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Participants à la 97e assemblée plénière de la Roaco Participants à la 97e assemblée plénière de la Roaco  (Dicastero per le Chiese orientali)

La Roaco de plus en plus au service des diasporas

C’est l’une des orientations indiquées par le Pape François dans son allocution aux membres de la Réunion des œuvres d'aide aux Églises orientales, «afin que ces frères et sœurs puissent maintenir leurs rites vivants et en bonne santé».

Jean Charles Putzolu – Cité du Vatican

Les crises et les guerres qui frappent de plein fouet les chrétiens orientaux étaient l’un des axes centraux de l’assemblée plénière de la Roaco qui s’est achevée jeudi 27 juin par une audience chez François. Les chrétiens d’Orient n’avaient jamais été confrontés à autant de crises simultanées: l’Ukraine, la Terre Sainte, la Syrie, le Liban, l’Éthiopie, l’Érythrée ou encore l’Arménie. Les fidèles de ces régions du monde sont au cœur des préoccupations du Pape qui a invité les membres de la Réunion des œuvres d'aide aux Églises orientales à étendre leur soutien aux chrétiens de la diaspora qui, dans quelques cas, sont plus nombreux que la communauté restée au pays.

Mgr Pascal Gollnisch, directeur de L’Œuvre d’Orient depuis 2010, a été amené à prendre en compte, au fil des années, cette nouvelle réalité, liée au départ, souvent contraint ou forcé, des chrétiens dans les régions vulnérabilisées par des conflits. Il répond aux questions de Radio Vatican - Vatican News.

Mgr Gollnisch, vous avez participé à la 97ᵉ assemblée plénière de la Roaco à Rome, qui s'est terminée jeudi 27 juin par une audience chez le Pape François. En revenant sur les propos qu'il a tenus, ce qui est assez frappant, c'est qu'on se rend compte que finalement, aujourd'hui, la quasi-totalité des Églises orientales se trouvent dans des zones en conflit, là où les communautés chrétiennes qui étaient déjà vulnérables le sont devenues un peu plus.

Bien sûr, il y a des théâtres de crises majeures et dans l'histoire. Peut-être qu’en dehors de Seconde Guerre mondiale, nous n'avons jamais été confrontés à autant de crises simultanées. Il y a sept théâtres de crises. Je vous les évoque très rapidement. Il y a l'Ukraine, bien sûr, avec d'ailleurs un peu de désolation parce que les deux nations en conflit sont des nations de tradition chrétienne. Et cette tradition chrétienne n'a pas pu empêcher le conflit d'exister. Il y a l'Arménie et le Haut-Karabagh qui sont deux choses distinctes. Il y a le Liban qui s'enfonce dans une crise dont on ne sait pas comment le pays va s'en sortir, avec cette inquiétude de guerre possible entre Israël et le sud du Liban, qui serait tout à fait dévastatrice. Il y a la Syrie qui n'a pas fini une guerre civile depuis plus de dix ans et pour laquelle les reconstructions de villes détruites ne peuvent pas commencer. Ensuite, il y a l'Irak, où l'affaiblissement de l'État et de l'armée en raison de la seconde intervention occidentale, mais aussi des influences qui s'exercent dans ce pays, font que les chrétiens se sentent fragilisés et parfois menacés. Il y a l'Éthiopie et l'Érythrée. Et notamment des guerres civiles en Éthiopie, là aussi malheureusement entre chrétiens, mais qui font beaucoup de victimes et beaucoup de victimes de famine. Il y a une famine terrible dans le Tigré qui est l'une de ces régions en Éthiopie. Et puis les auditeurs le savent bien, il y a la Terre Sainte, donc en Palestine, en Israël, à Jérusalem. Et donc pour nous chrétiens, évidemment, c'est un drame redoublé de penser que là-même où Jésus a vécu, la guerre fait d'horribles ravages; sans oublier tout ce qui s'est passé le 7 octobre, bien sûr.

Ce grand nombre de crises met en difficulté les agences humanitaires internationales, des Nations unies notamment, obligées de faire des appels aux dons. Face à une insuffisance de la réponse, elles ont dû réorienter parfois leur aide. Et on le voit, il y a des crises auxquelles ces agences-là ne peuvent plus faire face. Comment les organisations chrétiennes, les agences qui travaillent pour l'Église catholique, peuvent faire face? Comment collaborent-elles?

Comme vous l'avez dit, il y a des agences, par exemple internationales, mondiales, qui sont des grosses machines et qui, avant d'agir, doivent avoir l'assentiment de conseils d'administration internationaux. Donc elles sont souvent un peu paralysées par leur structure mondiale et leur taille. Il y a des structures nationales, mais qui sont un peu dépendantes des choix diplomatiques de leurs gouvernements. Les instances des Églises ont la souplesse et la liberté de s'adapter vraiment aux besoins des populations. Et donc, avec nos amis allemands, nos amis américains qui ont des œuvres assez proches de nous, et avec lesquelles nous travaillons beaucoup, nous avons la possibilité de nous adapter rapidement aux besoins. Nous n'avons pas toujours besoin de demander des autorisations, nous sommes suffisamment légers pour être adaptables et donc nous faisons un travail qui est toujours en lien avec les chrétiens d'Orient eux-mêmes. C'est à dire que ce sont les chrétiens d'Orient qui choisissent leurs missions, qui savent comment ils veulent agir au nom de l'Évangile. C'est eux qui font leur choix. Ce n'est pas nous qui leur dictons. Nous serions totalement incompétents pour cela. Donc les chrétiens d'Orient font leur choix, ils s'adressent à nous et nous demandent un soutien financier. Et quand un projet est un peu important, nous sommes très heureux de pouvoir y répondre à plusieurs agences. Ces agences catholiques travaillent avec les différents services de la Curie romaine, spécialement le dicastère pour les Églises orientales, son préfet, le cardinal Claudio Gugerotti et, bien sûr, les autres responsables du dicastère, comme Mgr Kuriakose, secrétaire de la Réunion d'organismes d'aide aux églises orientales, la Roaco. Cette collaboration, avec aussi les nonces apostoliques sur place, permet de réagir et d’agir très vite. Lors du tremblement de terre en Syrie, le soir même, dans les heures qui ont suivi, un certain nombre de nos collaborateurs étaient sur place avec des couvertures. On a le réseau des chrétiens d'Orient sur place. On est en contact direct avec le terrain et tout de suite informé. Ça nous permet d'avoir une action originale. Certes, nous n'avons pas les moyens financiers des gros organismes, des agences des Nations unies par exemple. C'est pour ça que nous ne refusons pas les dons. Nous savons compter sur la générosité de nos donateurs. Mais nous avons cette facilité d'adaptation.

Dans la plupart de crises que vous avez citées, les chrétiens quittent leur terre et on se retrouve aujourd'hui dans des situations où les diasporas sont plus importantes que les communautés restées au pays. Comment venir en aide à ces chrétiens d'Orient dispatchés un peu partout dans le monde?

Je voudrais d’abord évoquer brièvement quelques pays où ça va bien, comme en Jordanie, en Égypte, en Roumanie, voire même en Bulgarie. Mais de fait, un certain nombre de familles parmi les chrétiens d'Orient quittent leur pays. En premier lieu, quand un chrétien d'Orient quitte son pays, c'est toujours un drame personnel. Parce qu'un chrétien en Irak, c'est un Irakien, un chrétien, en Syrie, c'est un Syrien. Donc ils quittent leur nation. En ce qui me concerne, ça me ferait un peu de mal de quitter mon pays auquel je suis attaché. En sus, les conditions de transfert sont parfois très périlleuses, on le sait bien. Il y en a qui meurent sur des bateaux en Méditerranée, sur le chemin de l'exil. Les conditions sont très difficiles. Concernant l'accueil, les pays font des efforts, mais ce n'est jamais facile pour un migrant d'être reçu, d'avoir des papiers en règle, de pouvoir mettre les enfants à l'école, de recevoir les soins dont éventuellement ils peuvent avoir besoin. Il ne faut pas croire que ce soit un paradis à l'arrivée. Il y a donc des non-chrétiens qui arrivent chez nous et il est normal que l'Église ait le souci de santé de ces malheureux. Il y a également des chrétiens, et il est normal que nous ayons en outre un soin pastoral de ces personnes. C'est là qu’entre en jeu le fait que dans nos pays d'Europe ou d'Amérique du Nord ou encore en Australie, il y a des communautés catholiques orientales, des paroisses, parfois même des diocèses. En Orient, on appelle ça des éparchies qui permettent un accompagnement pastoral de ces chrétiens migrants qui ont le droit, de la part de l'Église, aux mêmes soins que n'importe quel catholique. Si aux yeux de l'État et de la société française, ce sont des immigrés, aux yeux de l'Église catholique, il n'y a pas de migrant. Chaque catholique est chez lui dans la communauté catholique. Et donc nous devons les accueillir, nous devons les accompagner, nous devons respecter leurs traditions. Ces catholiques qui viennent du Proche-Orient en général ne sont pas des latins. Or, nous autres, en Europe occidentale, nous sommes habitués à être l'Église latine et on pense que l'Église catholique, c'est l'Église latine. Pas du tout. Dans l'Église catholique, il y a certes l'Église latine, mais par exemple, les maronites du Liban, qui ont toujours été catholiques, font aussi partie de l'Église catholique. Et il en est de même pour les coptes catholiques, les syriaques catholiques, les chaldéens, les arméniens catholiques, les Ukrainiens catholiques, les Roumains catholiques qui, sans être latins, font partie de l'Église catholique. Ils sont en communion, comme tout catholique, avec le Pape de Rome. Pour nous, c'est parfois une nouveauté, une conversion du regard. Il faut accepter que ces catholiques ne soient pas latins. Ils ont une liturgie différente, une tradition spirituelle différence, une théologie parfois d'origine différente, plus marquée par les Pères de l'Église grecque, par les Pères de l'Église latine ou même par les Pères de l'Église syriaque, ou des Pères de l'Église de langue arabe. Je suis un prêtre latin, J'ai pas du tout envie de jouer à l'oriental, je reste latin, mais ces chrétiens orientaux m'aident à m'ouvrir à une plus grande catholicité. C'est un peu ce que le Pape a voulu nous dire.

Concrètement, est ce que l’extension des diasporas a transformé la mission, les activités de l'Œuvre d'Orient?

Oui, bien sûr. Il y a deux réalités distinctes. Il y a l'Œuvre d'Orient qui aide les chrétiens d'Orient, généralement en Orient, mais qui peut aussi les aider s'ils sont en France. Et puis il y a les structures ecclésiales de tutelle des communautés orientales. En France, il y a trois évêques orientaux pour des raisons historiques: un évêque pour les Arméniens, un évêque pour les Ukrainiens et un évêque pour les maronites. Tous les autres rites sont regroupés dans une sorte de diocèse personnel, un ordinaire pour les catholiques orientaux, dont l'évêque est Mgr Laurent Ulrich. Ce n'est pas un service du diocèse de Paris; c'est une juridiction pour l'ensemble des catholiques orientaux de France qui n'ont pas d'évêques. Cela concerne les syriaques, les chaldéens, les coptes, les Grecs melkites, les Roumains, les Russes, les malabar, les malan, les Éthiopiens et les Érythréens, entre autres. D'une part, ces chrétiens d'Orient, nous les connaissions quand ils étaient par exemple en Irak. Nous étions à leurs côtés parce que quand Daesh, l'État islamique, les a chassés de chez eux, nous, Œuvre d'Orient, on est arrivé tout de suite. On a distribué des bouteilles d'eau à des gens qui ont été obligés de marcher en plein mois d'août dans le désert parce qu'ils étaient chassés de chez eux. Et donc on ne peut pas leur dire tant que vous êtes en Irak, on est à vos côtés, on est vos amis, on est vos frères; mais si vous prenez l'avion et que vous arrivez à Roissy, je ne vous connais plus parce que vous n'êtes plus en Orient. Grâce au diacre de L'Œuvre d'Orient, André Maillard, nous avons ouvert un service d'accompagnement de ces réfugiés chassés par Daesh pour les aider aussi à reprendre contact avec leurs communautés chrétiennes. Nous ne favorisons pas le départ des chrétiens d'Orient. Nous respectons leur décision. S'ils choisissent de rester, car il y en a quand même plus qui restent par rapport à ceux qui partent, on choisir de les aider à rester avec les moyens que les donateurs nous confient. S'ils décident que c'est trop dur pour leur famille et leurs enfants, et qu’ils arrivent en France, nous sommes prêts aussi à les aider pour les mettre notamment en contact avec leur communauté, pour les aider dans les multiples tracas administratifs, les soins, l'école pour les enfants, trouver un toit, un travail parce qu'ils veulent travailler pour nourrir leur famille. Il y a toute cette action à faire, qui a changé un peu notre regard, d'autant que dans ces communautés orientales, en France, au bout de deux générations, ils sont nés en France, ils sont citoyens français. Et chose intéressante, dans ces communautés, il commence à y avoir des vocations. Nous avons des jeunes orientaux catholiques, par exemple dans la ville de Sarcelles, qui désirent être diacres, qui désirent être prêtres. Et donc c'est là une réalité ecclésiale nouvelle à laquelle Mgr Ulrich est confronté, avec joie d'ailleurs, toujours heureux d'entendre des désirs de vocations.


Ces communautés n'ont pas toujours une église à leur disposition. Ce sont les églises latines que l'on met à leur disposition?

En France, nous avons quand même construit deux églises chaldéennes ces dernières années, dans le style des églises de Mésopotamie. Il y a aussi, par exemple à Marseille, une église grecque melkite, Saint-Nicolas-de-Myre, la première en dehors du Proche-Orient. Ensuite, il y a des églises orientales comme Saint-Julien-le-Pauvre, à Paris, près de Notre-Dame. Mais effectivement, il y a beaucoup de lieux où les chrétiens d’Orient n'ont pas d'église, et donc je dois solliciter les diocèses latins, les évêques latins, pour voir au cas par cas, lieu par lieu, où une église catholique peut leur être prêtée. Je tiens à rendre hommage aux évêques latins qui nous ouvrent les portes avec beaucoup de générosité pour ces églises orientales catholiques.

Mgr Gollnisch, les crises et les guerres que l'on traverse sont de toute façon un frein au développement de chaque communauté, voire un accélérateur de régression. Encore une fois, est ce qu'il y a des espaces encourageants dans ce que vous rencontrez tous les jours, dans votre action sur le terrain, vis à vis de ces communautés qui ont été largement vulnérabilisées ces dernières années?

Il y a plein de signes encourageants. Ce qui ne veut pas dire qu'on ne vit pas la détresse de ces guerres qu'on voudrait voir s’arrêter. Mais il y a plein de signes encourageants parce que vous savez que la population vit des choses dramatiques, que ce soient les guerres ou les tremblements de terre comme celui qui a frappé la Syrie et la Turquie. Parfois, ça réveille les cœurs, ça réveille les énergies. Ça réveille le fait de se sentir frères et un comportement conforme à l'Évangile. On le sait bien chez nous, durant les deux guerres mondiales, au milieu des atrocités, il y a eu aussi des gens d'exception qui ont posé des actes prophétiques. Nous voyons de telles attitudes aujourd’hui. Je vous donne quelques exemples: l'Église gréco-catholique ukrainienne, qui était une Église absolument ravagée, persécutée par les Soviétiques et clandestine jusqu'en 1991, est une Église qui s’est mise complètement au service de la population ukrainienne, qu'elle soit catholique, orthodoxe ou autre. Elle ne demande pas de certificat de baptême. Elle aide des populations durement éprouvées parce que les villes sont détruites, bombardées. Les catholiques sont en train de toucher le cœur de la population. Ils ne le font pas dans un esprit de prosélytisme; ils le font dans un esprit de service. On pourrait évoquer les Arméniens d'Arménie dans l'accueil des Arméniens chassés du Haut-Karabagh, que nous essayons d'aider. Nous voyons aussi dans des pays comme l'Éthiopie, la Syrie, des gens qui retrouvent des gestes évangéliques, reproduisant les gestes qui auraient été ceux du Christ s'il vivait dans ces conditions. Pardonner. Qui d'autre que les chrétiens dans le monde parle du pardon? Soulager les souffrances, éviter que les gens se replient dans l'égoïsme, dans l'individualisme, dans la solitude souffrante et douloureuse et se mettre au service de l'espérance. Quand l'espérance est perdue, alors on abandonne des peuples à la violence. C'est quand même l'une des clés d'analyse de la violence en Palestine. Nous avons laissé les Palestiniens sans perspectives depuis 1948. Nous les avons laissés dans la déception, dans le découragement. Du coup, la violence paraît à tort être une hypothèse de solution. C'est dramatique pour une personne et c'est aussi dramatique pour un peuple.

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28 juin 2024, 15:31