François: trois guerres mondiales en un siècle, un appel au pacifisme
Depuis le vol papal
Voici la transcription de travail de la conversation du Pape François avec les journalistes sur le vol de retour de Bahreïn.
1) Fatema Alnajem (Bahrain News Agency)
Je voudrais vous dire quelque chose avant de vous poser ma question. Vous avez une place très spéciale dans mon cœur, non seulement parce que vous avez visité mon pays mais aussi parce que lorsque vous avez été élu Pape, c'était le jour de mon anniversaire. J'ai une question: comment évaluez-vous les résultats de votre visite historique au Royaume de Bahreïn et comment évaluez-vous les efforts déployés par Bahreïn pour consolider et promouvoir le vivre ensemble, dans toutes les sphères de la société, de toutes les religions, de tous les sexes et de toutes les races?
C'était un voyage de rencontre car le but était de se retrouver dans le dialogue interreligieux avec l'Islam et en dialogue œcuménique avec Bartholomée. Les idées du Grand Imam d'Al-Azhar allaient précisément dans ce sens de la recherche de l'unité, l'unité au sein de l'Islam en respectant les nuances, les différences mais avec l'unité, unité avec les chrétiens et avec les autres religions, et pour entrer dans le dialogue interreligieux ou le dialogue œcuménique, il faut avoir sa propre identité. On ne peut pas partir d'une identité diffuse. Je suis islamique, je suis chrétien, mais j'ai cette identité et je peux donc parler avec cette identité.
Quand on n'a pas d'identité propre, un peu sur l'air du temps, c'est un peu difficile pour le dialogue parce qu'il n'y a pas d'aller et retour, et c'est pour ça que c'est important et ces deux-là qui sont venus, le Grand Imam d'Al-Azhar et le Patriarche Bartholomée ont une forte identité. Et cela fait du bien. En ce qui concerne le point de vue islamique, j'ai écouté attentivement les trois discours du Grand Imam et j'ai été frappé par la manière dont il a tant insisté sur le dialogue intra-islamique, entre vous, non pas pour effacer les différences mais pour se comprendre et travailler ensemble, ne pas être les uns contre les autres.
Nous, les chrétiens, nous avons une histoire des différences assez laide qui nous a conduits à des guerres de religion: les catholiques contre les orthodoxes ou contre les luthériens. Maintenant, grâce à Dieu, après le Concile, il y a eu un rapprochement et nous pouvons dialoguer et travailler ensemble et c'est important, un témoignage du bien fait aux autres.
Ensuite, les spécialistes, les théologiens discuteront de choses théologiques, mais nous devons marcher ensemble comme des croyants, comme des amis, comme des frères, en faisant le bien. Moi aussi, j'ai été frappé par les choses qui ont été dites au Conseil des Sages, sur la création et la protection de la Création, et cela c’est une préoccupation commune à tous, musulmans, chrétiens, tout le monde. Maintenant, le Secrétaire d'État du Vatican et le Grand Imam d'Al-Azhar sont dans le même avion, de Bahreïn au Caire, ensemble comme des frères. C'est quelque chose d'assez émouvant. C'est une bonne chose. La présence du Patriarche Bartholomée - il fait autorité dans le domaine œcuménique - a également fait du bien. Nous l'avons vu dans le service œcuménique que nous avons fait et aussi dans les paroles qu'il a prononcées plus tôt. Pour résumer: c'était un voyage de rencontre. Pour moi, c'est la nouveauté d'apprendre à connaître une culture qui est ouverte à tous. Dans votre pays, il y a de la place pour tout le monde. Le Roi m'a dit: ici chacun fait ce qu'il veut, si une femme veut travailler, elle travaille. Une ouverture totale, c'est ce qu'il m'a dit. Vous le savez-vous-même, vous travaillez. Il y a aussi la partie religieuse, l'ouverture. J'ai été frappé par la quantité de chrétiens, de Philippins, d'Indiens du Kerala qui sont ici et qui vivent dans le pays et travaillent dans le pays.
Fatema Alnajem
Ils vous aiment beaucoup.
C'est l'idée, j'ai trouvé quelque chose de nouveau et cela m'aide à comprendre et à interagir davantage avec les gens. Le mot clé est dialogue, dialogue, et pour dialoguer, il faut partir de sa propre identité, avoir une identité.
Fatema Alnajem
Merci, Sainteté. Je prierai Allah le Tout-Puissant de vous bénir avec une bonne santé, du bonheur et une longue vie.
Oui, priez pour moi, pas contre (rires)
2) Imad Atrach
Saint-Père, de la signature du "Document sur la fraternité humaine" il y a trois ans, à la visite à Bagdad, puis récemment au Kazakhstan: ce chemin porte-t-il des fruits tangibles à votre avis? Peut-on s'attendre à ce que cela aboutisse à une rencontre au Vatican? Ensuite, je voudrais vous remercier d'avoir mentionné le Liban aujourd'hui, parce qu'en tant que Libanais je peux vous dire que nous avons vraiment besoin d'un voyage urgent de votre part, aussi et surtout parce que maintenant nous n'avons même pas de président, donc iriez-vous embrasser le peuple directement?
Merci. J'ai beaucoup réfléchi ces jours-ci - et nous en avons parlé avec le Grand Imam - à la manière dont est née l'idée du Document d'Abu Dhabi, ce Document que nous avons réalisé ensemble, le premier. Lui était venu au Vatican pour une visite de courtoisie: après notre entretien protocolaire, c'était presque l'heure du déjeuner et il partait, et alors que je l'accompagnais pour lui dire au revoir, je lui ai demandé: " Mais où allez-vous déjeuner ? ". Je ne sais pas ce qu'il m'a dit. "Mais venez, on va déjeuner ensemble". C'était quelque chose qui venait de l'intérieur. Puis, assis à table, lui, son secrétaire, deux conseillers, moi-même, mon secrétaire, mon conseiller, nous avons pris le pain, l'avons rompu et nous nous le sommes donné. Un geste d'amitié, offrir le pain. C'était un déjeuner très agréable, très fraternel. Et vers la fin, je ne sais pas qui a eu l'idée, nous nous sommes dit: mais pourquoi n'écririons-nous pas sur cette réunion? C'est ainsi que le document Abu Dhabi est né. Les deux secrétaires se sont mis au travail, avec un brouillon qui a fait des aller-retours, et finalement nous avons profité de la rencontre d'Abu Dhabi pour le publier. C'était une chose inspirée par Dieu, vous ne pouvez pas le comprendre autrement, parce qu'aucun de nous n'avait cela en tête. Elle a émergé lors d'un déjeuner amical, et c'est une grande chose.
Puis j'ai continué à réfléchir, et le document d'Abu Dhabi a servi de base à "Fratelli Tutti" ; ce que j'ai écrit sur l'amitié humaine dans " Fratelli Tutti " est basé sur le document d'Abu Dhabi. Je crois qu'on ne peut pas penser à un tel chemin sans penser à une bénédiction spéciale du Seigneur sur ce chemin. Je veux le dire par soucis de justice, il me semble juste que vous sachiez comment le Seigneur a inspiré cette route. Je ne savais même pas comment s'appelait le Grand Imam, puis nous sommes devenus amis et avons fait quelque chose comme deux amis, et maintenant nous parlons chaque fois que nous nous rencontrons. Le Document est actuel, et l’on travaille pour le faire connaître.
En ce qui concerne le Liban... Le Liban est une douleur pour moi. Parce que le Liban n'est pas un pays en soi, un Pape l'a dit avant moi, le Liban n'est pas un pays, c'est un message. Le Liban a une très grande signification pour nous tous. Et le Liban souffre en ce moment. Je prie, et je profite de cette occasion pour lancer un appel aux politiciens libanais: laissez les intérêts personnels de côté, regardez le pays et mettez-vous d'accord. D'abord Dieu, puis la patrie, ensuite les intérêts. Mais Dieu et la patrie. Pour l'instant, je ne veux pas dire "sauver le Liban" parce que nous ne sommes pas des sauveurs, mais s'il vous plaît, il faut soutenir le Liban, aider afin que le Liban arrête dans cette chute, afin que le Liban retrouve sa grandeur. Il y a des moyens, il y a la générosité du Liban, combien de réfugiés politiques a le Liban! Un pays si généreux et qui est en train de souffrir. Je profite de cette occasion pour demander une prière pour le Liban, la prière est aussi une amitié. Vous êtes des journalistes, regardez le Liban et parlez-en pour sensibiliser les gens. Merci.
3) Carol Glatz (CNS)
Sainteté, lors de ce voyage au Bahreïn, vous avez parlé des droits fondamentaux, notamment des droits des femmes, de leur dignité, du droit d'avoir leur place dans la sphère sociale et publique, et vous avez encouragé les jeunes à avoir du courage, à faire du bruit, à avancer vers un monde plus juste. Étant donné la situation qui prévaut près d’ici en Iran avec les manifestations déclenchées par certaines femmes et de nombreux jeunes qui veulent plus de liberté, soutenez-vous cet engagement des femmes et des hommes qui réclament des droits fondamentaux qui se trouvent également dans le document de la fraternité humaine?
Mais nous devons nous dire la vérité. La lutte pour les droits des femmes est un combat permanent. Parce que dans certains endroits, les femmes arrivent à être égales aux hommes. Mais dans d'autres endroits, cela n’est pas le cas. Non? Je me souviens que dans les années 1950, dans mon pays, il y a eu la lutte pour les droits civiques des femmes: pour que les femmes puissent voter. Parce que, jusqu'en 1950, seuls les hommes pouvaient plus ou moins le faire. Et je pense à cette même lutte aux État-Unis, célèbre, pour le vote des femmes. Mais pourquoi - je me demande - une femme doit-elle se battre si fort pour conserver ses droits ? Il existe - je ne sais pas si c'est une légende - une légende sur l'origine des bijoux pour femmes – je ne sais pas si c’est une légende - qui explique la cruauté de tant de situations à l'égard des femmes. On dit que la femme porte beaucoup de bijoux parce que dans un certain pays - je ne me souviens pas, c'est peut-être un fait historique - il y avait une coutume selon laquelle lorsque le mari en avait assez de la femme, il lui disait "va-t'en !" et elle ne pouvait plus rentrer prendre ses affaires. Elle devait partir avec ce qu'elle avait sur elle. Et (ce serait) la raison pour laquelle elles accumulaient de l'or pour au moins s’en aller avec quelque chose. On dit que c'est l'origine des bijoux. Je ne sais pas si c'est vrai ou non, mais l'image nous aide.
Les droits sont fondamentaux : mais comment se fait-il que dans le monde d'aujourd'hui, nous ne puissions pas arrêter la tragédie de l'excision sur les petites filles? Mais ça, c’est terrible. Aujourd'hui. Qu'il y ait cette pratique, que l'humanité ne puisse pas l'arrêter, c'est un crime, un acte criminel! Les femmes, selon deux commentaires que j'ai entendus, sont soit du matériel "jetable" - c'est violent, n'est-ce pas? - ou sont des "espèces protégées". Mais l'égalité entre les hommes et les femmes n'est pas encore universellement trouvée, et il y a ces épisodes: que les femmes sont de seconde classe ou moins. Nous devons continuer à nous battre pour cela, car les femmes sont un don. Dieu n'a pas créé l'homme pour ensuite lui donner un petit chien pour s'amuser. Non. Il les a créés deux, égaux, homme et femme. Et ce que Paul a écrit dans l'une de ses lettres sur la relation homme-femme, qui nous semble aujourd'hui démodé, était à l'époque si révolutionnaire qu'il scandalisait sur la fidélité entre l'homme et la femme. (Il a dit): que l'homme prenne soin de la femme comme de sa propre chair. À ce moment-là, c'était une chose révolutionnaire. Tous les droits des femmes découlent de cette égalité. Une société qui n'est pas capable d'accorder une juste place aux femmes n'avance pas. Nous avons l'expérience (de cela).
Dans le livre que j'ai écrit "Rêvons à nouveau", dans la partie consacrée à l'économie par exemple, il y a des femmes économistes dans le monde en ce moment qui ont changé la vision de l'économie et qui sont capables de la faire avancer. Parce qu'elles ont un don différent. Elles savent gérer les choses d'une autre manière, qui n'est pas inférieure, mais complémentaire. J'ai eu une fois une conversation avec une cheffe de gouvernement, une grande cheffe de gouvernement, une mère avec plusieurs enfants qui avait réussi à résoudre une situation très difficile. Et je lui ai dit: dites-moi madame, comment avez-vous résolu une situation aussi difficile ? Et elle a commencé à bouger ses mains comme ça, en silence. Puis elle m'a dit: comme nous le faisons, nous les mères. La femme a sa propre voie pour résoudre un problème, qui n'est pas celle de l'homme. Et les deux voies doivent fonctionner ensemble: la femme égale à l'homme travaille pour le bien commun avec cette intuition qu'ont les femmes. J'ai constaté que chaque fois qu'une femme entre au Vatican pour faire un travail, les choses s'améliorent. Par exemple, la gouverneur-adjointe du Vatican est une femme, et les choses ont bien changé. Dans le Conseil pour l'économie, il y avait six cardinaux et six laïcs, tous de sexe masculin. J'ai changé et mis un homme et cinq femmes dans le groupe des laïcs. Et c'est une révolution parce que les femmes savent trouver le bon chemin, elles savent aller de l'avant. Et maintenant j'ai nommé Marianna Mazzuccato, à l’Académie Pontificale pour la Vie. C'est une grande économiste des États-Unis, (je l'ai nommée) pour donner un peu plus d'humanité à tout cela. Les femmes apportent du leur.
Elles n'ont pas à devenir comme les hommes. Non, ce sont des femmes, nous en avons besoin. Et une société qui efface les femmes de la vie publique est une société qui s'appauvrit. Elle s'appauvrit elle-même. L'égalité des droits, oui. Mais aussi l'égalité des chances. L'égalité des chances et des possibilités pour avancer, car sinon on s'appauvrit. Je pense qu'avec ceci j'ai dit ce qui doit être fait globalement. Mais nous avons encore du chemin à parcourir. Parce qu'il y a ce machisme. Je viens d'un peuple machiste. Les Argentins sont machistes, toujours. Et cela n’est pas glorieux, mais quand il y a un problème on va voir les mères pour qu’elles le résolvent. Mais ce machisme tue l'humanité. Merci de me donner l'occasion de dire cela, qui est une chose que je porte beaucoup dans mon cœur. Luttons non seulement pour les droits, mais aussi parce que nous avons besoin des femmes dans la société pour nous aider à changer.
4) Antonio Pelayo (Vida Nueva)
Saint-Père, la seule fois où vous avez improvisé au cours de ce voyage, c'était pour évoquer «l'Ukraine martyrisée» et les «négociations de paix». Je voudrais vous demander si vous pouvez nous dire quelque chose sur la façon dont ces négociations se déroulent de la part du Vatican, et une autre question: avez-vous parlé récemment avec Poutine ou avez-vous l'intention de le faire dans un avenir proche?
Bien, tout d'abord, le Vatican est constamment attentif, la Secrétairerie d'État travaille et travaille bien. Je sais que le secrétaire (pour les relations avec les États, ndlr), Mgr Gallagher, est bien engagé. Ensuite, un peu d'histoire: au lendemain (du début) de la guerre - je pensais que cela ne pouvait pas se faire, une chose insolite - et je me suis rendu à l'ambassade de Russie, pour parler avec l'ambassadeur, qui est un homme bien. Je le connais depuis six ans, depuis son arrivée, un humaniste. Je me souviens d'une remarque qu'il m'a faite à l'époque : «Nous sommes tombés dans la dictature de l'argent», en parlant de la civilisation. Un humaniste, un homme qui se bat pour l'égalité. Je lui ai dit que j'étais prêt à aller à Moscou pour parler à Poutine, si le besoin s'en faisait sentir. Lavrov (le ministre des affaires étrangères, ndlr) a répondu très poliment - merci - (mais) que ce n'était pas nécessaire pour le moment. Mais depuis lors, nous nous sommes beaucoup intéressés. J'ai parlé deux fois au téléphone avec le président Zelensky; puis avec l'ambassadeur quelques autres fois. Et des efforts sont faits en faveur d’un rapprochement, pour trouver des solutions. Le Saint-Siège fait également ce qu'il doit faire en ce qui concerne les prisonniers, ces choses-là... Ce sont des choses qui se sont toujours faites et le Saint-Siège les a toujours faites, toujours. Et (ensuite) la prédication pour la paix.
Ce qui me frappe - c'est pour ça que j'utilise le mot «martyrisée» pour l'Ukraine - c'est la cruauté - qui n'est pas du peuple russe, probablement, parce que le peuple russe est un grand peuple - qui est celle des mercenaires, des soldats qui partent à la guerre comme dans une aventure, les mercenaires... Je préfère voir les choses comme ça parce que j'ai une grande estime pour le peuple russe, pour l'humanisme russe. Il suffit de penser à Dostoïevski qui, aujourd'hui encore, nous inspire, inspire les chrétiens à penser le christianisme. J'ai une grande affection pour le peuple russe et j'ai aussi une grande affection pour le peuple ukrainien. Quand j'avais onze ans, il y avait un prêtre près de chez moi qui célébrait en ukrainien et n'avait pas d'enfants de chœur, et il m'a appris à servir la messe en ukrainien et toutes ces chansons ukrainiennes que je connais dans leur langue, parce que je les ai apprises quand j'étais enfant, donc j'ai une très grande affection pour la liturgie ukrainienne. Je suis au milieu de deux peuples que j'aime. Mais il n’y a pas que moi. Le Saint-Siège a eu de nombreuses rencontres confidentielles, beaucoup, avec de bons résultats. Parce que nous ne pouvons pas nier qu'une guerre, au début, nous rend peut-être courageux, mais ensuite elle nous fatigue et nous fait mal et nous voyons le mal qu'une guerre fait; ceci pour l’aspect plus humain, plus proche.
Ensuite je voudrais me plaindre, en profitant de cette question: en un siècle, trois guerres mondiales! Celle de 1914-1918, celle de 1939-1945, et celle-ci! Celle-ci est une guerre mondiale, car il est vrai que lorsque les empires, que ce soit d'un côté ou de l'autre, s'affaiblissent, ils ont besoin de faire une guerre pour se sentir forts, mais aussi pour vendre des armes! Parce qu'aujourd'hui, je crois que la plus grande calamité du monde, c’est l'industrie de l'armement. S'il vous plaît! On m'a dit, je ne sais pas si c'est vrai ou non, que si on ne fabriquait pas d'armes pendant un an, on mettrait fin à la faim dans le monde. L'industrie de l'armement est terrible. Il y a quelques années, trois ou quatre ans, un bateau rempli d'armes est arrivé d'un pays à Gênes et il a fallu transférer les armes sur un plus gros bateau pour les emmener au Yémen. Les dockers de Gênes ne voulaient pas le faire. Ils ont fait un geste. Le Yémen: plus de dix ans de guerre. Les enfants du Yémen n'ont pas de nourriture. Les Rohingya, qui passent d'une rive à l'autre parce qu'ils ont été expulsés: toujours en guerre. La Birmanie, c'est terrible ce qu’il s’y passe. Maintenant, j'espère qu’aujourd'hui quelque chose va s'arrêter en Éthiopie, avec un traité (de paix signé entre les parties le 2 novembre en Afrique du Sud, ndlr). Mais nous sommes en guerre partout et nous ne comprenons pas cela. Aujourd'hui, nous sommes touchés de près, en Europe, par la guerre russo-ukrainienne. Mais elle est partout, depuis des années. En Syrie, douze à treize ans de guerre, et personne ne sait s'il y a des prisonniers et ce qui se passe là-bas. Puis le Liban, on a parlé de cette tragédie.
Je ne sais pas si je vous l'ai déjà dit: quand je suis allé à Redipuglia (monument aux morts de la première guerre mondiale, dans le nord de l’Italie) , en 2014, quand j'ai vu ça - et mon grand-père avait fait (la bataille de) Piave et m'avait raconté ce qui se passait là-bas, et ces tombes de ces petits jeunes… J'ai pleuré. J'ai pleuré, je n'ai pas honte de le dire. Puis un 2 novembre, jour où je vais toujours dans un cimetière, je suis allé à Anzio et j'ai vu la tombe de ces garçons américains, (qui sont morts) dans le débarquement d'Anzio. (Ils avaient) 19-20-22-23 ans, et j'ai pleuré, vraiment, c’est venu de mon cœur. Et j'ai pensé aux mères aux portes desquelles on a frappé: «Madame, une enveloppe pour vous». Elle ouvre l'enveloppe: «Madame, j'ai l'honneur de vous dire que vous avez un fils qui est un héros de la patrie... ». Les tragédies de la guerre. Je ne veux pas dire du mal de qui que ce soit, mais cela m'a touché au cœur: lors de la commémoration du débarquement en Normandie, les chefs de nombreux gouvernements étaient là pour les commémorations. C'était le début de la chute du nazisme, c'est vrai. Mais combien de garçons sont restés sur les plages de Normandie? On dit trente mille. Qui pense à ces garçons? La guerre sème tout cela. C'est pourquoi, vous qui êtes journalistes, soyez pacifistes, exprimez-vous contre la guerre, luttez contre la guerre. Je vous le demande comme un frère. Merci.
5) Hugues Lefevre (I.Media)
Saint-Père, ce matin, dans votre discours au clergé de Bahreïn, vous avez parlé de l'importance de la joie chrétienne, mais ces derniers jours, de nombreux fidèles français ont perdu cette joie lorsqu'ils ont découvert dans la presse que l'Église avait gardé secrète la condamnation en 2021 d'un évêque, aujourd'hui retraité, qui avait commis des abus sexuels dans les années 1990 alors qu'il était prêtre. Lorsque cette histoire a été révélée dans la presse, cinq nouvelles victimes se sont manifestées. Aujourd'hui, de nombreux catholiques veulent savoir si la culture du secret de la justice canonique doit changer et devenir transparente, (et moi) je voudrais savoir si vous pensez que les sanctions canoniques doivent être rendues publiques, merci.
Merci pour ta question. Je voudrais commencer (par) un peu d'histoire à ce sujet. Le problème des abus a toujours existé, non seulement dans l'Église mais partout. Vous savez que 42-46 % des abus sexuels ont lieu dans la famille ou dans le voisinage. C'est très grave, mais l'habitude a toujours été celle de la dissimulation. Dans la famille, même aujourd'hui, tout est dissimulé, et même dans le voisinage, tout est dissimulé, ou du moins la majorité des cas. C’est une vilaine habitude qui a commencé à changer dans l'Église quand il y a eu le scandale à Boston, à l'époque du cardinal Law qui, à cause du scandale, a démissionné. C'était la première fois que (un cas d'abus) sortait comme un scandale. Depuis, l'Église en a pris conscience et a commencé à travailler, alors que dans la société et les autres institutions, normalement on couvre (les cas, ndlr). Au moment de la réunion des présidents des conférences épiscopales (sur cette question), j'ai demandé à l'Unicef, à l'ONU, des statistiques sur ce (phénomène), des données en pourcentage: dans les familles, dans les quartiers, dans les écoles, dans le sport... Une étude soignée a été réalisée qui comprenait aussi l’Église, et quelqu'un dit que nous sommes une petite minorité, mais (moi, je dis) si c'était un seul cas, ce serait quand même tragique, parce que toi, en tant que prêtre, tu as la vocation de faire grandir les gens et en te comportant de cette façon, au contraire, tu les détruis. Pour un prêtre, l'abus est comme aller contre sa nature sacerdotale et contre sa nature sociale. C'est pourquoi c'est une chose tragique et nous ne devons pas nous arrêter, nous ne devons pas nous arrêter.
Dans ce réveil, mener des enquêtes et lancer des accusations, tout n'a pas toujours (et partout) été égal. Certaines choses ont été cachées, avant le scandale de Boston on changeait les personnes (on déplaçait les prêtres). Maintenant tout est clair et nous avançons sur ce sujet. C'est pourquoi nous ne devons pas être surpris que des cas comme celui-ci soient révélés. Maintenant je repense à un autre cas d'un autre évêque. Il y en a vous savez? Et (maintenant) il n'est pas facile de dire «nous ne savions pas» ou «c'était la culture de l'époque et c'est toujours dans la culture sociale que de dissimuler». Je te dis ceci: l'Église est ferme sur ce point, et je veux remercier ici publiquement l'héroïsme du cardinal O'Malley, un bon frère capucin, qui a compris la nécessité d'institutionnaliser cela avec la commission pour la protection des mineurs qu'il guide, et cela nous fait du bien à tous et nous donne du courage. Nous travaillons avec tout ce que nous pouvons, mais sache qu'il y a des personnes au sein de l'Église qui n’y voient pas encore clair, qui ne partagent pas... c'est un processus en cours et nous le menons avec courage et tout le monde n'a pas ce courage. Parfois il y a la tentation du compromis, et nous sommes aussi tous esclaves de nos péchés, mais la volonté de l'Église est de tout clarifier. Par exemple, j'ai reçu ces derniers mois deux plaintes concernant des cas d'abus qui avaient été couverts et mal jugés par l'Église: j'ai immédiatement demandé une nouvelle étude (des deux cas) et maintenant un nouveau procès est en train d'être fait. Il y a aussi ceci: la révision de vieux procès, mal faits (pas menés correctement).
Nous faisons ce que nous pouvons, nous sommes tous des pécheurs, tu sais? Et la première chose que nous devons ressentir, c’est la honte, une honte profonde pour cela. Je crois que la honte est une grâce. Nous pouvons lutter contre tous les maux du monde mais sans honte... (c'est inutile). C'est pourquoi j'ai été étonné que saint Ignace dans les Exercices Spirituels, lorsqu'il te fait demander le pardon pour tous les péchés que tu as commis, il te fait aller jusqu'à la honte, et si tu n'as pas la grâce de la honte, tu ne peux pas continuer. Une des insultes que nous avons dans mon pays est «tu es un éhonté» et je crois que l'Église ne peut pas être «éhontée». Elle doit avoir honte des mauvaises choses, tout en remerciant Dieu pour les bonnes choses qu'elle a faites. Je peux te dire: (ayons) toute notre bonne volonté pour continuer, grâce aussi à votre aide.
6) Vania De Luca (Rai-Tg3)
Sainteté, vous avez également parlé des migrants ces derniers jours. Quatre navires au large des côtes siciliennes, avec des centaines de femmes, d'hommes, d'enfants, en difficulté, mais tous ne peuvent pas débarquer. Craignez-vous qu'une politique des "ports fermés" menée par le centre-droit soit de retour en Italie et comment évaluez-vous la position de certains pays d'Europe du Nord à cet égard? Et puis je voulais aussi vous demander en général, quelle impression avez-vous du nouveau gouvernement italien, qui pour la première fois est dirigé par une femme?
C’est un défi, c'est un défi. Sur les migrants, le principe: les migrants doivent être accueillis, accompagnés, promus et intégrés, si ces quatre étapes ne peuvent être franchies, le travail avec les migrants ne parvient pas à être bon. Accueillis, accompagnés, promus, et intégrés, arriver jusqu'à l'intégration. Deuxième chose: chaque gouvernement de l'UE doit se mettre d'accord sur le nombre de migrants qu'il peut recevoir. Au contraire, il y a quatre pays qui reçoivent les migrants: Chypre, la Grèce, l'Italie et l'Espagne, qui sont les plus proches de la Méditerranée. A l'intérieur des terres il y en a, comme la Pologne, la Biélorussie... mais (en parlant) des grands migrants de la mer: leur vie doit être sauvée. Aujourd'hui la Méditerranée est un cimetière, tu le sais? Peut-être le plus grand cimetière du monde. Je crois vous avoir dit la dernière fois, que j'ai lu un livre en espagnol qui s'appelle hermanito, il est tout petit, ça se lit vite, je crois qu'il a certainement été traduit en français et aussi en italien. Il se lit tout de suite, en deux heures. C'est l'histoire d'un garçon originaire d'Afrique, je ne sais pas, de Tanzanie ou d'ailleurs, qui, suivant les traces de son frère, arrive en Espagne: il a subi cinq esclavages avant d'embarquer! De nombreuses personnes, raconte-t-il, sont amenées la nuit sur ces bateaux - non pas sur ces grands navires qui ont un autre rôle - et si elles ne veulent pas monter à bord: pan, pan! Et on les laisse sur la plage - c'est vraiment une dictature de l'esclavage ce que font ces gens - et puis il y a le risque de mourir en mer. Si tu as le temps lis ceci, c’est important.
La politique des migrants doit être convenue entre tous les pays, vous ne pouvez pas mener une politique sans consensus, et l'Union européenne doit prendre en main une politique de collaboration et d'aide, elle ne peut pas laisser à Chypre, à la Grèce, à l'Italie et à l'Espagne, la responsabilité de tous les migrants qui arrivent sur les plages. La politique des gouvernements jusqu'à présent a été de sauver des vies, c'est vrai. Jusqu'à un certain point, c'était fait comme ça et je pense que ce gouvernement (italien) a la même politique... les détails, je ne les connais pas, mais je ne pense pas qu'il veuille s’en éloigner. Je crois qu'il a déjà fait débarquer les enfants, les mères, les malades, d'après ce que j'ai entendu, au moins il en avait l'intention. L'Italie, ici réfléchissons... ce gouvernement, pensons à un adulte à gauche, ne peut rien faire sans l'accord avec l'Europe, la responsabilité est européenne. Et puis, je voudrais mentionner une autre responsabilité européenne sur l'Afrique, je pense que cela a été dit par une des grandes femmes d'État que nous avons eu et que nous avons, Angela Merkel a dit que le problème des migrants doit être résolu en Afrique, mais si nous pensons à l'Afrique avec la devise: l'Afrique doit être exploitée, il est logique que les migrants, les gens fuient de ce fruit. Nous devons, l'Europe doit essayer de faire des plans de développement pour l'Afrique. Penser que certains pays d'Afrique ne sont pas maîtres de leur sous-sol, qui dépend encore des puissances colonialistes. La résolution du problème des migrants en Europe est une hypocrisie. Allons le résoudre aussi chez eux.
L'exploitation des populations en Afrique est terrible à cause de ce concept. Le 1er novembre, j'ai eu une rencontre avec des étudiants universitaires d'Afrique. La rencontre a été la même que celle que j'ai eue avec l'université Loyola aux États-Unis. Ces étudiants ont une capacité, une intelligence, un esprit critique, un désir d'aller de l'avant, mais parfois ils ne le peuvent pas à cause de la force colonialiste que l'Europe exerce sur leurs gouvernements. Si nous voulons résoudre définitivement le problème des migrants, résolvons celui de l'Afrique. Les migrants qui viennent d'ailleurs sont moins nombreux, ils sont moins nombreux, mais nous avons l'Afrique, aidons l'Afrique. Le nouveau gouvernement commence maintenant, moi je suis là: je lui souhaite le meilleur. Je souhaite toujours le meilleur à un gouvernement parce que le gouvernement est pour tout le monde et je lui souhaite le meilleur pour qu'il puisse faire avancer l'Italie et à tous les autres qui sont contre le parti vainqueur, qu'ils collaborent avec esprit critique, en aidant, avec un gouvernement qui collabore, pas un gouvernement qui change de visage, qui te fait tomber si tu n'aimes pas une chose ou une autre. S'il vous plaît, sur ce point, j'en appelle à la responsabilité. Dites-moi, est-ce juste que depuis le début du siècle jusqu'à maintenant l'Italie ait eu 20 gouvernements? Arrêtons avec ces blagues...
7) Ludwig Ring-Eifel (Centrum informationis Catholicum),
Je veux aussi dire quelque chose de personnel d'abord, parce que je me sens très ému. Après une pause de 8 ans, je suis de retour sur le vol papal. Je suis très reconnaissant d'être à nouveau ici...
Bon retour!
Ludwig: Merci bien. Nous sommes peu nombreux dans le groupe allemand, seulement trois dans ce vol, nous avons pensé: comment faire un lien entre ce que nous avons vu à Bahreïn et la situation en Allemagne. Parce qu'au Bahreïn, nous avons vu une petite Église, un petit troupeau, une Église pauvre, avec de nombreuses restrictions etc., mais une Église vivante, pleine d'espérance, en pleine croissance. En Allemagne, par contre, nous avons une grande Église, avec de grandes traditions; riche, avec de la théologie, de l'argent et tout, mais qui perd chaque année trois cent mille croyants, qui s’en vont, qui sont en crise profonde. Y a-t-il quelque chose à apprendre de ce petit troupeau que nous avons vu à Bahreïn pour la grande Allemagne?
L'Allemagne a une vieille histoire religieuse. En citant Hoelderlin, je dirais: «Beaucoup de choses ont vécu, beaucoup». Votre histoire religieuse est grande et compliquée, de luttes. Je dis aux catholiques allemands: l'Allemagne a une grande et belle Église évangélique; je n'en veux pas une autre, qui ne sera pas (jamais) aussi bonne que celle-là; mais je la veux catholique, en fraternité avec les évangéliques. Parfois, nous perdons le sens religieux du peuple, du peuple saint et fidèle de Dieu, et nous tombons dans des discussions éthiques, des discussions de conjoncture, des discussions qui sont des conséquences théologiques, mais qui ne sont pas le cœur de la théologie. Que pense le peuple saint et fidèle de Dieu? Comment le peuple saint de Dieu écoute-t-il? Allez-y et cherchez comment il écoute, cette religiosité simple, que l’on trouve chez les grands-parents.
Je ne dis pas de revenir en arrière, non, mais de remonter à la source d'inspiration, dans les racines. Nous avons tous une histoire de racines de la foi; même les peuples en ont: retrouvez-la! Je me souviens de cette phrase de Hoelderlin pour notre époque: «le vieil homme doit tenir ce qu'il a promis quand il était enfant». Nous, dans notre enfance, nous avons promis beaucoup de choses, beaucoup de choses. Maintenant, nous entrons dans des discussions éthiques, dans des discussions conjoncturelles, mais la racine de la religion, c'est la gifle que te donne l'Évangile, la rencontre avec Jésus-Christ vivant: et de là, les conséquences, toutes les conséquences; de là, le courage apostolique, de là, aller aux périphéries, même aux périphéries morales des gens pour les aider; mais à partir de la rencontre avec Jésus-Christ. S'il n'y a pas la rencontre avec Jésus-Christ, il y aura un éthicisme déguisé en christianisme. C'est ce que je voulais dire, mais du fond du cœur. Merci.
(Transcription par le Dicastère de la Communication)
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