MED24 à Marseille, lumière sur les routes migratoires de Méditerranée

Plus de six mois après l’appel du Pape lancé à Marseille pour un sursaut d’humanité et de dignité en Méditerranée, l’Église de la cité phocéenne prolonge l'élan en conviant une quarantaine d’acteurs de terrain, de Jérusalem au Maroc, pour former à l’accueil des personnes migrantes. Lors de ces MED24 du 6 au 8 avril, le diocèse du premier port de France souhaite développer «un réseau» pour une assistance spirituelle et humaine aux migrants traversant la route maritime la plus dangereuse au monde.

Delphine Allaire – Marseille, France

«Nous sommes tous issus d’un Araméen errant». En ces termes, le cardinal Jean-Marc Aveline, présent à ces journées en toute discrétion, formule la nécessité de réfléchir et de sensibiliser à l’expérience de la migration. L’archevêque de Marseille avance trois points: d'abord, travailler sur la mémoire pour éviter les idéologies. «Si chacun gratte dans sa propre histoire, il découvre que son père était un errant. Marseille le sait, car toute personne y est issue d’une immigration plus ou moins réussie», assure-t-il devant l’assemblée. Ensuite vient l’écoute des récits, «car nous sommes les produits d’identités narratives. Écouter le récit de la vie de l’autre vaut mieux que des injonctions venues d’évêques», plaisante-t-il, garantissant que les injonctions ne servent à rien sans l’expérience de la rencontre avec le vécu. Ultime point préconisé, «l’information critique, ou comment ne pas se laisser influencer par ce que l'on nous dit à ce sujet, mais aller soi-même chercher, vérifier, travailler et soigner l'information».

La Méditerranée, miroir d’histoires

C’est véritablement le récit de visages et le regard humain qu’ont prôné chacun des intervenants sur la Méditerranée lors de cette première journée, qui a alterné grandes conférences et petits ateliers sur les défis de l’accueil et de l’intégration. «Les MED24 ne sont ni un colloque scientifique, ni théologique, elles sont placées sous le régime de la rencontre et de la gratuité pour mieux se connaître et se découvrir», affirme père Alexis Leproux, vicaire épiscopal chargé des relations méditerranéennes, à l’initiative de ces journées avec Anne Giraud, responsable de la pastorale des migrants à Marseille. Ce volet complémentaire aux Rencontres de septembre, auxquelles le Pape, 70 évêques et 70 jeunes du bassin méditerranéen ont participé, croise les regards des cinq rives pour «édifier une communauté méditerranéenne solidaire, organisée et capable de répondre aux défis de migrations», estime le père Leproux. «Une pastorale spécifique encore plus reliée pour les diocèses les plus exposés», suggérait le Pape en septembre.

 

Le berceau devenu tombeau

Les défis sont de taille à commencer par la porte d’entrée de l’Europe, Lampedusa, l’île sicilienne visitée par François à l’orée de son pontificat, en juillet 2013. Le Pape s’était alors étonné de n’y avoir vu aucune religieuse œuvrer près des migrants. Quelques années plus tard, la lacune est comblée et quatre sœurs de l’UISG y sont envoyées. Parmi elles, sœur Antonietta Papa, témoin depuis septembre des tragédies qui accablent cette île-frontière de 6 000 habitants, 1 400 militaires, où peuvent arriver 1 800 personnes en trois jours: «Quand l’on accueille, on voit les cercueils passer», certifie-t-elle, racontant, émue, la chute mortelle d’un bébé d’une femme migrante tombé dans l’eau un Vendredi Saint à l'âge de quinze mois.

Témoignage de sœur Antonietta Papa sur Lampedusa

La mer de tous les périls

C’est aussi à Lampedusa qu’est arrivé Daniel Bourha, jeune Camerounais catholique qui a quitté sa terre natale en 2014, pris fortuitement dans les tourments de la guerre à l’Extrême Nord du pays. Depuis s’en est suivi un périple de tous les dangers qui a duré deux ans, du Nigeria au Niger jusqu’à l’Algérie en passant par les prisons de Libye. Avec assurance et une mémoire sans faille, lui qui est à présent jardinier-paysagiste à Marseille raconte ce périlleux chemin et son recours aux passeurs pour des milliers d’euros. «J’ai ressenti un sentiment de joie et de soulagement lorsque je suis enfin arrivé à Lampedusa». De l’île sicilienne, Daniel a rejoint Gênes puis Nice et enfin Marseille en 2016, où il a été accueilli par la Cimade. Il remercie aussi l’Église marseillaise, s’amusant aujourd’hui «de son assemblée vieillissante» en comparaison avec les églises camerounaises et africaines.

«Comme au pied de la Croix, il faut être là»

Pour le père Antoine Exelmans, prêtre in fidei donum au Maroc depuis 2016, au service des migrants à Casablanca, cette approche des questions migratoires à partir des histoires et des visages manque au débat. «Or, partager les récits et les expériences, c’est cela la théologie», argue-t-il, constatant que «les lumières sur les routes migratoires peinent à briller». Il note une impuissance, «comme au pied de la Croix», mais «il faut être là». L’ancien vicaire général de Rabat propose ainsi un an d’expérience dans une structure d’accueil de migrants pour tous les séminaristes.

À Oujda dont il fut curé, le père Exelmans, récipiendaire du prix Aachen pour la paix en 2020, a accueilli 2 000 personnes par an, «seulement les plus perdus et blessés»: une majorité d’hommes, 30% de mineurs, 30% de Camerounais, de Guinéens (Conakry), d’autres d’Afrique de l’Ouest ou centrale, et depuis trois ans, des Soudanais fuyant la guerre. 95% d’entre sont musulmans et accueillis par l’Église catholique. «Ils arrivent au Maroc par le nord du Mali et le Niger, où il y a les Touaregs, jusqu’au sud de l’Algérie, où il y a des séquestrations. Les gens tombent des pickups [camionettes] dans le désert», rappelle-t-il. Ainsi 40 migrants musulmans vivent actuellement le ramadan dans les locaux de l’Église à Casablanca.

Les migrants transforment l'Église

Autre route migratoire de la Méditerranée qui a résonné en ces journées, celle des Balkans occidentaux qui a vu 130 000 tentatives d’arrivée en 2022. La directrice adjointe de Caritas Albanie, Ariela Mitri, est venue témoigner de la réalité de cet ex-pays communiste dont les habitants furent eux-mêmes premiers demandeurs d’asile en France en 2018. «Passés par la Turquie, les migrants, tous des hommes, arrivent de Syrie, d’Afghanistan, du Bangladesh et d’Afrique du Nord, depuis 2015 après le pacte avec la Turquie». Tous musulmans aussi, la Caritas locale a mobilisé des imams pour prodiguer une meilleure assistance.

Comment cet accueil transforme-t-il le visage de l’Église? De nombreux interlocuteurs assurent que les migrants maintiennent vive la foi dans des lieux où le culte catholique est ténu comme en Grèce orthodoxe ou au royaume chérifien.  

Les projets pastoraux de diocèses exposés

Selon le frère Xabier Gomez OP, directeur du département migrations au sein de la conférence épiscopale espagnole, cela contribue aussi au développement du pays d’accueil et d’origine. «Mais ce travail ne peut être considéré comme une simple marchandise. Nous sommes conscients des tensions et de l’exploitation dont ils sont l’objet. En prenant soin d’eux nous prenons soin de nous-mêmes. Beaucoup de migrants sont des prophètes du cri de Dieu, sur des situations d’individualisme marqué», a relevé le dominicain, présentant le projet de l’épiscopat espagnol «Hospitalité Atlantique» (Hospitalidad Atlántica), porté avec 26 diocèses de 11 pays d’Afrique du Nord, de l’Ouest et du Sud de l’Espagne, pour offrir des espaces sûrs aux migrants, en transit et à leur arrivée en Europe. Exemple, s’il en est, du réseau ecclésial qui pourra faire des émules au sein des différentes pastorales de Méditerranée.

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07 avril 2024, 12:00