Tchad: les évêques exhortent à marcher ensemble dans la Justice
Jacques Ngol, SJ – Cité du Vatican
Dans leur message de Noël de l’année dernière, les évêques avaient invité les Tchadiens à «marcher ensemble dans la vérité». A l’issu de leur plénière, clôturée le 15 décembre, les évêques exhortent la population tchadienne à la culture de la justice, sans laquelle le vivre ensemble ne serait possible.
Cultiver la justice en promouvant l’égalité et le respect
«Le vivre-ensemble dans notre pays est souvent mis à mal par le manque de justice», ont dénoncé les évêques. Pour la CET, marcher ensemble comme un seul peuple dans la justice «exige une culture de l’égalité pour tous et du respect des droits humains». C’est ce qui donne sens à la justice entendue comme «le respect de la dignité humaine, la reconnaissance à l’autre de ses droits et libertés qui garantissent la vraie cohésion sociale, et la constante et ferme volonté de donner à Dieu et au prochain ce qui leur est dû».
Ainsi, pour l'épiscopat tchadien, la justice est synonyme de respect et de «conformité à la Loi», ce qui renvoie à cette considération de la doctrine sociale de l’Église de la justice comme «une recherche du bien commun, c’est-à-dire la recherche des conditions permettant une vie harmonieuse entre les personnes qui composent la société». Dans ce sens, en travaillant pour le bien commun, dans la justice, l’on pourrait accéder à la paix qui ne «saurait se réduire à la seule question de sécurité». Pour l’épiscopat tchadien, «la véritable paix ne peut pas se construire sans la justice, la vérité, l’amour et la liberté»; d’où la nécessité d’œuvrer à la promotion de la justice pour acquérir une paix durable, en combattant les injustices qui engendrent plutôt «la violence, le non-respect des droits humains, la haine, le mépris et la révolte».
Les Tchadiens et les différentes crises
Poursuivant, les évêques ont relevé quelques difficultés majeures causées par le manque de justice face auxquelles est confrontée la population tchadienne. Sur le plan social, ont-ils fait savoir, «une grande majorité de la population vit dans la pauvreté», ce qui a des conséquences directes au niveau de «l’éducation, de la santé et de la sécurité».
Parlant de l’éducation, «bon nombre d’enfants n’ont pas accès à l’instruction scolaire, des grèves qui paralysent d’année en année notre système éducatif», ont regretté les évêques. Par conséquent, «certains enfants sont réduits à être des bouviers ou des domestiques. Des milliers de jeunes sont exposés au marché de la traite humaine». Dans le domaine de la santé, ont-ils poursuivi, «certains districts sont créés sans structure adéquate et sans personnel qualifié». Sur ce, les patients «fuient les centres de santé et hôpitaux publics pour se tourner vers des soins inappropriés». Sur le plan sécuritaire, les pasteurs ont dénoncé la pratique des enlèvements contre rançons dont sont victimes les paysans de certaines parties du pays. A cela s’ajoutent «des vols de bétails, des massacres et des intimidations», tout cela causé par les injustices qui sont commises «au vu et au su de ceux qui ont la charge de veiller sur la sécurité des personnes et de leurs biens». En outre, les pasteurs ont rappelé une crise économique liée à l’augmentation du prix des denrées de premières nécessités et celui du carburant, dénonçant l’impunité des «crimes économiques majeurs».
Par ailleurs, les évêques tchadiens ont emboité aussi les pas au Pape François pour plaider pour la prise en charge de notre maison commune, notre terre qui «crie en raison des dégâts que nous lui causons par l’utilisation irresponsable et par l’abus des biens que Dieu a déposés en elle». Parmi les maux qui menacent la stabilité du Tchad, les évêques ont évoqué la répression des opposants politiques qui sont souvent «traités de rebelles, poussés à l’exil et menacés de mort; l’organisation partisane de l’administration exclut les compétences». Aussi, les pasteurs ont-ils regretté que la diversité culturelle et religieuse qui «devrait être une richesse, est parfois manipulée pour diviser, faisant ainsi une entorse à l’unité nationale». En outre, ils ont fustigé le dysfonctionnement de la justice à cause de la «grève des magistrats qui pénalise les personnes dont les dossiers sont en instance d’évacuation».
Oser pratiquer la Justice
Après avoir analysé profondément les différents maux qui constituent un blocage pour l’épanouissement du peuple tchadien, la CET a procédé à la proposition de quelques remèdes pour espérer trouver des solutions pour le développement du pays, en s’adressant aux acteurs politiques et toutes les institutions concernées. Partant de la conviction selon laquelle «il n’y a pas de démocratie avec la faim, ni de développement avec la pauvreté, ni de justice dans l’iniquité», reprenant ainsi le Pape François, les pasteurs ont voulu «interpeller la conscience de chaque personne afin de créer de nouveaux comportements pouvant aider à marcher ensemble vers une paix durable».
S’adressant aux autorités de la transition, les évêques ont rappelé l’objectif de la transition qui est de «restaurer l’ordre constitutionnel», invitant «les pouvoirs publics à œuvrer pour la consolidation de l’État de droit et à garantir la justice sociale». Ils les ont exhortés à «promouvoir un État démocratique par des élections crédibles, libres et transparentes» et de «respecter la l’indépendance des Pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) et leur compétences». Par ailleurs, la CET a exhorté les autorités judiciaires à ne jamais perdre leur crédibilité «devant les pressions sociales et politiques telles que les abus du pouvoir, les tentatives de corruption, la diffamation». Soyez toujours «protagonistes de la transformation d’un système judiciaire basé sur le respect de la dignité humaine», ont-ils conseillé.
Les évêques ont, en outre, rappelé le rôle des politiciens qui est celui de «défendre les intérêts des citoyens», exprimant leurs inquiétudes pour les préparatifs du référendum qui s'est tenu dimanche 17 décembre. Aux forces de défense et de sécurité, la CET a rappelé leur vocation fondamentale, la défense du pays, ce qui les engage, selon eux, à «défendre et respecter la vie des personnes et leurs biens». Ils ont, par ailleurs, interpelé la société civile à promouvoir l’unité en combattant les «pratiques injustes telles que la corruption, la ségrégation, l’exclusion, le favoritisme et le népotisme».
Se tournant vers la communauté internationale, l'épiscopat tchadien a demandé à ce que «la lutte contre le terrorisme et l’immigration ne soit pas un alibi pour ignorer la souffrance des Tchadiens». Il faut «promouvoir la solidarité et la paix entre les peuples», en collaborant avec le Tchad pour relever le défi de la justice. Ce qui implique, ont-ils insisté, l’écoute de la voix du peuple et le courage de dénoncer les dérives qu’il subit». «Le respect de la vie des personnes et l’autonomie du peuple sont des conditions pour le développement d’un État de droit, capable de participer à la construction du monde», ont rappelé les prélats.
Appel à l’espérance
Avant de conclure leur message, les évêques ont invité les jeunes à ne pas perdre l’espoir, mais à persévérer «dans la promotion de la justice afin de construire une nouvelle nation dans laquelle il fait bon vivre». «Ne vous laissez pas manipuler, mais cultivez en vous un esprit critique. Soyez lucides et responsables dans vos décisions, car le présent et l’avenir de ce pays vous reviennent», les ont-ils exhortés. A tous les chrétiens, en leur rappelant: «vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde», les pasteurs ont réitéré la «grave responsabilité d’être de vrais artisans de justice et de paix afin que notre vie soit exemplaire pour nos concitoyens». Ils les ont invités à être «solidaires avec ceux qui défendent la vérité et la justice».
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