La diplomatie, instrument du Saint-Siège au service de la mission universelle
Delphine Allaire – Paris, France
C’est un îlot missionnaire tourné vers l’Asie, à quelques pas de la chapelle de la Médaille-Miraculeuse au cœur de Paris qui s’est plongé dans les arcanes historiques de la diplomatie vaticane. Les Missions étrangères de Paris (MEP) ont organisé un colloque international sur les liens entre mission universelle, évangélisation et diplomatie pontificale, samedi 9 décembre, sur une idée du père Landry Védrenne.
Forts de l’expertise d’archivistes du Vatican, de spécialistes de la papauté et de la diplomatie apostolique, de géopolitique, de missiologie, d’histoire des missions et d’histoire de l’art, l’institut missionnaire français au service des Églises d'Asie et de l'océan Indien a souhaité mieux explorer les enjeux diplomatiques et missionnaires du gouvernement pontifical, aux époques moderne et contemporaine.
Les archives, reflet de la diplomatie
À cette fin, des archives couvrent toute l’activité du Saint-Siège: celles de la Secrétairerie d’État, les archives apostoliques et leur 83 km de rayonnage -ex-archives secrètes- ou celles de différents dicastères comme l’Évangélisation, les Églises orientales, la Doctrine de la foi. De petites portes ouvertes sur l’immensité du matériel accumulé par le petit État au fil des siècles et des continents. Le Saint-Siège représentant l’une des plus grandes bases d’informations au monde, et la Secrétairerie d’État détenant les archives les plus numérisées du monde.
Johan Ickx, directeur des Archives historiques de la section pour les Relations avec les États de la Secrétairerie d'État, a rappelé la genèse de ces dernières, nées dans l’Europe de la Restauration au lendemain du congrès de Vienne en 1815; «moment pour le Saint-Siège de reprendre une diplomatie moderne».
Les archives reflètent les oscillations de la diplomatie internationale du Saint-Siège. «Les boîtes et leur titulature archivistique témoignent en elle-même des inflexions de la diplomatie vaticane. À l’extérieur des boîtes se lit une volonté à l’intérieur du Saint-Siège», précise l’archiviste et historien belge. Réunions de cardinaux, documents bilatéraux, personnages -comme Jacques Maritain- mais aussi événements accidentels racontés par des témoins oculaires y figurent. L’organisation est géographique et temporelle. Ainsi la boîte belge perdure au Vatican alors même que le pays est sous domination hollandaise, de même pour celle de la Pologne face à la Russie.
La prudence diplomatique du Siège apostolique se manifeste toutefois dans la lenteur du changement de titulature. Il faut attendre quatre ans après la dislocation de la double couronne austro-hongroise pour qu’une boite archivistique soit dédiée à la Hongrie de façon indépendante, par exemple. «Le Saint-Siège paraît tarder, mais attend en fait que la réalité fasse effectivement son cours», explique Johan Ickx, notant une explosion du matériel parvenant à Rome après 1948, en provenance des continents africain, asiatique et latino-américain. «Pour le Saint-Siège, ce que l’Occident d’alors considérait comme le tiers-monde ne l’était pas pour lui», précise l'historien.
Rome, les nonces et les missionnaires
Un décentrement du regard européen déjà amorcé à la fin XIXe. «Le plus grand échec de mon pontificat est de ne pas avoir réussi à nouer de relations avec la Chine», regrettait Léon XIII, cité par le professeur Claude Prudhomme.
Don Flavio Belluomini, archiviste du dicastère pour l’Évangélisation, a lui conté les origines de la Sacrée Congrégation pour la propagation de la foi fondée par Grégoire XV le 6 janvier 1622 comme organisme du gouvernement central pour soutenir l’activité universelle du Pape. La mission est double: expansion catholique et protection de la foi là où prime une souveraineté non catholique ou une coexistence de foi. «Moins il y avait de catholiques dans un endroit, plus la Propaganda fide avaient de poids», note l’archiviste italien. Dans ce contexte, les nonces apostoliques faisaient office de lien entre la Propaganda Fide et les missionnaires. À partir de leur position de diplomates, ils ont accompli une fonction missionnaire comme pont reliant Rome et le monde. «Rome est indépendante dans ses choix mais doit prendre en compte la réalité du terrain et composer avec les États», relate le père Belluomini, comme ce fut le cas, par exemple lors de la crise diplomatique avec la France au début du XXe siècle, des suites de l’affaire Dreyfuss et de la loi de séparation des Églises et de l’État.
Les cas français et américain
À l'époque, la France, puissance catholique influente par son millier de missionnaires dans le monde, n’a plus d’ambassadeur près le Saint-Siège. L’Italie en pleine question romaine non plus. En cette la veille de la Première Guerre mondiale, seuls les ambassadeurs des empires centraux sont à Rome, souligne Gianfranco Armando des Archives apostoliques. Il faut attendre la canonisation de Jeanne d’Arc en 1920 pour amorcer le rétablissement de 1921 avec la France.
Autre intervention sur le Saint-Siège et l’Occident, Don Roberto Regoli, directeur de la chaire d’histoire à l’Université pontificale grégorienne, a évoqué les spécificités américaines. Le Saint-Siège fait un bond en avant dans ses relations avec les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale en raison du communisme antichrétien de l’Union soviétique. «La Méditerranée était de plus en plus un lac américain, non plus britannique, ce à quoi le Saint-Siège fut attentif», remarque-t-il. C’est sous Jean-Paul II et Ronald Reagan que les deux États rétabliront leurs relations bilatérales en 1983. Elles étaient interrompues depuis 1867.
Le Saint-Siège et les missions
Les missions en Nouvelle-France furent elles l’occasion de voir comment l’environnement devient protagoniste des missions et quel effet environnemental des missionnaires avec Isabel Harvey de l’université du Québec.
La politique africaine du Saint-Siège fut évoquée par Élisabeth Bruyère (Academia Belgica) sous le prisme du rôle du délégué apostolique, moindre que le nonce. Avec cette particularité que les missionnaires allaient plus vers leurs ambassades nationales plutôt que vers les ambassadeurs du Pape.
Enfin, large part fut consacrée à l’Asie. Le père Landry Védrenne a rappelé les caractéristiques de la Sinopolitik du Saint-Siège de 1919 à 1946. Le Saint-Siège s'est confronté à la France alors puissance protectrice des missions en Chine, qui faisait percevoir le catholicisme sur place comme une religion de l’étranger. «Or, le Saint-Siège souhaitait en faire une religion locale», précise-t-il. Le 28 octobre 1926, six premiers évêques chinois sont sacrés à Rome par Pie XI. Enfin détour fut fait par le Vietnam dont la chercheur Claire Tran a rappelé qu’il est aujourd’hui le seul pays communiste à avoir un représentant pontifical dans sa capitale, Hanoï.
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