En Iran, un mois de déconfinement et la crainte d’un rebond
Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican
Le 4 mai dernier, les mosquées iraniennes ont rouvert dans certains comtés du pays jugés moins touchés par le Covid-19, mais ce même jour, un net rebond du nombre de décès et des nouveaux cas de contamination au coronavirus a été enregistré: entre dimanche midi et lundi à la mi-journée, 74 décès supplémentaires ont été recensés, ce qui porte à 6 277 le nombre de morts dus au virus, selon les chiffres annoncés par le porte-parole du ministère de la Santé, Kianouche Jahanpour. Le nombre de cas approche aujourd’hui les 100 000. Cet exemple montre bien la situation délicate dans laquelle se trouve la République islamique, entre reprise progressive des activités – jugée prématurée par certains, comme le conseil médical de la République islamique d'Iran, plus ancienne ONG représentant les professionnels iraniens du secteur – et évolution incertaine de l’épidémie.
Une crise économique qui s’aggrave
À l'étranger et à l'intérieur même du pays, certains soupçonnent les chiffres officiels d'être largement sous-estimés. Le président Hassan Rohani a quant à lui affirmé lundi que l'Iran «avait réussi à empêcher efficacement la propagation de ce virus dans de nombreuses» régions du pays. Durant cette réunion par visioconférence du Mouvement des pays non alignés, retransmise à la télévision d'État, Hassan Rohani a aussi critiqué les sanctions «antidroits humains» des États-Unis contre la République islamique, qui ont selon lui entravé ses efforts pour contrôler le virus, car elles empêchent les entreprises de vendre à l'Iran leurs produits médicaux.
Les sanctions américaines n’ont en effet rien arrangé à la situation économique du pays, qui s’est aggravée durant la crise sanitaire. Comme l’explique Amélie Myriam Chelly, chercheuse associé au CADIS, spécialiste de l’Iran, le taux d’inflation est désormais de 40% et le prix du baril de pétrole a atteint un niveau «historiquement bas»: 33$, sachant que le pétrole représente 40 % des recettes budgétaires du pays. Il faudrait qu’il se situe plutôt entre 90 et 95$ pour permettre d’établir des plans d’équipement médical, explique la chercheuse. Face à ces difficultés, le gouvernement iranien a formulé plusieurs demandes d’aides et de levée de sanctions, par exemple auprès du FMI. Il a aussi permis la réouverture progressive des commerces et les déplacements interrégionaux, dès le mois d’avril, pour conserver un minimum d’activité économique. Il soutient également le secteur de la recherche, «extrêmement vivace» en Iran, afin de trouver un traitement contre le Covid-19.
Une société éprouvée
Les Iraniens quant à eux font face à davantage de précarité - jusqu'à 7,3 millions de travailleurs pourraient perdre leur emploi en raison des conséquences économiques de l'épidémie, d’après Le Point -, et plongent dans un «désespoir maladif» véritable «pathologie sociale qui empêche la population d’envisager un avenir clair», selon Amélie Myriam Chelly. La population est aussi appelée à suivre les injonctions des autorités, comme la distanciation sociale, pour éviter que le virus ne regagne du terrain. «S’il y a une deuxième vague, le pays ne sait absolument pas comment il va pouvoir faire face», explique la spécialiste de l’Iran, car «toutes les forces ont été mobilisées pour affronter l’afflux des malades dans les hôpitaux». Garder ses distances, une mesure toutefois difficile à mettre en œuvre à Téhéran, avec ses huit millions d'habitants, et dans les grandes villes de province. Par ailleurs, le matériel médical continue de manquer, même si l’Iran en a reçu de pays alliés, notamment du Qatar. Le port du masque est désormais obligatoire dans les métros et transports publics.
Pour Amélie Myriam Chelly, de nouvelles manifestations sont «tout à fait possibles», après celles de novembre 2019 et janvier 2020, surtout si les Iraniens réalisent qu’une frange de la population s’enrichit en raison des sanctions et de la crise économique liée à la crise sanitaire.
Mais avant d’évoquer l’avenir, la chercheuse revient sur les dernières semaines, où s’est déroulé un confinement qui n’est «pas comparable à ce que l’on a pu observer en Europe».
(Avec Le Point, RFI et AFP)
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