L’aide aux chrétiens persécutés, coopération entre l’Église et l’État hongrois
Entretien réalisé par Delphine Allaire - Cité du Vatican
Qui sont les acteurs en Hongrie de cette attention portée aux chrétiens persécutés dans le monde?
Il y a plusieurs organisations comme la branche hongroise de l’Ordre des chevaliers de Malte, très efficace sur le terrain, ou d’autres similaires à l’Aide à l’Église en Détresse (AED). L’Ordre de Malte a par exemple apporté son aide humanitaire après le séisme en Syrie, quand elles ont été essentiellement concentrées en Turquie. Les Syriens se sont sentis abandonnés par les aides humanitaires occidentales. Il y a aussi des programmes en Afrique subsaharienne, au Kenya, au Congo, pour installer des infrastructures sanitaires, creuser des puits, assurer l’eau potable dans les villages, reconstruire des écoles. Je ne dirais pas que l’aide est de préférence destiné aux chrétiens, mais les liens avec les Églises locales sont privilégiés. Aucun argent n’est envoyé, l’aide est apportée directement sur place.
Il y a aussi Hungary Helps, agence gouvernementale créé en 2017. Leur objectif est aussi d’organiser cette aide humanitaire. Ils ont reconstruit des hôpitaux en Syrie. Il s’agit d’aider les communautés locales à se développer et à rester sur place.
Comment qualifieriez-vous la relation Église-État en Hongrie sur ce type de sujet par exemple?
La relation est délicate. L’État actuel aide beaucoup les Églises. Nous avons des Églises protestantes, traditionnelles. Le gouvernement aide aussi la communauté juive ou l’Église catholique à reconstruire, restaurer des églises du pays. Cela peut parfois être gênant pour l’Église. Elle cherche à rester indépendante tout en conservant ces bonnes relations avec le gouvernement. Mais en tout état de cause, la population apprécie beaucoup cette aide à cause de notre histoire tourmentée notamment. La Hongrie est un pays chrétien millénaire. Au fil des siècles, nous avons plusieurs fois subi les occupations successives de peuples non-chrétiens: au XIIIe siècle par les Mongols, puis près de 200 ans par les Ottomans, et les soviétiques au XXe siècle. A chaque fois, les chrétiens étaient opprimés, persécutés, tués. Par conséquent, nous regardons toujours avec sympathie les peuples opprimés. Nous avons une relation différente au christianisme que l’Occident actuel.
En Hongrie, les non-croyants ne sont pas hostiles à l’Église. Les valeurs de la famille, du mariage sont profondément ancrées dans l’esprit hongrois.
Concernant la protection des chrétiens d’Orient en particulier, privilégiez-vous une zone précise? Je pense à la Terre sainte.
Le Moyen-Orient bien sûr. Le Liban, la Syrie dévastée par la guerre où les chrétiens ont été abandonnés. Leur nombre a diminué. L’aide hongroise est toutefois notable en Afrique subsaharienne. Mais comme pays de moins de 10 millions d’habitants, nous ne pouvons pas aider partout. Il faut choisir. Des patriarches maronites, melkites, syriaques, viennent souvent à Budapest. Nous tissons des relations. Très récemment, le métropolite de Hajdúdorog des Byzantins et chef de l'Église gréco-catholique hongroise, Mgr Fülöp Kocsis, a personnellement organisé une quête dans l’Église gréco-catholique nationale. Malgré le peu de fidèles, ils ont recueilli une somme importante pour les Syriens. Cela fonctionne ainsi, par relation personnelle.
Cet intérêt pour les chrétiens persécutés pourrait-il aussi être lié à la présence historique de minorités en Hongrie?
Nous avons toujours été un pays multinational composée de plusieurs ethnies, avec des minorités slaves, allemandes, juives ou tsiganes. Jusqu’au XIXe siècle, le vivre ensemble était paisible. Ensuite, des conflits ont hélas ressurgi, expressément, artificiellement. Nous avons cette sympathie pour les chrétiens persécutés aussi car le christianisme était persécuté il y a peu en Hongrie. Le communisme était similaire à une autre religion, incompatible avec l’Église. Nous trouvons normal qu’un pays chrétien aide en proportion de ses possibilités ou de ses humbles capacités les autres chrétiens persécutés. Le christianisme est la religion la plus persécutée au monde dans tous les classements internationaux (rapports des ONG chrétiennes AED et Portes Ouvertes).
La France porte une longue tradition de protection des chrétiens d’Orient. Comment Budapest regarde-t-elle l’action française en la matière?
La France aide beaucoup au Moyen-Orient et en Afrique, aussi car le pays a eu un statut de colonisateur. Peut-être qu’elle se sent d’une certaine manière redevable à ces régions, même si je pense que la France a beaucoup donné. La Hongrie n’a jamais eu de colonies donc nous sommes «plus libres». Il n’y a pas ce sentiment de culpabilité ni d’obligation. En revanche, cela pourrait ne pas durer en raison d’impératifs économiques. La Hongrie donne beaucoup; la situation financière pour l’instant le permet, mais il n’en sera pas toujours ainsi. Cela donne aussi une bonne image du pays au niveau international. Bien que, finalement, la Hongrie est aussi très critiquée exactement pour la même raison.
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