JRS: la réconciliation, une piste de réponse à la violence et au mal
Stanislas Kambashi, SJ et Fabrice Bagendekre, SJ – Cité du Vatican
L’histoire remonte aux années 70. Un mouvement politico-militaire semait la terreur dans toute l’Italie, les fameuses Brigades Rouges. Historiquement, les exactions se sont poursuivies jusque vers les années 80. Il reste pourtant difficile de définir une limite aux tueries dans lesquelles était employé ce mouvement, puisque des homicides d’hommes politiques ont été revendiqués jusqu’en 2002. C’est ce qu’a affirmé le jésuite italien Guido Bretagna, avec son confrère Camillo Ripamonti, initiateur du concept et mouvement «Justice réparatrice» qui a dès les années 2000 a organisé des médiations entre les victimes de ces atrocités et ceux qui pourraient en être considérés comme les bourreaux.
Revisiter l’histoire pour donner un sens aux blessures et les guérir
Selon le jésuite italien, l’initiative «Justice préparatrice» se voulait une réponse à une certaine insuffisance de la réponse que l’État italien avait donné aux crimes des brigades rouges. Après l’éradication de ce mouvement terroriste, l’Italie avait initié une action à la fois militaire, policière et judiciaire, arrêtant tous les anciens partisans des terroristes, les trainant devant les tribunaux jusqu’à leur incarcération. S’en suivra une longue période de silence avec comme conséquence qu’on n’avait plus revisité cette période pour donner un sens aux blessures qui avaient été subies et surtout d’en guérir, a expliqué le père Bretagna. C’est cela qu’a essayé de faire «Justice réparatrice», en donnant la parole aux victimes de ce phénomène, tout comme aux «bourreaux», a expliqué le jésuite, signifiant que ce travail de dialogue a comme fondement les Exercices Spirituels de saint Ignace, notamment en son 22ème numéro: «le présupposé favorable».
Les armes engendrent toujours l’irréparable
Le point culminant des exactions des Brigades Rouges restera, au milieu de nombreux attentats sanglants, l'enlèvement et le meurtre, en 1978, de l'ancien chef du gouvernement italien Aldo Moro. Pour sa fille, Agnese Moro, la mort de son père est restée pour elle pendant longtemps comme un fantasme, a-t-elle expliqué. Agnese revoyait la fille qu’elle était avec son père et le brusque arrachement survenu dans des circonstances tragiques. Elle revoit l’enlèvement de son père «des images qui te font beaucoup de peine, te font tourner la tête, te font hurler», s’est-elle exclamée. Tout cela, a-t-elle expliqué, pousse la personne à «la révolte, à la colère, la haine, mais souvent aussi à la culpabilité». Ce n’est que bien plus tard qu’elle a réalisé que la mort de son père était un acte irréparable. «Nous avons appris que la politique se fait avec les paroles, pas avec les armes. Les armes engendrent toujours l’irréparable, avec des conséquences particulières. On a beaucoup d’exemples de conséquences qui se sont révélées plus tard, même lorsque l’on prétend avoir obtenu justice des tribunaux».
Surmonter l’inacceptable
Même après le verdict des tribunaux condamnant les assassins de son père, Agnese Moro n’avait pas le sentiment d’avoir obtenu justice. Elle explique que ce n’est qu’au contact du Père Bretagna et du mouvement de la justice réparatrice qu’elle avait petit à petit «dépassé l’inacceptable». «C’est surtout parce que je me suis aperçu que le Père Guido et ses collaborateurs s’intéressaient à ma douleur et non pas à quelque autre intérêt que petit à petit je me suis ouverte», a-t-elle confié, évoquant «la disponibilité et la gratuité» avec lesquelles le mouvement «Justice réparatrice» agit. «Venu le moment de rencontrer Faranda, je me demandais pourquoi j’ai voulu cette rencontre, pourquoi vouloir cette confrontation. Mais j’ai réalisé, avec la médiation du père, que c’est aussi une personne comme moi, avec les mêmes problèmes, la même douleur», a-t-elle poursuivi, affirmant que cette rencontre lui a donné le sentiment d’avoir enfin obtenu justice. «La justice que j’ai obtenue, c’est pratiquement une chose banale. J’ai regardé Adriana Faranda en face, je lui ai dit: “tu sais ce que tu m’en enlevé, la personne que tu m‘as enlevée et combien elle m’était chère, combien j’avais encore besoin d’elle”. Elle m’a dit: “je sais combien c’est pénible. Je ressens la même peine”. Là, je me suis sentie réparée», a-t-elle expliqué, regardant Adriana Faranda qui était assise à ses côtés, devenue désormais, son amie.
On n’arrive toujours pas à donner une réponse à toutes les questions
«La date du 12 décembre n’a pas certes été le début de notre parcours politico-militaire. Cependant, c’est ce jour où tout s’est accéléré», a affirmé Adriana Faranda, évoquant tout l’imaginaire qui alimentait le mouvement des Brigade rouges. «Cette lutte nous semblait l’ultime guerre à mener. On était très jeunes, on ne pouvait rien comprendre. Nous étions fascinés par les combattants, par les figures comme Che Guevara, et tant d’autres combattants de la mythologie», a-t-elle expliqué. C’était avant d’exprimer son étonnement quand elle revisite la face cachée de cet endoctrinement. «La question est, pourquoi étions-nous autant fascinés par des personnages brutaux, et non, comme les autres, par des hommes pacifistes comme Martin Luther King», a dit Faranda. Selon elle, «on cherche toujours à donner une réponse à cette attitude, mais finalement on n’arrive toujours pas à donner une réponse profonde». «Ce ne sont que des approches qu’on peut réussir à faire», a-t-elle déclaré, évoquant la solitude dont elle a souffert après tous ces événements. «Je ne voulais pas m’exprimer sur cette histoire, je voulais rapidement la surmonter. Je voulais récupérer cette humanité perdue», a affirmé l’ancienne membre des Brigades rouges.
Être indulgente envers soi-même
«Est-il difficile de croire que l’homicide engendre la douleur chez l’assassin? Si l’assassinat d’un proche est un acte irréparable pour les siens, c’est aussi une dette impossible à rembourser pour celui qui l’a commis», a admis Adriana Faranda en évoquant l’asphyxie que les événements tragiques qu’elle avait vécus dans la lutte exerçait sur elle. «Je n’avais plus rien à faire, je n’avais rien pour rembourser la dette que je devais aux victimes. Cependant, j’ai trouvé des raisons pour faire cette rencontre, des raisons parfois égoïstes: je me rendais compte que mon futur était comme asphyxié, que je ne pouvais pas respirer dans le futur», a-t-elle expliqué évoquant sa rencontre avec Agnese Moro. «C’était un processus difficile. Ce n’est que grâce aux médiateurs que nous avons pu nous rencontrer. Ils nous ont laissé le temps nécessaire pour gérer nos émotions. J’en voulais beaucoup à moi-même. Agnese me dira: “tu dois être plus indulgente envers toi-même»». Selon Adriana, cette rencontre a été réparatrice pour elle. Ainsi loue-t-elle depuis l’importance du dialogue dans les conflits. «Je me souviens du jour où j’ai passé la nuit chez Agnese. C’est ce jour où je me suis rendu compte de l’importance du dialogue. Je me suis demandée, “si j’avais pu aller rencontrer son papa à l’université, peut-être que je n’aurais pas fait le même choix…”. », a-t-elle dit, le regard fixé sur Agenese Moro qui le lui rendait avec affection.
Justice et réconciliation
Le processus de réparation implique non-seulement la justice mais aussi la réconciliation. L’une sans l’autre est insuffisante pour trouver un sens et surtout panser les blessures affligées par une tragédie vécue. Or, le binôme justice – réconciliation n’est pas un horizon poursuivi par les systèmes judiciaires des états. C’est cette mission que poursuit le JRS à travers le monde. Tel a été le rappel du Père Arturo Sosa, Général des jésuites, au cours de cette rencontre, soulignant la corrélation entre ces deux processus. Justice et réconciliation vont toujours ensemble, a fait remarquer le successeur d’Ignace de Loyola. Cette mission de justice et de réconciliation, a-t-il affirmé, découle de l’identité même du jésuite, appelé à marcher avec les migrants et les marginalisés, tel que définis dans les préférences apostoliques de la Compagnie de Jésus, mises sur pied par la dernière Congrégation générale dans la même salle où se tenait cet échange entre l’ex-terroriste et la fille d’une de leurs victimes. C’est seulement ainsi qu’on peut espérer, «non-seulement la résolution des conflits mais aussi la construction des relations et l’espérance pour un futur plus cordial», a affirmé le frère Michael Schöpf, directeur du JRS.
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