Un an après, la peur d’un nouveau séisme encore bien présente à Alep
Alexandra Sirgant - Cité du Vatican
Dans la nuit du 5 au 6 février 2023, un violent séisme d’une magnitude de 7,5 (Mw) ravageait le sud-est de la Turquie et le nord-ouest de la Syrie. Il sera suivi par d’autres importantes secousses telluriques les jours d’après, faisant au total près de 60 000 morts, soit la pire catastrophe naturelle pour la région depuis le tremblement de terre de 1999 à Izmit.
En Syrie, pays déjà ravagé par treize ans de guerre, 6000 personnes ont perdu la vie. Un an après, la peur de l’arrivée de nouvelles secousses dévastatrices ne quitte pas les habitants des régions touchées, déjà marqués par la violence de la guerre et désormais confrontés à une crise économique sans précédent qui plonge la population dans la pauvreté. À cela s’ajoute l’arrêt depuis le 1er janvier 2024 de l’aide alimentaire du Programme alimentaire des Nations Unies, (PAM), qui nourrissait près de 5,6 millions de Syriens.
Le frère mariste Georges Sabé vit à Alep, l’une des villes du nord-ouest syrien les plus touchées par le séisme. Il appelle les organisations internationales à ne pas «abandonner une population qui souffre» et nous explique également son engagement quotidien pour tenter de redonner de l’espérance aux habitants d’Alep.
A quoi ressemble Alep aujourd’hui?
Au quotidien, je vois des immeubles en partie détruits, qui se trouvent dans une insécurité totale, et pourtant, si l’un des étages n’est pas détruit, il est souvent habité. Sur le principe, les habitants ne sont pas censés y résider. Mais il y a des gens qui, à cause de la pauvreté, à cause de la misère, à cause du fait que c'était leur ancienne maison, décident de vivre dedans.
Il y a aussi eu des déplacements de population, entre 500 à 600 familles ont dû changer de lieu d'habitation. Mais la reconstruction de la ville n’est pas pour aujourd’hui, ni de ce qui a été frappé par la guerre, ni de ce qui a été aussi détruit par le tremblement de terre.
Au-delà des dégâts matériels, un an après le séisme, vous constatez encore des dégâts psychologiques chez les habitants?
Le plus grave dans tout ça, c'est la peur. La peur s'est installée chez beaucoup de gens, que ça soit chez les enfants, chez les adultes, les jeunes, les moins jeunes…Il y a des personnes qui ont dormi pendant un certain temps avec leurs habits car ils avaient peur que ça recommence. Il y a des enfants qui, jusqu'à maintenant, ont beaucoup de difficulté à se séparer de leurs parents, que ce soit la nuit, mais aussi le jour pour certains. Et ça, c'est tout un travail que nous devons faire: nous devons reconstruire la pierre mais aussi le sentiment de sécurité chez beaucoup de gens. Il ne faut d’ailleurs pas oublier que ce traumatisme est basé sur l’expérience de la guerre, avec toutes ses conséquences.
Et parmi les conséquences de la guerre, il y a l’importante crise économique qui frappe la Syrie. Comment se manifeste-t-elle dans votre quotidien?
Dernièrement, nous avons en partie oublié le tremblement de terre car nous subissons un séisme économique terrible. Nous sommes toujours sous sanctions (internationales, ndr). Ces sanctions, bien qu’on prétende quelles ne touchent pas la population, se reflètent dans notre quotidien. Par exemple, nous sommes en plein hiver et nous n’avons que deux heures d’électricité par jour. Ça veut dire que nous sommes constamment en train de chercher des moyens pour nous chauffer.
Au moment du séisme, vous avez reçu de l'aide de la part de certaines ONG et des organisations internationales, notamment des Nations unies. Qu'en est-il aujourd’hui?
L'aide qui est venue était une aide très limitée et elle s'est arrêtée depuis. La Syrie, avant le 6 février 2023, avait été déjà oubliée par les ONG, mais l’aide continuait néanmoins. Depuis le 1ᵉʳ janvier 2024, l’organisme d’aide alimentaire de l’ONU, le PAM (Programme alimentaire mondial) a arrêté toute aide à la Syrie. L'argument, c'est qu'il y a d'autres lieux d’intervention. Personnellement, je crois que sur ce point-là, nous n’avons pas le droit d'abandonner une population qui souffre. De quel droit accepte-t-on aujourd'hui qu'une population vive dans la pauvreté et la misère? Je lance un appel (à la communauté internationale, ndr): nous avons besoin de vivre dignement. Nous ne sommes pas des mendiants, mais nous avons subi tellement de difficultés, tellement de problèmes, tellement de malheurs que l'aide venant de l'humanité doit nous aider à nous remettre sur pied, et non pas nous réduire à mendier.
Vous parliez plutôt de reconstruire le sentiment de sécurité pour les habitants d'Alep. Que leur dites-vous pour les aider à retrouver l'espérance dans ce contexte?
Avant tout, il faut croire que l'espérance est possible. Malgré un horizon fermé, il faut croire personnellement, communautairement au niveau de l'Église que l'espérance est possible et que le Seigneur ne nous abandonne pas. À partir de cette espérance-là, il faut aller à la rencontre de l'autre, pour le servir dans la mesure du possible, et lui apporter, toujours dans la mesure du possible, l'aide dont il a besoin.
Notre foi nous aide à avancer. Le Seigneur a promis de ne pas nous oublier, même en pleine tempête, comme les disciples qui étaient pris dans la tempête en pleine mer.
Le Seigneur semble dormir, mais il est là pour apaiser nos cœurs et apaiser nos esprits. C’est cela le principe sur lequel actuellement, en tant que Mariste et Mariste bleu, nous sommes en train de travailler pour continuer à semer l'espérance dans le concret, dans le réel: avec des paniers alimentaires, avec un soutien psychologique, avec de l’éducation, avec un développement de la personne humaine, avec une aide pour les loyers.
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