L'Église aux côtés des victimes de l'attaque d'Annecy
Entretien réalisé par Marie Duhamel - Cité du Vatican
«S'attaquer à des enfants est l'acte le plus barbare qui soit». En France, le couple présidentiel était auprès des familles de trois des 4 bébés blessés à Annecy ce jeudi. Leur état s’améliorerait, l’un d’eux serait hors de danger. Emmanuel Macron a également salué le courage de ceux qui sont intervenus pendant l’attaque au couteau, dont un jeune pèlerin de 24 ans. L’assaillant, lui, est toujours en garde à vue ce vendredi soir.
Pour porter devant Dieu la douleur, l’incompréhension et l’angoisse suscitées par ce drame, l’évêque d’Annecy, Mgr Yves Le Saux, a célébré une messe à l’intention des victimes et de leurs familles ce vendredi soir dans la cathédrale. Il nous explique son intention.
Ma première réaction n’est pas celle d’un évêque, mais celle d’un homme atteint par ce drame. J’éprouve une forme de tristesse, de douleur, d’incompréhension. Ensuite, effectivement, je me suis demandé ce que je pouvais faire et signifier pour participer du drame et de l’émotion - excessive ou pas - des gens atteints par les événements. Donc on a immédiatement proposé de célébrer l’Eucharistie et ce temps de recueillement pour ceux qui le souhaitent, à la cathédrale.
Quels mots apporter pour consoler les cœurs blessés et choqués ?
Il n’y a pas grand-chose à dire, si on est honnête. Sauf que nous regardons le monde à partir de la Rédemption. On a fait le choix pour l’Eucharistie, de prendre le texte de la tempête apaisée. Jésus est dans la barque et il dort. Les disciples sont pris dans la tourmente, dépassés, ils réveillent Jésus et lui disent: «nous sommes perdus, est-ce que ça ne te fait rien ?» Nous aussi nous sommes en droit de dire: «Dieu, mais est-ce que tu t’occupes de nous ? Où es-tu ?» Et il faut pouvoir le formuler à Dieu lui-même, mais au-delà de cela, il y a la puissance de la Résurrection. Nous croyons, nous chrétiens, que l’amour est plus fort que la haine, que la vérité est plus forte que le mensonge et nous regardons le monde à travers cette espérance qui jaillit de la croix. Jésus est descendu dans l’enfer pour nous chercher. C’est vrai à toute époque. Il peut rejoindre la détresse des gens atteints par ce drame.
La violence dans le cœur de l’homme est une réalité à laquelle ont se heurte de manière récurrente. Vous dites qu’il faut s’interroger sur la violence et la combattre. Que propose l’Église pour la combattre ?
Moi, je pense que d’abord qu’il ne faut pas s’y adonner nous-mêmes. Mais, de fait, cela m’interroge - et ce n’est pas la première fois. Qu’est-ce qu’il y a dans le cœur de l’homme qui le rend est capable du meilleur comme du pire: capable de la haine la plus totale jusqu’à la folie, et de la charité jusqu’à la sainteté. Il y a là un mystère. Et puis, je crois que nous sommes dans un monde -et je ne veux pas tout mélanger mais quand même- violent. Cohabitent la violence verbale des réseaux sociaux même parfois entre chrétiens, mais aussi la violence physique, celles des débats où l’on insulte les gens, le harcèlement, et des faits divers terribles tous les jours. Pour quelle raison ? Quand il n’y a plus de transcendance possible, eh bien, c’est la violence. Donc que des gens désaxés, déraisonnables, malades passent à l’acte, ce n’est pas sans questions pour moi. On a le droit d’être en désaccord et de se le dire, mais on a pas le droit d’insulter les gens ou de recourir à la violence. Il faut se l’interdire. Je pense au Pape Jean XXII qui était hanté par la paix. Il affirmait que «seuls des hommes et des femmes pacifiés dans leurs propres cœurs peuvent être artisans de paix». Qu’est-ce qui fait qu’un cœur est pacifié ? Il me semble que pour Benoît XVI ce qui fait la paix d’un cœur c’est quand l’amour et la vérité sont d’accord entre eux. Donc je pense qu’il y a un travail à faire sur nous-mêmes. Qui peut guérir le cœur de l’homme ? (Face au mal et au bien), au fond, qu’est-ce que je vais choisir ?
L’attaque de ce jeudi à Annecy a mis en face à face un homme violent au nom de Dieu et un pèlerin qui s’est mis sur son chemin pour l’empêcher d’agir. Qu’est ce que cela signifie pour vous ?
D’un côté, quelqu’un se revendique chrétien. Certains ont dit qu’il était hébergé dans des églises d’Annecy, non, c’est un vagabond. Il est possible qu’il ait dormi dans des églises mais personne ne le connaissait. Et de l’autre côté, ce scout, ce jeune homme qui fait un pèlerinage à cathédrales qui dit avoir fait ce que tout citoyen devrait faire – ce que j’espère - et qui invite à prier pour les enfants. Il s’agit là clairement d’un chrétien. Il a essayé d’arrêter cet homme et il l’a fait, je vois bien, sans rien revendiquer et on voit qu’il est imbibé de sa foi.
L’un et l’autre sont là mais ce n’est pas à moi ni de diaboliser ni de sacraliser parce que je trouve qu’il y a une amplification médiatique qui n’est pas juste non plus. Il y a une sobriété à avoir, tout en reconnaissant que, oui, on a deux fils, deux hommes qui pour des raisons que j’ignore font des choix tout à fait différents.
Maintenant c’est difficile, il ne faut jamais aller trop vite. Je ne voudrais pas qu’on fasse un amalgame entre cet homme déraisonné et les chrétiens, en particulier syriens. Il faut éviter cet amalgame que certains seraient tenter de faire, et éviter la récupération politique d’un drame qui mérite d’abord que nous nous soucions des personnes blessées.
On voit d’ailleurs combien la question de la migration s’invite sur la scène politique en raison de ce drame. Comment travailler à l’accueil des personnes blessées quelles qu’elles soient ?
Pour un chrétien, tout ce que vous avez fait à un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait. Quand on massacre un petit, c’est au Christ qu’on le fait. Quand on accueille un étranger, c’est également au Christ qu’on le fait. Il ne faut pas qu’un drame vienne justifier nos égoïsmes.
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