Vœux aux ambassadeurs: le Pape appelle à tisser la paix en vérité et liberté
Delphine Allaire - Cité du Vatican
Dans son traditionnel discours-fleuve de vœux au corps diplomatique, de près de vingt pages, le Souverain pontife s’est appuyé en filigrane sur Pacem in Terris, dernière encyclique du Pape Jean XXIII (avril 1963) parue après la crise des missiles de Cuba d’octobre 1962. Selon François, ce texte historique «du bon Pape» Roncalli, sur «la paix entre toutes les nations, fondée sur la vérité, la justice, la charité, la liberté», fait écho à la période actuelle, aussi en proie aux menaces nucléaires. «Sous la menace des armes nucléaires, nous sommes tous toujours perdants!», a lancé l’évêque de Rome, préoccupé par l’impasse dans les négociations de l'accord sur le nucléaire iranien, et répétant à quel point la possession d'armes atomiques est «immorale».
Le Pape François a réaffirmé que la troisième guerre mondiale d'un monde globalisé est en cours. Les conflits impliquent désormais le monde entier. Confère la guerre en Ukraine, avec les attaques contre les infrastructures civiles qui font perdre la vie aux personnes non seulement à cause des bombes, mais aussi à cause de la faim et du froid. «Je ne peux que renouveler aujourd'hui mon appel à la fin immédiate de ce conflit insensé dont les effets touchent des régions entières, même en dehors de l'Europe en raison de ses répercussions en matière d’énergie et dans le domaine de la production alimentaire, notamment en Afrique et au Moyen-Orient», a insisté le Pape.
La Syrie et la Terre sainte
François a de nouveau fait allusion à «la troisième guerre mondiale par morceaux» tournant son regard vers d'autres théâtres de tensions et de conflits, comme «la Syrie martyrisée». «La renaissance de ce pays doit passer par les réformes nécessaires, y compris constitutionnelles, visant à redonner espoir au peuple syrien affligé par une pauvreté toujours plus grande, en évitant que les sanctions internationales imposées n'affectent la vie quotidienne d'une population qui a déjà tant souffert», évoque-t-il à ce sujet.
Le Saint-Siège suit également avec inquiétude l’aggravation de la violence entre Palestiniens et Israéliens. Jérusalem, ville sainte pour les juifs, les chrétiens et les musulmans, est particulièrement touchée. «Sa vocation, inscrite dans son nom, est d'être la Ville de la Paix, mais elle est malheureusement le théâtre d'affrontements. J'espère qu'elle pourra retrouver cette vocation d'être un lieu et un symbole de rencontre et de coexistence pacifique, et que l'accès et la liberté de culte dans les Lieux Saints continueront à être garantis et respectés selon le statu quo», a souhaité le Souverain pontife, espérant que les autorités israéliennes et palestiniennes dialoguent directement pour mettre en œuvre «la solution des deux États dans tous ses aspects».
Yémen, Afrique de l'Ouest, Éthiopie
Le Pape a évoqué son prochain voyage en RDC dans trois semaines, «avec l'espérance que cesse la violence dans l'Est du pays et que la voie du dialogue ainsi que la volonté de travailler pour la sécurité et le bien commun prévalent». Le pèlerinage de paix du Pape se poursuivra au Soudan du Sud, aux côtés de l’archevêque de Canterbury et du Modérateur général de l'Église presbytérienne d'Écosse, pour «contribuer à la réconciliation nationale».
Le Pape a énuméré une autre série de guerres: dans «le Caucase du Sud», où il exhorte «les parties à respecter le cessez-le-feu», appelant à la libération des prisonniers militaires et civils; au Yémen, où le cessez-le-feu conclu en octobre dernier tient bon mais où de nombreux civils continuent de mourir à cause des mines, et à l'Éthiopie où il espère que le processus de pacification se poursuive et que l’aide humanitaire se renforce.
François a partagé son appréhension de la situation en Afrique de l'Ouest, affligée par les violences du terrorisme: le drame du Burkina Faso, du Mali et du Nigeria. Il a affirmé souhaiter que les processus de transition en cours au Soudan, au Mali, au Tchad, en Guinée et au Burkina Faso se déroulent «dans le respect des aspirations légitimes des populations concernées». Sur le continent asiatique, le Pape jésuite est attentif à «la Birmanie bien-aimée» et à la péninsule coréenne.
L’évêque de Rome a ensuite repris quelques éléments de Pacem in Terris pour retisser des fils de paix, «un texte d'une grande actualité même si le contexte international a beaucoup changé». Pour saint Jean XXIII, la paix est possible à la lumière de quatre piliers: la vérité, la justice, la solidarité et la liberté.
Paix dans la vérité
Malgré les engagements pris par tous les États de respecter les droits humains et les libertés fondamentales de toute personne, aujourd'hui encore, le Pape a déploré que les femmes soient considérées comme des citoyens de seconde classe dans de nombreux pays, victimes de violences et d'abus, sans possibilité d'étudier, de travailler, d’accéder à la santé ou à la nourriture.
François a réaffirmé combien la paix exige avant tout que la vie soit défendue, «un bien qui est aujourd'hui mis en danger non seulement par les conflits, la faim et les maladies, mais aussi, trop souvent, par le ventre maternel qui revendique un prétendu "droit à l'avortement"».
«Personne ne peut revendiquer de droits sur la vie d'un autre être humain, surtout s'il est sans défense et donc privé de toute possibilité de se défendre. Œuvrer à la protection des droits des plus faibles et à l'éradication de la culture du rejet, qui touche malheureusement aussi les malades, les handicapés et les personnes âgées», a souligné le Successeur de Pierre, exhortant les États à garantir l’assistance des citoyens «à chaque étape de la vie humaine, jusqu'à la mort naturelle, en veillant à ce que chaque personne se sente accompagnée et soignée même dans les moments les plus délicats de son existence».
Le droit à la vie est également menacé là où la peine de mort continue d'être pratiquée, comme en Iran, a regretté François. «Nous ne pouvons pas oublier qu’une personne peut se convertir et peut changer jusqu'au dernier moment».
Le danger «d'une peur de la vie»
Aussi, le Pape a vilipendé l'émergence «d'une peur de la vie» qui se traduit, dans de nombreux endroits, par la peur de l'avenir et par la difficulté de fonder une famille et de mettre des enfants au monde. Le Pape a dit penser à l'Italie, où l’on assiste à «une baisse dangereuse de la natalité»; «un hiver démographique qui met en danger l'avenir même de la société.»
Selon François, les peurs se nourrissent de l'ignorance et des préjugés et elles dégénèrent facilement en conflits. «L'éducation est leur antidote», répond-il, estimant «inacceptable» qu'une partie de la population puisse être exclue de l'éducation, comme c'est le cas pour les femmes afghanes.
Un chrétien sur sept persécuté
La paix exige également que la liberté religieuse soit universellement reconnue. Environ un tiers de la population mondiale vit dans un endroit où elle est limitée, quand ce ne sont pas des persécutions. Un chrétien sur sept est persécuté, a affirmé François, exprimant à cet égard, le souhait que le nouvel Envoyé spécial de l'UE pour la promotion de la liberté religieuse dispose de ressources et de moyens nécessaires «pour remplir son mandat comme il convient».
Et le Pape de rappeler que la violence et les discriminations à l'égard des chrétiens augmentent aussi dans les pays où ils ne sont pas une minorité. «La liberté religieuse est mise en danger lorsque les croyants voient réduite la possibilité d'exprimer leurs convictions dans la sphère de la vie sociale, au nom d'une compréhension erronée de l'inclusion», a-t-il soutenu, expliquant que «les tentatives déplorables d'instrumentaliser la religion à des fins purement politiques» ne manquent pas, mais qu’elles sont contraire à la perspective chrétienne. «Le christianisme incite à la paix parce qu'il incite à la conversion et à l'exercice de la vertu», a-t-il pointé.
Paix dans la justice
La construction de la paix exige aussi que la justice soit poursuivie. Le Pape a constaté la crise qui affecte depuis longtemps le système multilatéral qui a selon lui besoin d’être repensé en profondeur. Les différentes instances internationales ont été marquées par des polarisations croissantes et des tentatives d’imposer une pensée unique, ce qui empêche le dialogue et marginalise ceux qui pensent différemment, a-t-il dénoncé. «Il y a un risque de dérive qui prend de plus en plus le visage d’un totalitarisme idéologique, qui favorise l’intolérance envers ceux qui n’adhèrent pas aux prétendues positions de “progrès”, lesquelles semblent plutôt en réalité conduire à une régression générale de l’humanité, à la violation de la liberté de pensée et de conscience», a poursuivi François, visant les colonisations idéologiques. Un sujet qu’il a pu toucher du doigt lors de son voyage apostolique au Canada. «Là où l’on cherche à imposer à d’autres cultures des formes de pensées qui ne sont pas les leurs, on ouvre la voie à de violentes oppositions et parfois même à la violence».
Paix dans la solidarité
Le Pape a souhaité souligner trois domaines où l’interconnexion est saisissante. La migration, question pour laquelle il n’est pas permis de «procéder en rang dispersé», a-t-il assuré. «Pour le comprendre, il suffit de regarder la Méditerranée qui est devenue un grand tombeau. Ces vies brisées sont l’emblème du naufrage de notre civilisation, comme je l’ai rappelé lors de mon voyage à Malte au printemps dernier». Le Pape a exhorté à la mise en œuvre de politiques adéquates d’accueil, d’accompagnement, de promotion et d’intégration des migrants, et reconnu, dans le même temps, que la solidarité exige que les opérations nécessaires d’assistance et de soins aux naufragés ne pèsent pas entièrement sur les populations des principaux lieux de débarquement.
Le deuxième domaine concerne l’économie et le travail: «Il faut redonner de la dignité à l’entreprise, en luttant contre l’exploitation qui traitent les travailleurs comme une marchandise».
Le troisième domaine, le soin de la Création. Le climat change et engendre parfois des ravages comme au Pakistan sous les eaux où des problèmes sanitaires en ont découlé, ou dans le Pacifique où le réchauffement de l’eau cause dommages à la pêche. Le Pape évoque «un soutien moral» du Saint-Siège aux efforts des États par l’adhésion à la Convention-Cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Pour François, la COP27 a atteint des objectifs «limités», la COP15, «encourageants».
Paix dans la liberté
L’affaiblissement, dans de nombreuses régions du monde, de la démocratie -et de la liberté que celle-ci permet-, est une source de préoccupation pour François. Le Saint-Père pense aux crises politiques dans plusieurs pays du continent américain, avec leur lot de tensions et de formes de violence qui exacerbent les conflits sociaux, en particulier au Pérou et à Haïti, mais aussi au Liban.
Concluant sa longue adresse, le Pape a observé «qu’il serait beau qu’une fois, nous puissions nous réunir juste pour remercier le Seigneur Tout-Puissant pour les bienfaits qu’il nous accorde toujours, sans être obligés d’énumérer les situations dramatiques qui affligent l’humanité».
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