Femmes afghanes privées d'universités, opposer une résistance locale
Entretien réalisé par Delphine Allaire - Cité du Vatican
Le choc et les larmes des femmes afghanes devant les universités barricadées par des gardes armés. Au lendemain de la décision des autorités talibanes d'interdire les études supérieures aux jeunes femmes, déjà privées d'enseignement secondaire, cascade de réactions internationales. L’Allemagne saisit le G7, la France condamne avec la plus grande fermeté, le Premier ministre britannique Rishi Sunak dénonce «en tant que père de filles», «un grave retour en arrière».
Victoria Fontan, vice-présidente de l’Université américaine d’Afghanistan désormais basée au Qatar, réagit à cette énième restriction des libertés.
Comment accueillez-vous cette nouvelle interdiction faite aux femmes, cette fois-ci de pénétrer l’enceinte des universités?
Nous étions au courant depuis quelques semaines. Il se disait qu’il y avait des dissensions au sein des talibans et qu’une annonce formelle ne serait pas faite, mais que beaucoup d’obstacles allaient être érigés pour faire en sorte que les femmes n’aient pas accès à l’éducation supérieure. Cette mesure n’est donc pas une grande surprise mais une déception sur l’échec du dialogue interne aux talibans. Le mouvement se radicalise, ce qui était la peur de beaucoup au départ, et qui est désormais bien matérialisé.
La garde armée patrouille aux abords des facultés pour empêcher les Afghanes d’entrer. Quelle forme de résistance les femmes peuvent-elles opposer?
Seule une résistance globale des Afghans pourra changer la donne. Dans certains États comme le Nangarhar (Est du pays, frontière pakistanaise), il y a déjà eu des résistances couronnées de succès sur le terrain.
Lorsque la population au niveau local, les dirigeants locaux ou les figures tribales se mobilisent, les talibans n’ont d'autres choix que de changer et de revoir leur copie. Cela s’est produit au niveau local, au niveau régional, j’espère que cela va s’opérer de par tout l’Afghanistan. Il y a un ras-le-bol général des Afghans de ces politiques qui n’ont pas pour but de changer la vie quotidienne par rapport aux services: le peuple n’a pas d’électricité, pas d’argent, pas d’emploi. Ce sont là les vraies attentes de la population.
Quelle était jusqu’à présent la condition des femmes afghanes dans les universités du pays?
Depuis août 2021, 70% des professeurs des universités ont fui le pays. La part des femmes dans l’université est donc réduite. Les professeurs femmes avaient été déjà renvoyées chez elles. Les étudiantes subissaient des restrictions relatives à leurs sujets d’étude, bannies de l’ingénierie, du journalisme. Cette restriction est la formalisation d’un processus graduel initié il y a quelques mois. Désormais la seule place des femmes dans le système éducatif relève des études en ligne.
Que peut-on espérer pour les femmes afghanes en 2023?
Que toute la population d’Afghanistan se fasse entendre des dirigeants par rapport à leurs attentes. Espérer une solidarité intérieure. Il apparait clair maintenant que les pressions internationales n’ont mené à rien. C’est aux pères, aux frères, aux maris d’être à présent solidaires des femmes de leurs familles, de faire face à cet obscurantisme qui n’a plus lieu d’être, et qui n’a rien à voir avec la tradition religieuse ou sociale de l’Afghanistan.
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