Cabo Delgado, foyer de la montée en puissance des islamistes au Mozambique
Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican
Une attaque de plus, la troisième de la ville depuis le début de l’année. Le 12 août dernier, des islamistes radicaux affiliés au groupe État islamique (EI) se sont emparés de Mocimboa da Praia, dans la province du Cabo Delgado, et de son port, à l'embouchure du Rio Mazuma. Un site stratégique en raison de l'immense projet de gaz naturel liquéfié (GNL) de la région qui devait être lancé, l'un des plus gros investissements en Afrique, dans lequel se sont engagés les groupes français Total et américain Exxon Mobil.
La province à majorité musulmane du Cabo Delgado, dont Pemba est le chef-lieu, est le théâtre depuis près de trois ans d'une insurrection islamiste qui a causé la mort de plus de 1 500 personnes et fait plus de 250 000 déplacés, selon des ONG et l'ONU. Cette province, la plus septentrionale du Mozambique, limitrophe de la Tanzanie, affiche un taux de pauvreté élevé, en dépit d’importantes ressources naturelles. Des experts y voient un potentiel «Qatar africain», qui aurait de quoi devenir l'un des premiers exportateurs mondiaux de gaz naturel.
Un groupe terroriste né à la fin des années 2000
Ces perspectives de développement sont sapées par l’emprise croissante militants islamistes, connus localement sous le nom d'Ahlu Sunna wal Jamaa ou al-Shabab - bien qu'il n'aient aucun lien connu avec le groupe jihadiste somalien du même nom – et affiliés au groupe État islamique.
Apparu dans la fin des années 2000 ,«c’est un groupe qui passe à l’action armée à partir de 2017», explique Matteo Puxton, historien, spécialiste de la propagande militaire de l’État islamique. L’EI intervient dans les projets du groupe «à partir de juin 2019, et commence à revendiquer des opérations au Mozambique» menées par les membres d’al-Shabab. Il est toutefois difficile de dire quels sont les liens exacts «entre le centre de l’État islamique et le groupe sur place». En revanche, «une accélération des actions militaires, notamment à partir de l’automne 2019» est évidente. Le groupe s’arme de plus en plus, attaque davantage les autorités, et plusieurs villes et villages du nord du Mozambique tombent entre ses mains depuis le début de l’année. «Les jihadistes vont rester pour le moment» dans Mocimboa da Praia, estime Matteo Puxton, même si l’on ignore si la ville deviendra leur base stratégique.
Le groupe Ahlu Sunna wal Jamaa, «très local», «veut appliquer la charia et son interprétation de l’Islam à l’ensemble des musulmans de la province», et s’en prennent donc aux civils, avec un mode d’action qui rappelle celui de Boko Haram au Nigéria: les enlèvements de femmes sont toujours plus fréquents.
Une riposte insuffisante
Ces attaques «provoquent une vague de déplacements considérable», souligne l’historien, et constituent un fléau s’ajoutant «à la pauvreté et aux difficultés de cette province qui était déjà bien délaissée par le pouvoir central».
Malgré les promesses répétées du président Filipe Nyusi, l'envoi de renforts militaires et le recours à des mercenaires étrangers – comme ceux du groupe russe Wagner -, le régime de Maputo s'est en effet révélé incapable de ramener l'ordre. «Même les troupes d’élite qui sont engagées au nord sont en grande difficulté». Matteo Puxton évoque aussi «le déni, pendant longtemps par le gouvernement, de la réalité de ce groupe et de la réalité de la vigueur de ce groupe». Le gouvernement mozambicain n'a fini par reconnaître la présence de ces jihadistes sur son sol qu'en avril 2020.
Depuis l’étranger, notamment le voisinage proche, la situation inquiète mais ne suscite pas d’engagement à la hauteur de la menace. Les pays de la Communauté de développement des pays d'Afrique australe (SADC), réunis en vidéoconférence lundi 17 août, n’ont ainsi exprimé qu’un timide soutien au Mozambique, prenant à cette occasion la présidence tournante de l’institution. Les chefs d’État présents ont «salué le pays pour les efforts continus qu'il déploie pour lutter contre le terrorisme et les attentats violents». Ils ont fait part de la «solidarité de la SADC et l'engagement de cette dernière à soutenir le Mozambique dans son combat contre le terrorisme et les attentats violents»… sans toutefois donner la moindre modalité concrète sur la forme que prendrait ce soutien.
À la racine du mal
Comment expliquer cette frilosité face aux jihadistes? «L’État islamique lui-même a menacé (…) les États voisins qui voudraient intervenir en soutien au Mozambique», fait remarquer Matteo Puxton. Intervenir est donc «très délicat» pour ces pays, dont les moyens sont par ailleurs limités ou déjà mobilisés. C’est le cas par exemple d’une puissance régionale comme l'Afrique du Sud, qui pourrait envoyer des troupes chez son voisin mozambicain, si elle n’était occupée actuellement à utiliser son armée pour faire respecter les mesures destinées à lutter contre la pandémie de coronavirus. Elle participe à la mission de l'ONU dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC), avec un millier de soldats sur le terrain.
Et même si des forces régionales étaient déployées au Mozambique, «la solution n’est pas que militaire», soutient Matteo Puxton. «Lutter contre ce type de groupe jihadiste, c’est lutter contre les raisons profondes» qui favorisent sa prolifération. Autrement dit, «la pauvreté, la misère, les problèmes d’éducation, les débouchés économiques […] les problèmes de reconnaissance politique de certaines communautés, d’intégration – notamment des musulmans – dans la direction du pays». «Si on ne solutionne pas tous ces problèmes», prévient l’historien, les attaques terroristes ne pourront «que revenir». Une perspective dont semble conscient le gouvernement mozambicain: le 13 août dernier, lors d'une réunion préparatoire au sommet régional de la SADC, la ministre des Affaires étrangères du Mozambique, Veronica Macamo, a affirmé que «si le terrorisme et l'extrémisme violent n'étaient pas contenus, ils pouvaient s'étendre» à toute l'Afrique australe.
(Avec AFP)
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