma joie qu'il arrive ici à Lourdes et qu'on ne peut être un recteur du sanctuaire que si l'on est d'abord un pèlerin et si on ne s'habitue pas à la grotte. Être toujours émerveillé par ce qui s’y vit, tirer de cette grotte la confiance pour cette mission, qui est une mission lourde et passionnante. Le père Daubanes pourra comme moi, s'appuyer sur des équipes formidables, sur les chapelains qui sont le cœur et l'âme du sanctuaire, parce que ce sont eux qui animent, qui donnent l'âme de ce sanctuaire ; sur une communauté de travail, et ce n'est pas rien que tous ceux qui œuvrent à Lourdes, qu'ils soient salariés, qu'ils soient bénévoles, qui soient religieux, forment une communauté. Ce ne sont pas des chapelles juxtaposées. Je salue l'esprit de service des uns et des autres et leur grand dévouement et leur grand amour du sanctuaire. Cette communauté de travail est un point d'appui sur lequel le père Daubanes pourra s'appuyer. Le recteur de Lourdes, est aussi un homme de communion entre tous les acteurs, de communion avec les directeurs de pèlerinages, avec les présidents d'hospitalité dans tous les pays du monde, et c'est notre mission que de faire des ponts. Faire des ponts aussi avec une ville, parce que le sanctuaire est au cœur de cette ville, la ville de Lourdes, qui a beaucoup souffert ces deux dernières années mais qui en même temps vit par le sanctuaire et avec le sanctuaire. Le recteur est chargé d'avoir des liens aussi bien avec les élus qu'avec les socioprofessionnels, les hôteliers, les commerçants, avec les pouvoirs publics. Ce n'est pas toujours simple, quelquefois un peu tendu, mais je suis sûr que la communion l'emporte toujours sur les risques de désunion et que c'est quand on est unis que l'on peut faire avancer les choses. Ça a été en tout cas mon désir pendant ces trois années. Je n'ai peut-être pas toujours réussi, mais j'ai essayé et je souhaite que le père Daubanes puisse continuer.
Vous avez dit en saluant les journalistes de ces journées saint François de Sales, qu’à Lourdes on doit vivre et voir le Christ à hauteur de fauteuil. Votre nouvelle mission vous ramènera dans la capitale, à Paris, vous y serez recteur de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Est-ce que vous conserverez ce regard à hauteur de fauteuil?
Ce qui est sûr, c'est que la mission que je vais avoir m’invitera à être attentif à tous, à demeurer un homme de communion pour effectuer un travail en commun avec tous les acteurs qui sont chargés de ce vaste projet de Notre-Dame de Paris. En même temps, l'on reste toujours marqué par les plus petits et les plus faibles. Je vais donc être recteur de la cathédrale qui est l'église de l'évêque; et l'archevêque dans les processions, c’est celui qui marche toujours derrière et s'il marche derrière, c'est pour ne pas marcher plus vite que celui qui va le plus lentement. Et donc j'aurai le souci de permettre à tous d'aller chacun à sa vitesse, comme le Christ a rejoint les pèlerins d'Emmaüs, là où ils en étaient sur leur route, sur leur chemin, de respecter les plus petits et les plus pauvres et de faire en sorte que chacun puisse trouver sa voie et avoir un rôle. Un projet comme celui-là se bâtit avec tous, et tous ont leur rôle à jouer.
Vous quittez des pèlerins blessés par la vie. Vous allez retrouver une cathédrale blessée par un incendie avec l'espérance de la reconstruction.
Je quitte des pèlerins blessés par la vie mais confiants dans la Vierge Marie. Je retrouve Notre-Dame de Paris avec une immense joie puisque c'est mon diocèse, et dans cette grande espérance de la résurrection. La cathédrale ressuscitera, la cathédrale rouvrira, la cathédrale sera à nouveau ce signe planté au cœur de notre ville, Paris, de notre diocèse, mais aussi au cœur de l'Église universelle. Parce que la dimension de la cathédrale Notre-Dame de Paris dépasse largement les frontières du diocèse. L'émotion que l'incendie a suscitée manifeste que le monde entier a les yeux tournés vers Notre-Dame et que la réouverture de la cathédrale sera un rendez-vous pour le monde entier. Je souhaite que l'archevêque de Paris puisse rouvrir cette cathédrale avec les pouvoirs publics dans ce souci que ce soit un signe d'espérance fou. L'Église vit, l'Église est faite de pierres vivantes. Cette cathédrale, qui est le génie de l'homme, est le signe même que la tradition n'est pas figée, que l'Église vit toujours et qu'elle est toujours chargée d'annoncer l'Évangile du Christ.
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