À Lisbonne, François interpelle l'Europe et l'Occident

Marine Henriot – Cité du Vatican

«Ici… où la terre se termine et où commence la mer». Devant les autorités portugaises dont le président de la République, Marcelo Rebelo de Sousa, François a fait siens les mots du poète ibérique Luis Vaz de Camões, pour saluer le caractère cosmopolite et maritime de Lisbonne, capitale méridionale de l’Europe de 2,8 millions d’habitants.

À Lisbonne, la mer «est beaucoup plus qu’un élément du paysage, un appel gravé dans l’âme de chaque Portugais», a noté François. Une omniprésence de l’océan qui a inspiré le Pape, «Et moi aussi, en me laissant emporter par l’image de l’océan, j’aimerais vous partager quelques pensées.»

Océan, fils du ciel et de la terre selon la mythologie classique, relie les peuples et les pays, mais également les terres et les continents, a d’abord dit le Pape, «C’est pourquoi Lisbonne, ville de l’océan, rappelle l’importance de l’ensemble, du fait de penser les frontières comme des zones de contact, non comme des frontières qui séparent». Dans le monde actuel, seule l’unité peut aider à affronter les enjeux planétaires comme «les guerres, les crises climatiques et migratoires».

Le Pape François et le président portugais, Marcelo Rebelo de Sousa, le mardi 2 août 2023.

Comme elle le fut en 2007 avec le Traité de réforme de l’Union européenne (UE), qui affirme que «l’UE a pour but de promouvoir la paix, ses valeurs et le bien-être de ses peuples», Lisbonne a aujourd’hui l’occasion de suggérer un changement de rythme, animant «le rêve européen d’un multilatéralisme plus large que le seul contexte occidental». Ainsi, a rappelé le Souverain pontife, l’Europe doit apporter «sur la scène internationale son originalité spécifique, qui s’est dessinée au siècle dernier lorsque, dans le creuset des conflits mondiaux, elle a fait jaillir l’étincelle de la réconciliation en rêvant de construire l’avenir avec l’ennemi d’hier, engageant des voies de dialogue et d’inclusion, développant une diplomatie de paix».

«Occident, où vas-tu?»

Élargissant sa focale à l’Occident tout entier, François a invité à la réflexion, «quelle route suis-tu, Occident?», avant de développer: «Ta technologie, qui a marqué le progrès et globalisé le monde, ne suffit pas à elle seule; moins encore les armes les plus sophistiquées qui ne sont en rien des investissements pour l'avenir, mais qui appauvrissent du véritable capital humain, celui de l’éducation, de la santé, de la protection sociale.»

Il est inquiétant, a poursuivi le Souverain pontife, de noter que les investissements sont plus importants dans les armes que dans l’avenir des enfants. Selon le Sipri (Stockholm International Peace Research Institute), en Europe en 2022, les montants consacrés à la défense ont connu leur plus forte augmentation depuis au moins 30 ans. L’Otan, qui regroupe 31 pays occidentaux, a dépensé 1 232 milliards de dollars dans la défense en 2022, soir 0,9% de plus qu’en 2021. Une évolution à contre-courant des valeurs prônées par le Saint-Siège. Le Pape a dit rêver d’«une Europe qui sache retrouver son âme juvénile en rêvant de la grandeur de l’ensemble et en allant au-delà des besoins de l’immédiat; une Europe qui inclue les peuples et les personnes sans poursuivre théories et colonisations idéologiques.»

L’océan rappelle les origines de la vie, a également soutenu François, dans un monde où elle est «mise en danger». Le Pape a interpellé directement les autorités politiques portugaises sur la légalisation de l’euthanasie, promulguée en mai dernier. 

Les chantiers d’espérance

Lors de cette première prise de parole sur le sol portugais et alors qu’un océan de jeunes se déverse dans la ville embrassée par la mer, le Successeur de Pierre a voulu également se montrer optimiste. «Comme on dit ici: ‘’À côté des jeunes, on ne vieillit pas’’», a-t-il dit en souriant. Ces jeunes du monde entier «ne sont pas dans les rues pour crier de colère, mais pour partager l’espérance de l’Évangile».

La foule dans les rues de Lisbonne, mardi 2 août 2023.

Tandis que les populismes et les complotismes se répandent, les JMJ «ravivent le désir de créer de la nouveauté, de prendre le large et de naviguer ensemble vers l’avenir.», s’est enthousiasmé le Pape, avant d’inviter à travailler sur trois «chantiers d’espérances» que sont l’environnement, l’avenir et la fraternité.

Concernant l’environnement, le Pape a salué les efforts du Portugal et de l’UE sur leurs politiques environnementales, mais a également rappelé la gravité des changements climatiques, déplorant la transformation des océans en décharges de plastique, «Comment pouvons-nous dire que nous croyons en la jeunesse, si nous ne leur donnons pas un espace sain pour construire l’avenir ?».

Naturellement, le deuxième chantier d’espérance détaillé par François est l’avenir. Car les jeunes représentent l’avenir sur le Vieux continent, mais alors que certains pays vivent un hiver démographique, la politique doit être un outil pour «corriger les déséquilibres économiques d’un marché qui produit des richesses mais ne les distribue pas, appauvrissant les esprits en ressources et en certitudes», et donner un élan à la jeunesse.

Enfin, le dernier chantier auquel l’humanité doit s’atteler est celui de la fraternité. Saluant le sens du voisinage et de la solidarité du Portugal, le Souverain pontife a enjoint «à cultiver le sens de la communauté, en commençant par la recherche de celui qui habite à côté.» Comme l’a écrit l’auteur ibérique José Saramago, prix Nobel de littérature en 1998, «ce qui donne le vrai sens à la rencontre, c’est la recherche, et il faut faire beaucoup de chemin pour rejoindre ce qui est proche».  

«Comme il est beau de se redécouvrir frères et sœurs, de travailler pour le bien commun en laissant de côté les oppositions et les différences de vues!», a conclu François depuis le centre culturel de Belém, dans une Lisbonne devenue fourmilière de la jeunesse.

Déjeuner à la nonciature avant les vêpres

Le Souverain pontife a ensuite regagné la nonciature apostolique pour un déjeuner en privé. Toujours à la nonciature apostolique, François rencontrera dans l’après-midi le président de l’Assemblée du Portugal, Augusto Santos Silva, puis le Premier ministre, Antonio Costa, également ancien maire de Lisbonne de 2007 à 2015.

Le deuxième rendez-vous de cette première journée est à 17h30 heure de Lisbonne, 18h30 heure de Rome, pour la célébration des vêpres avec l’Église portugaise.