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Énergies fossiles: il est urgent de désinvestir

Malgré les multiples appels d'ONG et de scientifiques, les investissements dans les énergies fossiles restent massifs. La conversion écologique de l'industrie pétrolière et des acteurs financiers qui les soutiennent est lente alors que les objectifs de limitation du réchauffement climatique s'éloignent dans le même temps.

Entretien réalisé par Jean-Charles Putzolu – Cité du Vatican

Depuis la COP de Paris en 2015, les 60 plus grandes banques au monde ont investi 5 500 milliards d’euros dans les énergies fossiles, gaz, pétrole et charbon. Des sommes gigantesques dénoncées dans le rapport annuel «Banking on Climate Chaos» publié le 12 avril. Le rapport auquel ont collaboré 624 organisations de 75 pays, relève par ailleurs que les entreprises de combustibles fossiles ont réalisé des bénéfices record en 2022, estimés à 4 000 milliards de dollars.

Dans un autre rapport, celui du GIEC, publié en mars, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, soulignait au contraire que pour donner à l'humanité une chance d'éviter des dommages inacceptables à des millions de personnes aujourd'hui et aux générations à venir, l'utilisation des combustibles fossiles dans tous les secteurs doit fortement diminuer.

Pour progressivement sortir des énergies fossiles, à l’instar de 31 institutions chrétiennes basées aux États-Unis, au Royaume-Uni, au Canada, en Australie, en Italie et en France, qui ont annoncé jeudi 20 avril qu’elles se désinvestissent de ce secteur, il sera nécessaire que les acteurs financiers aussi changent de paradigme. Joseph D’Halluin, chargé de plaidoyer climat et finance au sein du Mouvement Laudato sì, répond à nos questions.

Ecouter l'entretien avec Joseph D'Halluin

Est-ce que les banques aujourd'hui peuvent cesser d'alimenter le développement des énergies fossiles? Autrement dit, quel peut être leur rôle pour soutenir la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre?

La première responsabilité des acteurs financiers aujourd'hui, c'est de cesser de soutenir financièrement l'industrie fossile dans ses plans d'expansion, de renouvellement d’infrastructures, en matière d’énergies fossiles. C'est la première responsabilité, cesser de soutenir le mal. La deuxième responsabilité, c'est de réorienter toute leur activité vers un système énergétique soutenable, vers les énergies renouvelables, vers l'efficacité thermique du bâtiment, vers les choses dont on a besoin à l'avenir pour faire face aux défis écologiques, au défi climatique.

On a vu depuis plus de dix ans se multiplier les déclarations de bonnes intentions. Le rapport de Rainforest Action Network, malheureusement, semble indiquer qu'on est loin du compte si on veut véritablement arriver à limiter les effets du réchauffement global. Est-ce que, à votre avis, il faut arriver à fixer des règles contraignantes pour forcer une réorientation des investissements?

La question de la transition énergétique est évidemment complexe. Ça implique beaucoup d'acteurs et ça implique notamment effectivement des politiques publiques. Il faut des politiques publiques cohérentes à l'échelle des pays. Mais il faut aussi imaginer un cadre global qui nous permette de sortir des fossiles. Au Mouvement Laudato si', par exemple, on défend l'idée d'un traité de non-prolifération des énergies fossiles, donc l'idée d'une organisation internationale qui oeuvre pour une justice climatique internationale, pour une transition juste du secteur, parce qu’aujourd’hui y a des gens qui travaillent pour ces industries fossiles, et il leur faut aussi une sécurité d'emploi. Donc il faut organiser cette transition pour qu'on laisse les énergies fossiles dans le sol le plus vite possible, qu'on réduise d'au moins 50 % nos émissions d'ici 2030 et qu'on atteigne la neutralité carbone en 2045.

Au-delà même des objectifs de développement durable et de limitation du réchauffement climatique qui sont aujourd'hui urgents, on le sait, n'y a-t-il pas à prendre en considération une autre question tout aussi urgente, voire même plus, à savoir les premières victimes de ces investissements massifs dans le pétrole notamment? Qui sont elles? Quelles populations sont impactées?

Le développement des énergies fossiles, ça impacte de manière différente, très négativement le monde et la création. D'abord, en effet, il y a les personnes directement affectées par les projets qui sont déplacées ou qui subissent des pollutions. Pour donner un exemple, le projet EACOP porté par Total Énergie en Ouganda et en Tanzanie. C'est un pipeline de quasiment 1500 kilomètres qui traverse une zone protégée et de nombreux territoires. Et donc ce sont des milliers de personnes qui sont déplacées pour laisser place à cette infrastructure fossile, avec, pour celles qui seront voisines des infrastructures, un risque de pollution des eaux et donc de dégradation de leur environnement, donc de perdre leurs moyens de subsistance. Et ça, c'est à un horizon un tout petit peu plus lointain. Mais en fait, toutes les populations les plus vulnérables aux changements climatiques dans les zones désertiques, sur les côtes, en subissent déjà les conséquences avec l'augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes. Pour donner un exemple européen, on voit la sécheresse qui est déjà massive au nord de l'Espagne et qui touche la France aussi d'ailleurs. Ce sont des conséquences extrêmement directes du changement climatique. Et chaque degré compte. Donc chaque gigatonne de CO2 qu'on injecte dans l'atmosphère a un impact très concret sur les gens les plus vulnérables, mais aussi maintenant en Occident, dans les pays riches où on voit les conséquences du changement climatique.

On peut reprocher aux compagnies pétrolières de n'avoir d'yeux que pour leurs profits que leur industrie génère, et on l'a vu au cours de l'année écoulée, ces profits sont milliardaires, ce qui leur donne des moyens de pression considérables sur les gouvernements et les institutions. Ne sommes-nous pas totalement démunis face à cela?

Je ne crois pas. D'abord, dans l'espérance de la résurrection, nous ne sommes démunis face à rien. Mais par ailleurs, il y a des moyens politiques de canaliser le travail des énergéticiens de l'industrie des énergies fossiles. Il y a cette idée de traité de non-prolifération fossile. Il y a une responsabilité exorbitante des décideurs d'allouer, ou pas, des financements. Il y a une responsabilité des décideurs d'allouer, ou pas, un permis d'explorer. Et il y a des endroits où on a refusé l'exploration. Donc c'est quelque chose qu'il est possible de faire, qu’un homme ou une femme politique peut faire s'il ou elle est soutenu(e) par les citoyens, les citoyennes, par les fidèles dans son pays. C'est quelque chose de vraiment crédible.

Vous parlez des fidèles, et en parlant de religions,  elles se sont engagées en faveur de la protection de l'environnement. Le pape François Bien sûr, avec l'encyclique Laudato Sì notamment. On peut aussi citer le patriarche Bartholomée qui est en première ligne depuis longtemps sur ces questions d'environnement. A la dernière COP 27, en Égypte, des responsables religieux du christianisme, de l'islam, du judaïsme, du bouddhisme et de l'hindouisme ont annoncé dix nouveaux commandements pour la protection de la vie sur terre. Quelle valeur on peut attribuer à ces engagements? Que peuvent ils entraîner?

Les confessions religieuses, quelles qu'elles soient, à l'échelle internationale, sont une autorité morale importante et viennent éclairer la société civile mondiale, notamment pendant les négociations climatiques. Mais elles ont d'autres leviers et un des leviers dont elles disposent, c'est leur financement, par exemple par l'Église catholique et la plupart des institutions catholiques ont des placements financiers. Et ce à quoi invite le mouvement Laudato Si, c'est de s'assurer que les placements financiers ne sont pas liés à l'industrie des énergies fossiles. Pour tout un tas de raisons, et notamment morales, s'assurer que notre argent ne sert pas à financer la destruction de l'environnement et la crise climatique. Cette semaine, nous avons annoncé à une grosse vingtaine d'institutions qui s'engagent à ne plus investir ou à désinvestir des industries fossiles et à réorienter cet argent vers des solutions pour le climat, vers les énergies renouvelables.

L'industrie pétrolière est lente à se convertir et paradoxalement, on va se retrouver avec un président de la COP 28 qui est aussi le PDG de la plus grosse entreprise pétrolière des Émirats arabes unis. La COP 28 a-t-elle encore du sens?

C'est une question compliquée. Les négociations internationales doivent impliquer tout le monde. C'est vrai qu’on ne part pas sur des bases extrêmement sereines dans cette configuration-là. On espère néanmoins la mobilisation d'un maximum de gens, donc à la fois par exemple des autorités religieuses, mais aussi la société civile dans son ensemble. Peut-être qu'on peut espérer des engagements forts de la part d’un maximum d'États. Et on doit aussi espérer une forme de lucidité sur les tentatives de greenwashing, d'éco blanchiment de la part de certains décideurs qui mettent en avant des plans de transition qui n'en sont pas vraiment.

La responsabilité de l'industrie fossile aujourd'hui est énorme parce qu'effectivement elles ont une force de frappe gigantesque. On ne peut que constater que depuis l'Accord de Paris, aucune des principales entreprises pétrolières n'a vraiment mis en œuvre un plan sérieux de sortie des énergies fossiles. Tout leur plan qui laisse entendre une transition énergétique ne sont pas à la hauteur de l'enjeu ou ne sont pas respectés. Pour donner un exemple, BP, British Petroleum, s'était engagé à ne pas initier de nouvelles infrastructures à court ou moyen terme mais est revenu sur cet engagement l'année dernière parce qu'il y avait beaucoup de profit à faire. En fait, on ne peut pas vraiment leur faire confiance à ce stade. Donc, les leviers dont on dispose, c'est les acteurs financiers qui peuvent jouer cette responsabilité d'aiguillon en ne finançant plus les industries fossiles, mais en finançant les acteurs qui sont vraiment engagés dans une voie de transition. Et puis les politiques, et donc nous tous, parce qu’ils répondent de leurs actes devant les citoyens dans la plupart des pays du monde qui doivent prendre des décisions, et qu’ils peuvent empêcher les nouvelles explorations et mettre en œuvre des politiques de transition énergétique. Mais effectivement, aujourd'hui, on ne peut pas tout à fait faire confiance à l'industrie des énergies fossiles pour mener la transition qui est pourtant extrêmement nécessaire.

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21 avril 2023, 08:00