Au centre d’accueil Bakhita de Rome, la sororité comme asile
Marine Henriot - Acilia, Rome
Dans le jardin du centre Bakhita, Wafa aime à s’affairer auprès des plantations, «J’aime tout ce qui est vert. J’aime m’occuper des jardins. C’est ce que j’aimerais faire en Italie, qui est un pays si vert si beau, il y a tant d’endroits que j’aimerais participer à rendre plus beaux.» Wafa a 51 ans, elle vient de Syrie. Derrière ses lunettes, son regard se mouille quand elle raconte son parcours : «C’est un peu compliqué. J’étais en Italie en 2017, j’ai eu mon permis de séjour et je suis partie vivre au Pays-Bas. Puis j’ai dû revenir, car ils ont refusé de me donner des papiers.»
Ses proches sont au Liban ou en Syrie. Dans les murs du centre Bakhita, Wafa, chaleureuse et pétillante, a trouvé une seconde famille. «Je n’ai personne en Europe. Je suis presque seule. Mais je ne me sens pas seule. Ici c’est calme, vraiment, de tout mon cœur, quand je passe les grilles du centre Bakhita, je me sens en sécurité.»
Dans les locaux du centre Bakhita, du nom de Joséphine Bakhita, cette ancienne esclave soudanaise devenue sainte, les responsables, en majorité des femmes, cherchent à reproduire les gestes d’un quotidien en famille. La cuisine y tient une place essentielle, plusieurs fois par semaine certaines résidentes aiment cuisiner ensemble. Une salle pour la couture et une boutique de vêtements sont également en cours d'aménagement à l'étage.
Tisser un lien de confiance
Les femmes accueillies, notamment celle du Nigeria, sont des femmes qui ont fui la traite humaine, la trahison, la violence. «Elles n’ont aucune confiance envers les autres quand elles arrivent ici.», détaille Ornella, éducatrice professionnelle dans le centre depuis dix ans. Pour tisser une relation de confiance, le travail est quotiden, «Il se fait par le prisme de l’accueil, on doit faire sentir à nos résidentes qu’elles sont accueillies, et surtout, protégées. Nous créons avec elles des liens étroits, avec beaucoup de patience et énormément de persévérance.» Un lien de confiance qui deviendra la première pierre pour bâtir un projet de vie hors du centre.
A ses côtés, Sabera. Jeune, timide, réservée. Jusqu’en août 2021, Sabera vivait à Kaboul où elle débutait sa carrière de journaliste. Lors de la prise de la capitale afghane par les Taliban, Sabera a dû prendre rapidement la décision de quitter son pays. Arrivée en Italie elle a pu bénéficier d’un statut de protection internationale, comme toutes les résidentes du centre. Aujourd’hui, l’on peut sentir son désespoir face à l’immense machine administrative à laquelle sont confrontées les réfugiées, «Je ne fais rien ici. Rien de spécial. Je regarde ce que peux étudier à l’université. En attendant je dois faire mes documents, pour l’université, pour mes papiers d’identité. Actuellement, je ne sais pas je vais rester en Italie. Le temps me dira ce qui est possible.»
Apaiser les traumatismes
Simona Liberatori est la responsable du centre d’accueil depuis deux ans. Elle voit le centre Bakhita comme un lieu de passage, «Le dernier du parcours d’accueil officiel. Les personnes qui arrivent ici doivent être prêtes à entreprendre un parcours de formation, puis d’insertion professionnelle afin d’arriver à être autonome. Nous faisons des bilans de compétence, cherchons à comprendre leur niveau car certaines par exemple n’ont aucune éducation, certaines sont analphabètes, d’autres en revanche ont suivi des formations dans leur pays, d’autres travaillaient. Selon leur niveau, nous pouvons donc soit directement proposer des stages, soit des formations pour ensuite accéder au monde du travail.»
Le centre Bakhita peut accueillir 50 personnes, uniquement des femmes, et leurs enfants. Les résidentes sont autonomes, elles vont et viennent pour suivre leur formation ou emmener les enfants à la crèche. Ces deux dernières années, la pandémie a renforcé les difficultés et les longueurs administratives. Par ailleurs, les cours ou formation en ligne peuvent être une difficulté supplémentaire pour des personnes qui ne maitrisent pas nécessairement la langue ou la technologie. Simona Liberatori ne cache pas les difficultés, «Nous avons déjà des difficultés par rapport aux ressources disponibles, ensuite il y a les difficultés disons internes de ces personnes… Elles portent en elles des expériences dramatiques, des traumatismes qui les retiennent dans le passé.»
Mais parmi ces obstacles, une lumière : celle de la sororité. «Je crois en la force des femmes. La force qu’ont ces femmes, dans leur parcours du combattant, aussi la richesse qu’elles nous apportent. C’est une valeur ajoutée. Cela me semble essentiel de les accompagner pour un petit morceau de leur route vers une condition meilleure.», confie la responsable, le regard rempli d'espérance.
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