La Syrie de retour dans le jeu régional au Moyen-Orient
Entretien réalisé par Olivier Bonnel - Cité du Vatican
En 2011, la Syrie, à l’instar d’autres pays du monde arabe, était traversée par une révolte populaire contre le régime, une révolte vite matée dans le sang et qui allait déboucher sur une terrible guerre civile. À l’époque, le régime de Bachar al-Assad avait été exclu de la Ligue arabe en raison de sa répression.
Damas, longtemps paria dans les relations internationales, connait aujourd’hui un spectaculaire retour en grâce, avant tout sur la scène régionale au Moyen-Orient. Vendredi 14 avril, les ministres des affaires étrangères d’Irak, d’Égypte, de Jordanie, ainsi que des pays du Conseil de coopération du Golfe, doivent se réunir à Djeddah en Arabie Saoudite pour discuter d’un retour de Damas au sein de la Ligue arabe. Un retour qui devrait se formaliser lors du sommet de l’organisation panarabe que le royaume saoudien organisera le 19 mai.
Cette réhabilitation de la Syrie dans le jeu régional s’est faite en plusieurs étapes, mais s’est accélérée ces dernières semaines, notamment à la suite du séisme meurtrier du 6 février qui a permis aux acteurs de la région, Arabie Saoudite en tête, de se rapprocher de Damas, en développant une "diplomatie humanitaire" de l'urgence. Mais cette respectabilité retrouvée pour Bachar al-Assad est à lire aussi dans la dynamique du réchauffement diplomatique entre les deux puissances régionales que sont l'Iran et l'Arabie Saoudite. Décryptage d'Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et Mediterranée (CERMAM) à Genève.
Un déclic a eu lieu lors des tremblements de terre en Turquie et surtout en Syrie. Nous avons vu un engagement inédit de la part des monarchies du Golfe, mais aussi d'autres pays arabes, pour soutenir à la fois les zones contrôlées par l'opposition, mais aussi les zones contrôlées surtout par le régime, avec même une coordination avec le régime syrien. Cette diplomatie de catastrophe a été, à mon avis, un élément intéressant dans le dégel des relations entre les pays du Golfe et la Syrie. Je pense que la rencontre entre des responsables saoudiens, iraniens avec le parrainage de Pékin (en mars dernier, ndlr) a été l'élément central qui a déclenché cette volonté saoudienne d'inviter la Syrie à son sommet de la Ligue arabe organisé en Arabie Saoudite en mai prochain.
En quoi cette détente entre l'Iran, soutien historique de Damas, et l'Arabie Saoudite, deux rivaux historiques, a-t-elle pesé dans cette normalisation?
L'entente entre l'Arabie saoudite et l'Iran est destinée surtout à sécuriser l'Arabie saoudite et sécuriser les relations entre les deux États. Cette sécurisation des relations, et notamment la sécurisation de l'Arabie Saoudite avec tous les projets économiques du prince héritier, passe par les crises régionales. La Syrie a occupé un poste important au sein de la Ligue arabe et on sait aussi que la Syrie, avec sa proximité avec l'Irak mais aussi avec d'autres pays arabes, peut toujours nuire ou porter des coups à la nouvelle politique étrangère engagée par le prince héritier Ben Salmane, qui a jugé intéressant d'utiliser l'entente avec Téhéran pour renouer avec le régime de Damas.
La Syrie occupait un rôle important au sein de la Ligue arabe avant d'en être exclue, après la révolution de 2011. Quel était ce rôle et quel rôle peut de nouveau jouer le régime syrien s'il vient à être réintégré au sein de la Ligue arabe?
La Syrie faisait partie d'un "front du refus", en quelque sorte, qui s'opposait aux diktats américains sur la région. Selon les responsables syriens, les nouvelles orientations prises par Mohammed ben Salmane, le prince héritier, l'homme fort de l'Arabie saoudite, il peut y avoir une convergence entre sa volonté de diversifier ses relations et de se tourner vers l'Est, vers la Chine et la Russie qui sont des États restés proches du régime syrien. Il est dans l'intérêt de l'Arabie Saoudite, qui veut être le nouveau leader du monde arabe, d'avoir un pays comme la Syrie qui s'est distingué par des positions plutôt anti-américaines et anti-occidentales.
Autre élément à prendre en considération dans les nouveaux choix de l'Arabie Saoudite, la centralité de la Syrie, ses relations importantes, son influence au Liban qui est aussi un État d'influence pour l'Arabie Saoudite. Damas a des relations importantes avec les milices chiites, avec, bien sûr, le Hezbollah et le mouvement Amal.
Parmi les rares pays opposés au retour syrien dans la Ligue arabe figure le Qatar, rival de l'Arabie Saoudite. Quelles sont les motivations des réticences qatariennes?
Dans les pays du Golfe, l'on aime à répéter cette phrase: "La décision appartient à Ryad". Le Qatar reste le seul État, avec le Koweït, qui est allé très loin dans son soutien à l'opposition syrienne. Doha abrite toujours des leaders importants de l'opposition syrienne, entretient encore de bonnes relations avec l'opposition syrienne, qu'elles soient laïques ou des membres de l'opposition issus plutôt d'obédiences religieuses. C'est pourquoi le changement de paradigme qui veut que Riyad s'impose aux autres pays du Golfe passe très mal au Qatar. Doha a toujours demandé le départ de Bachar al-Assad ou l'engagement de véritables réformes démocratiques comme le demandent les résolutions des Nations unies. Néanmoins, compte tenu du réchauffement récent des relations entre Doha et Ryad, je ne vois pas vraiment le Qatar continuer dans sa ligne de résistance.
D'un point de vue syrien, pour Damas, comment est vue cette opportunité de retrouver cette respectabilité régionale?
Il s'agit d'une véritable réhabilitation du régime et de Bachar al-Assad dont il faut rappeler qu'il reste frappé par plusieurs décisions internationales de justice. Aujourd'hui, il est réhabilité par le poids lourd du monde sunnite, en l'occurrence de l'Arabie saoudite. Les conséquences sont surtout politiques. C'en est fini de l'isolement de Bachar el-Assad puisque la Syrie devrait reprendre son siège à la Ligue arabe et dans toutes les autres organisations régionales dépendant de cette organisation. Cela aura pour conséquence la réouverture de toutes les ambassades arabes à Damas et aussi la réouverture des ambassades syriennes à l'étranger. On revient donc à la situation de départ. Pour le régime syrien cette dynamique est très importante. La Syrie vit une situation économique très difficile et les monarchies du Golfe veulent en profiter. Certaines pourraient même demander une réforme politique et économique en Syrie qui n'arrivera pas toutefois jusqu'à la transition à laquelle se refuse Bachar al-Assad.
La position européenne, est jusqu'à maintenant la même, à savoir le refus de collaborer avec le président Bachar al-Assad et l'exigence de nouvelles élections libres avec toutes les garanties. La position américaine est encore plus radicale surtout depuis l'adoption par le Congrès de la loi Cesar qui interdit à toute entité de traiter avec Bachar al-Assad. Je pense que les pays du Golfe et la Ligue arabe veulent obtenir cette réhabilitation de la Syrie pour l'utiliser comme un levier, et demander aux Occidentaux d'emboîter le pas de la Ligue arabe.
On imagine que cette réhabilitation du régime de Bacahar al-Assad est un coup dur porté à l'opposition syrienne...
C'est une véritable trahison. Elle est vécue en tant que telle par l'opposition, surtout l'opposition laïque, qui a toujours demandé une transition politique selon les termes des résolutions du Conseil de sécurité. L'opposition syrienne en exil craint même pour son avenir. Est-ce que le régime Bachar al-Assad ne va pas demander leur leur expulsion? Une autre partie de l'opposition vit en Turquie, et le pouvoir turc se prépare lui aussi à une réconciliation avec le régime de Bachar al-Assad. C'est une véritable victoire pour le régime syrien qui est présentée d'ailleurs par la presse syrienne comme une revanche du président. Elle est aussi une victoire pour ses parrains: pour Moscou et pour Téhéran qui a soutenu militairement, économiquement et économiquement le régime de Bachar al-Assad.
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