Europe, j’écris ton nom, la lettre du cardinal Zuppi et Mgr Crociata
Delphine Allaire – Cité du Vatican
«Cara Unione Europea», «Chère Union européenne…» En cette veille de l’Ascension, jeudi 9 mai, journée de l’Europe depuis 1985 en écho à la déclaration Schuman, le cardinal Zuppi au nom de l’épiscopat italien, membre fondateur de l’UE, et Mgr Crociata au nom de la Comece, structure épiscopale communautaire créée en 1980, ont privilégié la forme épistolaire pour interpeller les catholiques des 27 nations qui la composent, à un mois d’une échéance électorale continentale cruciale.
Une ode à l'Europe de la fraternité
«Nous le savons, ce n'est pas toujours facile, mais il est décisif, au lieu de dresser des barrières et des défenses, de les effacer et de travailler ensemble. Tu es notre maison, notre première maison commune. C'est là que nous apprenons à vivre ‘’tous frères’’, comme l'a écrit l'un de tes enfants, dont les parents sont partis au ‘’bout du monde’’ à la recherche d'un avenir», écrivent les deux évêques, pensant à l'itinéraire de la famille Bergoglio, et désireux de partager les bienfaits passés et présents de la communauté européenne.
Une graine de paix semée après les guerres
«Nous ne pouvons pas oublier qu'avant toi, pendant des siècles, nous avons mené des guerres sans fin et que des millions de personnes ont été tuées. Tous les rêves de paix ont été anéantis sur les rochers des guerres, les dernières guerres mondiales, qui ont apporté d'immenses destructions et la mort. C'est précisément de la tragédie de la Seconde Guerre mondiale -qui a atteint le mal absolu avec la Shoah et la menace pour la survie de toute l'humanité avec la bombe atomique- qu'est née la graine de la communauté de la paix.»
Et Mgr Crociata et le cardinal Zuppi de citer le rêves des pères fondateurs: «Parmi ceux qui t’ont pensé et t’ont voulu, nous ne pouvons oublier le Français Robert Schuman, l'Allemand Konrad Adenauer et l'Italien Alcide De Gasperi: animés par la foi chrétienne, ils ont ressenti l'appel à créer quelque chose qui rendrait impossible le retour de la guerre sur le sol européen. Ils ont réfléchi avec intelligence, ambition et courage».
La Communauté européenne a été conçue en 1951 autour du charbon et de l'acier, «matériaux alors indispensables pour faire la guerre, afin de prévenir toute velléité de les utiliser à nouveau l'un contre l'autre», ont-ils poursuivi, insistant sur la réconciliation entre les peuples et l'annulation des haines et des querelles.
Directives et règlements n'accroissent pas la cohésion
La CEI et la Comece saluent le terrain d'entente économique, comme le montrent 1957, 1989, 1992 et l’élargissement de 2004 ou le traité de Lisbonne en 2009, mais notent la nécessité de procéder à de nouvelles réformes institutionnelles «plus à même de relever les défis d'aujourd'hui». «Chère Union européenne, tu es un organisme vivant. Mais tu ne peux pas être une simple bureaucratie, même si elle est nécessaire pour gérer des organisations aussi complexes que celle que tu es devenue», écrivent-ils, convaincus que «les directives et les règlements ne suffisent pas à accroître la cohésion». «Il faut une âme!», implorent-ils dans la lignée des discours papaux de Strasbourg (novembre 2014), Budapest (avril 2023) ou Lisbonne (août 2023).
Il s’agit selon eux de conserver précieusement le sens de l'unité, à l'heure de la guerre en Ukraine et au Proche-Orient où l'on peut, disent-ils, s'interroger: «Europe, où es-tu? Quelle direction veux-tu prendre?»
«Nous devons reprendre le projet des pères fondateurs et construire de nouveaux pactes de paix», répondent-ils, citant Robert Schuman: «Si l'on ne s'occupe pas de la paix, il y a toujours un risque que la guerre revienne».
Percevoir les raisons d'être ensemble
«Quel rôle joues-tu, Europe, dans le monde?», questionnent le cardinal Zuppi et Mgr Crociata, appelant la diplomatie du Vieux continent à réveiller sa force pour que de nouveaux équilibres et de nouvelles relations internationales s'établissent. «Tes divisions internes ne te permettent pas d'assumer le rôle que ta stature historique et culturelle attendrait.»
«La pandémie ou les manifestations périodiques, dont la dernière en date est celle des agriculteurs, nous réveillent brutalement. Nous nous rendons compte que tant d'avantages acquis pourraient disparaître. Le sentiment de nécessité ne suffit pourtant pas à pousser chacun et chacune à surmonter ses divisions. Pour être ensemble, nous avons besoin de motivations partagées, d'idéaux communs, de valeurs appréciées et cultivées. Les convenances économiques ne suffisent pas, parce qu'à long terme, il faut percevoir les raisons d'être ensemble, seules capables de surmonter les tensions et les contrastes que les intérêts économiques apportent avec eux dans leur confrontation physiologique.»
Sur les rives du Danube de la capitale hongroise, le Pape exhortait il y a un an à redécouvrir «l'âme européenne». Selon les deux évêques, il convient de souligner le rôle de la foi chrétienne dans ce projet. «Nos idées et nos valeurs définissent ton visage, chère Europe». Ainsi, ils déplorent qu’elle semble avoir «peur de la vie», «qu’elle ne sache pas la défendre et l'accueillir du début à la fin, et qu’elle n’encourage pas toujours la croissance démographique».
Espérance et hospitalité engendrent la vie
Enfin la question migratoire n’est pas éludée. Les deux évêques rappellent combien l’Europe est le rêve de tant de migrants de différents continents qui cherchent une vie meilleure à l'intérieur de ses frontières. «Chère Europe, tu ne peux pas te contenter de regarder vers l'intérieur. Vous ne pouvez pas vivre uniquement pour vous sentir bien, mais pour vous sentir bien afin d'aider le monde, de combattre l'injustice, de lutter contre la pauvreté».
Il ne s'agit pas d'accueillir tout le monde, mais que personne ne perde la vie sur les «voyages de l'espérance» et que beaucoup puissent trouver l'hospitalité. «Qui accueille engendre la vie!», assurent-ils, déplorant que l'Italie soit souvent laissée à elle-même et appelant au partage des responsabilités dans cette Europe qui représente «un point de référence pour les pays méditerranéens et africains, un immense bassin de peuples et de ressources dans la perspective d'un partenariat d'égal à égal».
Un sursaut civique
Enfin, Mgr Crociata et le cardinal Zuppi évoquent les quelques périls à surmonter dans les défis du monde actuel et à venir comme ceux posés par l’intelligence artificielle, les exigences de sécurité ou la protection de l’environnement. Pour lutter contre «la désinformation, qui menace le bon déroulement de la vie démocratique et la possibilité même d'une mémoire et d'une histoire non faussées», ils exhortent à développer «un nouveau sens de la citoyenneté, un sens civique avec une vision européenne, la conscience des peuples du continent qu'ils forment un seul grand peuple».
Ils concluent par un appel aux jeunes de 16 ans qui voteront pour la première fois dans certains pays, pour qu'ils ressentent l'importance de ce geste civique de participation à la vie et à la croissance de l'Union. «Ne pas aller voter, ce n'est pas rester neutre, mais assumer une responsabilité spécifique, celle de donner à d'autres le pouvoir d'agir sans, voire contre, notre liberté. L'absentéisme a pour effet d'accroître la méfiance, la défiance des uns envers les autres, la perte de la possibilité d'apporter sa propre contribution à la vie sociale, et donc le renoncement à la capacité et au titre de rendre meilleur le fait d'être ensemble dans l'Union européenne», ont-ils affirmé.
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