Bolivie: l’Église appelle à l'apaisement face au recensement retardé
Adélaïde Patrignani (avec Fides et AFP) – Cité du Vatican
La grève en cours depuis cinq jours dans une région bolivienne a des répercussions inattendues. Toute l’économie du pays d’Amérique latine semble menacée et le gouvernement se prépare au pire. Depuis hier, jeudi 27 octobre, a été suspendue l'exportation de six produits alimentaires de base - soja, de tourteaux de soja, de farine de soja, de sucre, d'huile et de viande bovine - en raison d'un «risque de pénurie et d'augmentation des prix» provoqué par la mobilisation, ont annoncé les autorités.
La région de Santa Cruz, moteur économique du pays et bastion de l'opposition, est en grève contre le gouvernement de gauche de Luis Arce pour exiger un nouveau recensement de sa population.
Un report mal accepté
Cette classique démarche de recensement est stratégique en Bolivie: il sert à recalculer la répartition des sièges au Congrès et les ressources publiques allouées aux régions et départements. Or la région de Santa Cruz, la plus peuplée, gouvernée par l'opposition de droite, estime être défavorisée par un recensement datant d'il y a plus de 10 ans.
Le prochain devait avoir lieu en 2023, mais le gouvernement a annoncé son report à 2024 en raison des problèmes causés par la pandémie. Le Comité civique de Santa Cruz, qui regroupe des organisations locales, estime que le report du recensement nuirait à la région. En effet, si cette opération était menée en 2023, les résultats pourraient être appliqués lors des élections de 2025, et on estime qu'ils donneraient trois députés supplémentaires à Santa Cruz. Or le report à 2024 signifierait que les nouvelles données ne seront pas traitées avant les élections.
La grève générale, entamée samedi, a fait un mort et plusieurs blessés lors d'affrontements parfois violents entre partisans du gouvernement et opposants. Des tensions et manifestations ont aussi été observées dans d'autres villes comme La Paz et Cochabamba.
Le gouvernement accuse le Comité civique de Santa Cruz d'utiliser le recensement comme un prétexte pour mobiliser l'opposition et déstabiliser le gouvernement lui-même.
Rechercher la paix
L’Église locale a quant à elle exprimé son inquiétude. «En tant que pasteur de cette portion du Peuple de Dieu qui se trouve à Santa Cruz, j'exprime ma profonde préoccupation face à l'augmentation de la spirale de la violence qui engendre encore plus de violence, a fait savoir Mgr René Leigue Cesarí, archevêque de Santa Cruz, dans un message publié jeudi 27 octobre. Il est déplorable de vivre une situation de douleur et de souffrance causée par un désaccord sur la date du recensement de la population et des logements, qui, selon le sentiment commun, devrait être un motif d'unité, de joie et d'espoir de jours meilleurs pour tous», explique-t-il.
L'archevêque bolivien rappelle qu'«en tant qu'Église catholique, notre mission est d'être aux côtés de notre peuple», et lance donc «un appel véhément aux autorités compétentes» pour qu'elles laissent de côté leurs intérêts personnels, partisans ou sectoriels, et démontrent leur capacité de service. Mgr Leigue Cesarí s'adresse également à la population de Santa Cruz «afin qu'elle ne tombe pas dans les provocations violentes que certains créent, (…) nous recherchons la paix pour la Bolivie et surtout pour Santa Cruz», peut-on lire.
La Conférence épiscopale de Bolivie, dans un communiqué du 25 octobre, s’est elle aussi dit inquiète de la montée des tensions. Elle a aussi clarifié son rôle. «En tant qu'Église, nous serons toujours prêts à faciliter le dialogue dans la poursuite du bien commun des gens. Nous pensons qu'il est important de pouvoir faire la distinction entre la tâche de médiation et celle de facilitation. C'est pourquoi nous affirmons que nous serons toujours disposés à guider, à offrir des critères, à faciliter le dialogue, à contribuer à la conclusion d'accords, mais pas à faire de la médiation», indique le texte.
L’épiscopat bolivien demande que les parties au conflit puissent s'asseoir à la table des négociations et dialoguer sincèrement, «avec un esprit ouvert, sans menaces ni intransigeance, à la recherche de la paix, de la vérité et de la justice».
Le président Luis Arce, député sous l'ex-président de gauche Evo Morales (2006-2019), est confronté au premier conflit social majeur dans le pays depuis son arrivée au pouvoir il y a deux ans. En 2019, l'opposition de droite avait dénoncé des fraudes électorales et poussé l'ancien président indigène Evo Morales à la démission.
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