Sœur Becquart: des Églises locales stimulées par la dynamique synodale
Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican
Le Synode sur la synodalité progresse. Après les consultations dans les diocèses du monde, un document doit sortir cette semaine afin d’accompagner les fidèles pour la phase continentale des assemblées synodales.
Par ailleurs, le Pape François avait annoncé dimanche 16 octobre que l’assemblée finale à Rome se tiendra en deux sessions: l’une en octobre 2023, l’autre un an plus tard. «J'espère que cette décision favorisera une meilleure compréhension de la synodalité en tant que dimension constitutive de l'Église, et aidera tous à la vivre comme des frères et sœurs témoignant de la joie de l'Évangile», a-t-il expliqué.
Le Synode à venir porte sur le thème "Pour une Église synodale: communion, participation, mission".
Sœur Nathalie Becquart, religieuse xavière, l’une des deux sous-secrétaires du Synode des évêques, nous explique d’abord les raisons de cette décision d’ajouter une session supplémentaire, avant de dresser un bilan du processus en cours.
C'est le Pape François qui a pris la décision bien sûr. Il est le président du Conseil du synode, et je crois que ça exprime bien l'importance qu'il accorde à ce Synode et surtout à l'enjeu de la synodalité, c'est à dire à l'enjeu de la conversion synodale de l'Église, pour que l'Église devienne toujours plus une Église de l'écoute, une Église du discernement. Et le discernement prend du temps. Donc, je crois que le souhait d'avoir deux sessions à un an d'intervalle permet vraiment un chemin de maturation. On peut penser aussi à l'expérience du Concile Vatican II: quatre sessions. Entre temps, les pères conciliaires retournaient chez eux dans leur diocèse, et cette idée d'aller-retour, qui est déjà en œuvre dans le processus actuel, va être développée à travers ces deux sessions.
Que va-t-il se passer concrètement entre ces deux sessions?
C'est au fur et à mesure de l'expérience qu'on peut davantage discerner les étapes futures. Pour l'instant, on est aujourd'hui dans la phase continentale qui s'ouvre, notamment avec la publication du document d'étape continental qui va arriver très bientôt et va permettre de continuer ce dialogue, cette écoute au niveau local, pour alimenter le dialogue entre les Églises locales au niveau d'un continent, et faire émerger la voix de chaque continent, leurs priorités, leurs questions, leur situation à travers les sept rencontres continentales synodales, qui auront lieu entre janvier et mars. Chaque rencontre continentale produira un document final. Ces sept documents finaux seront la base pour préparer l'instrument de travail, l'Instrumentum laboris de l'assemblée d'octobre 2023.
La décision d'annoncer cette deuxième session est récente. Donc, il faut encore discerner comment se vivra ce temps entre les deux années. Pour l'instant, c'est un peu tôt.
Comment éviter que l'élan de la première session ne retombe avant la deuxième?
Oui, c'est effectivement un enjeu. Dans l’expérience que l’on fait déjà à travers tous les retours qui nous viennent du terrain: des diocèses, des groupes qui ont expérimenté la méthode synodale dans ce style - celui de la conversation spirituelle, de l'écoute mutuelle du marcher ensemble -, tous nous disent «on réalise vraiment que c'est le chemin pour l'Église d'aujourd'hui et on veut continuer».
Partout où a été expérimentée la dynamique synodale, il y a le désir de continuer à mettre cela en œuvre localement. Le but de ce synode est très clairement d'aider l'Église dans sa conversion synodale qui doit se vivre à tous les niveaux. Donc, je crois que si vraiment nous continuons ce chemin en aller-retour, ou plutôt en circularité entre les diocèses, les conférences épiscopales, la dimension continentale, la dimension universelle, la synodalité se diffuse dans cette circularité-là et se joue dans cette circularité-là.
Donc, on ne peut pas penser la première session comme un «en-soi», l'assemblée d'octobre ou même la deuxième session. C'est tout le processus qui est un chemin et on en fait l'expérience. L'Église a discerné que l'Esprit-Saint nous appelle à être une Église synodale et donc l'Esprit-Saint va continuer à ouvrir des chemins et nous donner la grâce de voir comment vivre ces temps-là, pour que ce chemin de conversion synodale, qui est à la fois une conversion personnelle et une conversion communautaire, ensemble, puisse se continuer.
Vous parlez d'une dynamique que vous observez dans les réponses des différentes Églises. Que pouvez-vous nous dire de cette dynamique? Est-ce qu'elle est uniforme au niveau géographique, au niveau des différents échelons? Est ce qu'elle a émergé dès le début, ou bien il a fallu un peu de temps avant que ça ne «décolle»?
Ce qu'on peut voir, c'est la beauté de l'Église, qui est très diverse et qui se vit dans des Églises particulières, dans des contextes extrêmement variés. L'Église catholique est présente partout, dans des langues, des cultures, des sociétés, des histoires différentes. Ce qu’on peut voir avec ce Synode, c'est que les points de départ ne sont pas les mêmes. Par exemple, vous avez des pays comme la France, où depuis le Concile, quasiment tous les diocèses français ont fait un, deux ou trois synodes diocésains. Donc, la France est le pays qui a fait le plus de synodes diocésains depuis le Concile Vatican II.
Vous avez d'autres pays qui n'ont jamais connu un synode diocésain ou une démarche synodale. Les points de départ en fonction des expériences ne sont pas les mêmes. Vous avez des pays qui, de par leur histoire, parfois de la manière dont des Églises jeunes avec des missionnaires ont démarré, sont déjà dans une dynamique très synodale. Dans d'autres pays, on peut avoir des structures ou des mentalités qui font que l'expression de chacun n'est pas facile.
Les points de départ et les contextes sont différents, mais en même temps, ce qu'on peut voir avec ce Synode, c'est que finalement, chacun a fait un pas. Certains se sont mis en route très vite. Même avant la publication du document préparatoire, il y avait des équipes synodales déjà au taquet, qui avaient tout prévu pour faire les traductions, pour faire les formations. D'autres pays se sont mis en route plus tard, donc chacun a son rythme. In fine, quasiment tout le monde entre dans ce mouvement, mais avec des approches différentes et aussi beaucoup de créativité, ce qui est très bon parce qu'il n'y a pas une manière de vivre la synodalité. Cela s'incarne et s’inculture, dans des cultures propres, dans des contextes propres.
En revanche, nous voyons émerger de partout, à travers l'expérience synodale, une très forte dénonciation du cléricalisme, et certains thèmes qui sont très forts, comme l'enjeu de l'écoute, l'enjeu d'une Église plus inclusive, plus ouverte, qui donne vraiment sa place à tous, en particulier aux femmes, mais aussi aux personnes qui peuvent se sentir plus en marge ou sans voix. Une Église qui veut dialoguer avec la société, avec les autres. Et je crois qu'on est en train d'apprendre aujourd'hui à être davantage cette Église qui vit à la fois l'unité, mais dans et par la diversité, et non pas une unité monocolore qui serait un style unique qui s'imposerait à tous, et qui, pendant longtemps, il faut le dire, a été un style européen et occidental.
Avez-vous des exemples de créativité qui vous ont touché?
[Je pense à] une religieuse qui a été responsable du Synode dans son diocèse aux États-Unis, où ils ont vraiment fait une démarche synodale absolument magnifique, en allant partout dans non seulement dans les paroisses, mais dans les écoles, dans les lieux pour les personnes migrantes. Et avec aussi beaucoup de créativité: ils ont fait des chaussettes, des petites chaussettes avec le logo du Synode comme signe de l'enjeu de marcher ensemble. C'est un petit exemple parmi d'autres.
Je pense aussi dans certains contextes, pour vraiment toucher les gens c'est passé par beaucoup de communication sur les réseaux sociaux, sur les radios, par exemple dans certains diocèses d'Afrique où c'est le moyen de parler aux gens. Je crois que c'est le Togo, si je ne me trompe pas, où ils ont formé des missionnaires du Synode pour aller faire du porte-à-porte et aller écouter les gens pour la consultation synodale.
Je pense aussi à ces pays comme l'Italie ou l'Espagne qui ont fait une dynamique synodale dans les prisons pour aller écouter les prisonniers. Une de mes sœurs xavière, qui est au Tchad et qui travaille beaucoup avec les enfants, a organisé dans sa paroisse une très belle consultation synodale avec les enfants qui ont aussi parlé et ont dit des très belles choses que l’on peut entendre comme la voix de l'Esprit-Saint.
C'est beaucoup de gratitude pour nous de voir tout ce qui s'est fait, et je peux dire que je suis, et j'ai été, et je reste extrêmement touchée de contempler la manière dont l'Esprit-Saint souffle à travers ce Synode, et en particulier aussi la manière dont le Synode a été vraiment fait et mis en œuvre dans des contextes extrêmement difficiles, de pays en guerre, de pays qui subissent de graves crises, des violences. Je pense à la Birmanie, à Haïti, l'Ukraine, la Centrafrique, où la démarche synodale s'est faite aussi, malgré de grandes difficultés.
Vous avez parlé des enfants. Comment sont rejoints les jeunes, à qui a été consacré un Synode récemment? Comment est rejointe cette tranche d'âge de 20-30 ans?
C'est vrai que beaucoup de synthèses synodales ont fait la lumière sur le fait que ça leur a été difficile d'aller rejoindre les jeunes. C'est assez variable selon les pays. Il est vrai qu’un certain nombre de jeunes, j'en suis témoin, s'était exprimé lors de la consultation synodale pour le synode des jeunes en 2018. Et c'est d'ailleurs ce synode des jeunes qui a fait émerger l'enjeu pour l'Église d'être vraiment une Église synodale. En écoutant les jeunes et en discernant avec eux, on peut dire les jeunes sont venus réveiller la dimension synodale de l'Église et ont fait la lumière sur le fait que la seule manière de transmettre la foi aujourd'hui, c'est le style synodal. Parce que les jeunes veulent être écoutés, veulent être acteurs, protagonistes. À travers ce Synode, aujourd'hui, on s'aperçoit que ce ne sont pas seulement les jeunes et donc ce n'est pas seulement la pastorale des jeunes qui doit être synodale, comme le Pape François l'a écrit dans Christus vivit, mais toute pastorale.
Certains pays ont réussi à bien rejoindre les jeunes, pour d'autres, ça a été plus difficile. Mais on peut signaler la belle initiative du synode digital qui, à travers une écoute qui s'est faite sur les réseaux sociaux de bien des manières, a quand même permis d'écouter beaucoup de jeunes. Ça doit continuer. On a beaucoup insisté sur le fait que pour cette étape continentale, on pense aussi à inviter des jeunes à dialoguer, à aller les rejoindre et à ce qu'ils soient aussi présents dans les assemblées synodales continentales. Mais je crois qu'on peut aussi s'appuyer sur la voix des jeunes qui est venue à travers le synode des jeunes, et qui va tout à fait dans le même sens que tout ce qui ressort aujourd'hui de la consultation synodale.
Quel sera le lien entre l’Année sainte de 2025 et ce Synode dont deuxième session s'achèvera en 2024, l'année précédente?
On prépare cette année sainte, ce Jubilé, à travers un parcours sur plusieurs années qui vise notamment à retravailler et continuer à s'approprier, et surtout à mettre en œuvre, les textes du Concile Vatican II. Comme un théologien l'a exprimé Ormond Rush, théologien australien, l’a dit, «la synodalité, c'est le Concile en un mot, le Concile, en résumé». Ce synode s'inscrit donc tout à fait comme un fruit du Concile et doit aider, et aide déjà, à continuer la réception du Concile Vatican II. Donc, je crois que c'est une même dynamique finalement, la dynamique synodale, la préparation des assemblées synodales, et la préparation de l'Année sainte.
Et je voudrais souligner en particulier que 2025, c'est pour fêter l'anniversaire du Concile de Nicée, et que ce Synode a une dimension œcuménique extrêmement importante, puisque c'est aussi cette même dynamique de chemin vers l'unité des chrétiens. La synodalité est un enjeu très important. On a aussi dans ce chemin, à écouter les chrétiens des autres Églises, à s'enrichir les uns les autres, à apprendre les uns des autres. Les autres Églises ont aussi une expérience synodale. Donc, je crois que la préparation de l’Année sainte, qui porte aussi en elle cette dimension œcuménique, s'articule bien avec ce Synode qui fait une lumière très importante sur l'enjeu de poursuivre et même d'intensifier le dialogue avec nos frères chrétiens des autres Églises.
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