Famille d'otages à Gaza, douleur et détermination pour faire libérer leurs proches
Marie Duhamel – Cité du Vatican
Sur les écrans géants installés salle Paul VI à l'occasion de l'audience générale, tous ont découvert ce mercredi le visage de leurs proches, victimes du Hamas le 7 octobre dernier. Leurs pancartes dans les mains, les deux cousins ont pu montrer au Pape les portraits de Carmela, 80 ans, et sa petite-fille Noïa, âgée de 12 ans -toutes deux ont été égorgées par le Hamas, mais aussi de son neveu, Ofer Kalderon, 53 ans, enlevé et emmené dans la bande de Gaza avec ses deux enfants, Sahar 16 ans et Eretz, 12 ans.
«Je lui ai montré les photos et je lui ai demandé s’il comprenait de quoi il s’agissait. Il m’a répondu: ‘’Je sais, je comprends… Je suis avec vous’’», rapporte Ischaïe. François a posé sa main sur leurs images: «Il a acquiescé et dit que ‘’oui’’, il savait. Et c’est pour cette raison que nous nous mobilisons, pour que l'on ne puisse plus dire qu’on ne savait pas. On doit savoir, en particulier nos frères chrétiens, nos frères catholiques», affirme Ange Kalderon, car «nous portons les mêmes valeurs, celles des dix commandements et nous avons encore beaucoup de travail, pour continuer à les porter ensemble».
Un message de paix pour tous
À Paris, Ange Kalderon est engagé dans le dialogue interreligieux, ce qui l’a conduit à rencontrer, avec Ischaïe, le nonce apostolique en France. L’échange avec Mgr Celestino Migliore fut «formidable, intense»; «il nous a montré à quel point il pouvait être à l'écoute de notre souffrance». Dans le kibboutz de la famille Dan, Nir Oz, frontalier de Gaza, une cinquantaine de résidents sont ont été tués. «Il a entendu que nous n’étions animés ni par un esprit de haine, ni par un esprit de vengeance. Notre message est celui de la paix pour tout le monde». En Israël, le frère d’Ischaïe, Ourie aujourd’hui décédé, emmenait les Gazaouis se faire soigner dans des structures israéliennes. «J'ai des amis arabes, chrétiens et musulmans, des camarades, de très bonne connaissance. J’écoute aussi la radio et la télévision. Je vois qu’en Israël, les musulmans sont contre ce qui est arrivé. La plupart d'entre eux».
Après la création de l’État d’Israel, leurs parents avaient quitté la Tunisie pour vivre une vie en collectivité, et d’équité entre les hommes et les femmes, au sein d’un Kibboutz. «Ma mère était chrétienne», confie Ishaïe. Aujourd’hui au Vatican, il dit avoir senti «qu’il était important de voir le Pape». Mercredi, dit-il, «quelque chose s’est passé, je ne saurais vous dire quoi».
«J’ai perdu le sens de l’émotion»
Depuis l’offensive du Hamas, Ishaïe a du mal à définir ses impressions: «Je ne sais pas ce que je sens. Je crois que j'ai perdu un peu le sens de l'émotion. J'ai perdu le sens des mots». Comme anesthésié et pourtant poussé par un besoin d’action. Il est membre, avec son cousin Ange, du collectif du 7 octobre à Paris. «Je crois que c'est la première fois dans ma vie -j'ai 81 ans- que j'ai compris que la vie des autres dépendait de moi. Je suis venu en France pour raconter ce qu’il se passe en Israel et à Gaza, c’est la seule chose que je puisse faire. Autrement, ajoute-t-il, c’était pour moi très très difficile de vivre. C’était très difficile de respirer et il était impossible de dormir.»
Sahar et Erez, une libération tant attendue
Deux jours avant leur arrivée à Rome, lundi 27 novembre, après 51 jours de captivité, ses deux petits neveux ont été libérés à la faveur de la trêve temporaire sur laquelle se sont accordés le Hamas et Israël. «Les enfants sont très silencieux. Ils parlent très lentement. Le jeune sourit. Sahar ne sourit pas du tout», raconte Ischaïe en contact étroit avec sa nièce. Plusieurs témoignages font état de ce ‘’calme’’. «Elle a dû recevoir l'ordre de se taire si longtemps qu'elle est encore terrifiée de faire du bruit», racontait cette semaine le père d’une fillette de 9 ans à la presse.
Debout pour que tous soient libérés
Sahar et Erez sont libres, «rescapés», mais les deux patriarches de la famille sont à Rome, où ils accordent du temps aux médias. L’urgence reste de témoigner pour obtenir la libération de tous les otages. «Gallit ma petite cousine, au lendemain même de l’enterrement de sa mère et de sa fille, était sur les chaînes de télévision pour continuer à se battre pour sa sœur, ses neveux et son beau-frère». Ange raconte comment une de leur amie, connue au sein du collectif, a un jour disparu pour quelques temps. Elle se battait «pour sortir sa sœur de l’enfer de Gaza» alors même qu’elle n’était plus en vie. «On a retrouvé le corps de sa sœur brûlé. Les mains et la tête avaient été coupés pour qu'on ne puisse pas l'identifier rapidement». Au lieu de rester en Israël, leur amie est revenue à Paris et quand un journaliste lui a demandé ce qu’elle faisait là, elle a répondu avoir réfléchi un peu, mais «que vais je faire en Israël? Rester à pleurer ma sœur après les sept jours de deuil. Et j'ai décidé de revenir, de rester près des autres familles, de témoigner avec elle et de lutter avec elles jusqu'à ce que tous soient délivrés». Nous combattrons jusqu’au bout, nous ne voulons pas tourner la page avant cela, affirme Ange.
Des sentiments contradictoires
Aujourd’hui, ses petits cousins ont été libérés. Leur père est encore dans un tunnel du Hamas. Carmela et Noïa ne reviendront pas. «Il me vient une image à l’esprit. À Peshar, la fête de Pâques qui célèbre la sortie d'Égypte des Juifs, nous avons pour tradition d'envelopper un morceau de Matsa, qui est du pain azyme, dans une feuille amère, et nous la plongeons dans une espèce de sauce sucrée. Ensuite, nous la mangeons et nous avons en bouche ce mélange de la douceur et de l'amertume. C'est cela qui me vient à l'esprit, un mélange de douceur et d'amertume».
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