La Syrie, terre chrétienne depuis deux mille ans
Xavier Sartre – Cité du Vatican
«On oublie trop souvent que la Syrie est un des berceaux majeurs du christianisme», rappelle Joseph Yacoub, professeur honoraire en science politique de l’université catholique de Lyon, spécialiste des chrétiens d’Orient et en particulier de la communauté assyro-chaldéenne. Une évidence pourtant: c’est sur le chemin de Damas que Paul se convertit, c’est à Antioche que le terme de chrétiens est utilisé pour la première fois. De nombreux récits du Nouveau Testament, en particulier les Actes des Apôtres, ou les épitres de Paul et de Pierre en témoignent à de nombreuses reprises. Dès l’aube du christianisme, la Syrie est devenue une terre chrétienne qu’elle n’a depuis jamais cessé d’être malgré la conquête arabo-musulmane, malgré le fait qu’elle a été dominée par différents empires jusqu’à son indépendance de la France en 1946.
L'imprégnation du territoire par le christianisme
«Cette chrétienté ne s’est pas développée de manière marginale» tient à insister Joseph Yacoub comme le démontre la carte toponymique de la Syrie, dont les noms de villes et de villages ayant une origine araméenne-syriaque, langue parlée par les premiers chrétiens, sont nombreux. Même ceux ayant un nom arabe sont souvent, là encore, en lien avec le christianisme. L’universitaire souligne aussi les échanges culturels et intellectuels entre chrétiens et musulmans au fil des siècles et la persistance de ce sentiment chez les auteurs arabes que les chrétiens ont toute leur place en Syrie.
Depuis son in dépendance et la fin du mandat français, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la Syrie est un pays laïc au sens où aucune religion ne possède un statut supérieur à une autre. Cela tient en partie à la tradition chrétienne de séparer les affaires religieuses du domaine séculier et par la suite, et plus récemment, de l’ouverture des chrétiens syriens à l’Occident, venus étudier en nombre en Europe, et notamment au Vatican. Les musulmans n’ont pas été en reste et ont rapporté, tout comme les chrétiens, une certaine fascination pour la modernité occidentale.
Les chrétiens ont également pleinement animé la Nahda, la «Renaissance» arabe de la fin du XIXe siècle. La participation des chrétiens à la vie politique de la Syrie n’est pas négligeable comme le prouve Farès al-Khoury, plusieurs fois Premier ministre à la fin du mandat français en 1944-1945 et après l’indépendance en 1954-1955.
L'espoir en une Syrie laïque
La guerre civile qui a ravagé la Syrie pendant près de quinze ans a poussé de nombreux chrétiens à fuir le pays. Alep, grande ville chrétienne, qui comptait avant-guerre une communauté de 300 000 chrétiens, n’en abrite plus que 30 000. Une tendance qui se vérifie ailleurs dans le pays. L’arrivée au pouvoir des islamistes de Hayat Tahrir al-Cham ouvre une nouvelle période toujours marquée par l’incertitude. Les chrétiens, dans ce nouveau contexte, «aspirent à un État de type laïc, sans faire de distinction ou de discrimination, c’est leur revendication majeure», confie Joseph Yacoub, toujours en contact avec des Syriens. Mais une laïcité qui respecte les religions et leur «rôle moral et éthique» précise-t-il. Joseph Yacoub milite aussi en faveur de la reconnaissance de la langue syriaque comme langue nationale au même titre que l’arabe. «Toutes les deux ont un fond sémitique commun qui les rassemble» explique-t-il.
Malgré les difficultés au quotidien et les menaces sur leur vie, «les chrétiens se sentent chez eux, ils ont toujours vécu avec les musulmans en bonne intelligence depuis le VIIe siècle malgré quelques crises», poursuit le professeur qui est persuadé que «le christianisme dans ces terres peut avoir un avenir et beaucoup de musulmans tiennent à ce que les chrétiens restent sur place malgré les problèmes actuels». «Ce christianisme n’est pas marginal, tient-il à préciser. Il fait partie intrinsèquement de l’identité syrienne», «c’est un christianisme oriental» qui ne vient pas d’ailleurs, d’Occident, insiste le professeur, convaincu que ce peut être un motif de fierté pour la Syrie.
Mais pour l’heure, c’est l’incertitude concernant la direction que prendra la Syrie avec ses nouveaux maîtres. «On attend», reconnait-il.
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