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Voiture dans laquelle ont péri des travailleurs humanitaires du World Central Kitchen. Voiture dans laquelle ont péri des travailleurs humanitaires du World Central Kitchen.  (AHMED ZAKOT) Les dossiers de Radio Vatican

Lucidité et courage des travailleurs humanitaires à Gaza

La mort de sept travailleurs humanitaires dans une frappe israélienne lundi 1er avril à Gaza témoigne de la difficulté avec laquelle les ONG accomplissent leur mission pourtant vitale, qui consiste à apporter de la nourriture ou des soins à une population exsangue après six mois de guerre. Engagé dans l’enclave palestinienne depuis plus de 20 ans, Médecins du monde compte encore 25 collaborateurs sur place. Ils sont à pied d’œuvre malgré l’expérience du deuil, de la misère et de la peur.

Entretien réalisé par Marie Duhamel – Cité du Vatican

«Que l'Esprit du Seigneur ressuscité éclaire et soutienne ceux qui travaillent à faire baisser les tensions et à encourager les gestes qui rendent les négociations possibles. Que le Seigneur donne aux dirigeants la capacité de s'arrêter un peu pour négocier», lançait le Pape ce dimanche à l’issue de la prière du Regina Cæli, six mois après le début la guerre lancée à Gaza contre le Hamas, au lendemain de la mort de 1 100 personnes en Israël. Le Souverain pontife n’a de cesse d’appeler à la libération des otages, à l’instauration d’un cessez-le-feu et à l’accès de l’aide pour la population palestinienne, les conditions indispensables à une sortie de crise.

Depuis six mois, les Palestiniens déplorent la mort d'au moins 33 000 des leurs, tués dans des bombardements ou des combats au sol. L’immense majorité des 2,4 millions d’habitants de Gaza ont été contraints de fuir leur foyer et vivent dans la précarité et en proie à la faim, Israël empêchant l’arrivée massive d’aide. Souvent privés de ressources et de protection, les humanitaires travaillent dans des conditions extrêmes. Au total, plus de 200 humanitaires sont morts à Gaza depuis le 7 octobre, selon les ONG, dont au moins 165 travaillaient pour l'Unrwa, l'agence onusienne pour les réfugiés palestiniens.

Après la mort de sept humanitaires tués dans des frappes israéliennes lundi dernier à Deir al-Balah où ils venaient de décharger «plus de 100 tonnes de nourriture amenées à Gaza par voie maritime», rapporte leur ONG World Central Kitchen, les Nations unies ont dénoncé le «mépris du droit humanitaire international» et de ses travailleurs par Israël.

Le cas de Médecins du monde

Engagée depuis 1999 dans les territoires palestiniens, l’ONG Médecin du monde compte aujourd'hui 25 collaborateurs à Gaza, des locaux déplacés au sud pour 24 d’entre eux. À Rafah, ils font fonctionner trois centres de santé, dédié aux soins primaires et post-opératoires, pour le suivi de ceux qu’on renvoie des hôpitaux surchargés. Ils ont également maintenu leur offre de soutien psychosocial.

Le fait d’avoir été déplacés de force, pour certains trois ou quatre fois, d’habiter entassés dans des maisons de fortune faites avec du plastique ou de ne s’alimenter, comme les autres, que de boites de conserve vendues à des prix exorbitants ne les arrêtent pas. Ils poursuivent leur travail en dépit du manque de médicaments, de carburant, et surtout en ayant conscience que chaque jour peut être le dernier. C’est ce que nous explique Helena Ranchal directrice des opérations internationales de Médecins du Monde.

Dans quel état d’esprit vos collaborateurs vont travailler chaque matin?

Il n'y a pas un endroit sûr à Gaza. Chaque fois qu'ils sortent dans la rue, ils risquent leur vie. Ils sont extrêmement lucides, ils savent très bien les risques qu'ils prennent. La totalité de notre équipe, tous, ont perdu des membres de leur famille, entre un et sept. Tous ont des enfants, certains nés après le 7 octobre. On a des collègues qui ont perdu 20 kilos depuis le début de la guerre, par le manque de nourriture et en raison du stress. Ils sont épuisés physiquement parce que ça dure, et psychologiquement. Parce qu’au-delà de la détresse personnelle qu’ils sont en train de vivre, ils se confrontent tous les jours à des patients, des personnes, qui traversent des situations aussi très dures, des blessures, sans compter le fait que nous offrons en plus un soutien psychosocial. Mais dans le même temps, ils se montrent très responsables. Ils savent que c'est très important de continuer à travailler parce que les gens continuent à être malades, etc. Et il faut continuer à fournir des soins. On ne peut pas être plus fiers de nos équipes. Moi, je parle de Médecins du monde, mais on peut dire exactement la même chose de tous les soignants et de tous les humanitaires qui travaillent actuellement à Gaza.

Avez-vous discuté avec eux d’une éventuelle suspension de vos activités? Les laissez-vous libres de leur choix?

Oui et ça c'est très clair. Les équipes de Médecins du monde travaillent dans des contextes très compliqués, en zone de conflits notamment. Pour nous, le plus important est la sécurité de nos équipes. Et nos collaborateurs ont cette latitude, pour des questions de sécurité ou d’état d’âme. On peut très bien comprendre qu’un jour l’un d’eux se lève en se sentant dans l’incapacité de travailler, mais ce n’est jamais arrivé. Quand les équipes ont trouvé des médicaments et du combustible pour circuler en voiture et aller fournir des soins, elles étaient très motivées. Nous sommes des soignants et des humanitaires, nous sommes animés par l’obligation sociale qui est la nôtre.

Pour vous permettre de travailler dans les meilleures conditions, êtes-vous en relation avec l’armée israélienne?

Notre ancien bureau à Gaza -il faut que je parle au passé- était marqué, signalé à l'armée israélienne. Des coordonnées GPS avait été envoyées pour informer que c'était le bureau d’une ONG. Mais il y a quelques mois, l'armée israélienne y est rentrée de force, et de façon extrêmement violente et humiliante, elle a fait sortir nos équipes, imposant aux hommes de rester nus dans la rue. On a découvert cette semaine que tout ce qui se trouvait à l’intérieur de notre bureau a été brûlé. Voilà la relation qu'on entretient avec l’armée. Même quand on marque et qu'on identifie les endroits où nous sommes, nous sommes attaqués. On voit qu'à Gaza, tous les principes fondamentaux du droit humanitaire international sont bafoués et que la protection des humanitaires, la protection des soignants, n'est pas assurée.

Pour les Nations unies, la mort des sept humanitaires témoigne de la manière dont la guerre est menée par Israël, en dépit du droit humanitaire. Est-ce que c'est également votre sentiment?

Même dans la guerre, il y a des règles et elles ne sont pas respectées. Quand on demande à une population de plus d'un million et demi de personnes de se déplacer de force sous 24 heures, qu'on cible des hôpitaux, qu'on cible des ambulances, qu'on cible des soignants, des humanitaires ou qu'on entrave l’arrivée de nourriture et d'eau dans un territoire, bien sûr, tous les principes fondamentaux ne sont pas respectés.

Et vous évoquiez le nombre d’humanitaires morts. On pourrait faire exactement la même chose avec le nombre total de morts. Les 33 000 morts, sont ceux qui ont été recensées, (comme tués du fait de la guerre), mais nous, chez Médecins du monde, nous avons perdu un collègue. Il a été assassiné en novembre, avec toute sa famille dans sa maison. On n'a pas pu retrouver les corps parce que les bulldozers ne pouvaient pas fonctionner par manque de combustible. La famille était en train déblayer à la main [les décombres] quand elle a de nouveau été attaquée. Et le deuxième cercle de la famille a été tué. Comme on ne peut pas récupérer les corps, tous ces gens-là ne sont pas comptabilisés comme des morts. Et il en va de même pour tous les gens qui arrivent gravement blessés dans les hôpitaux et qui vont y décéder à cause de leurs blessures, de complications ou simplement parce qu'il n'y a pas la capacité de les soigner. Tous ces gens-là vont être comptabilisés comme mort secondaire mais pas liée au conflit.

Comment percevez-vous les réactions de condamnation ou d’indignation émanant de nombre de pays du monde, des États Unis à la Chine?

Je pense qu'il faut lever le ton. L’ensemble des États doivent prendre leur responsabilité politique. La Cour internationale de Justice a ordonné en janvier à Israël de faire tout son possible pour empêcher un «génocide» lors de son offensive à Gaza, et statué qu’Israël devait autoriser l’aide à Gaza.  Il y a quelques jours la rapporteur spéciale des Nations Unies sur les territoires palestiniens a dit exactement la même chose, mais rien n’est fait. Certains pays sont des leviers importants pour faire changer les idées ou pour mettre Israël sous pression, et je parle-là des États-Unis qui, en même temps qu’ils parachutent de l'aide humanitaire, continuent aussi à envoyer des armes à Israël. Il faut en finir avec toute cette hypocrisie. Poster des messages sur Twitter, s’indigner, formuler des déclarations vides, cela ne sert strictement à rien. Après, il faudra chercher des responsabilités. On est en train de voir des blessures de guerre sur des enfants de cinq ans, ce n’est pas normal. Ce ne sont pas des cibles militaires. Il est trop facile de dire: «désolé, la mort des sept humanitaires est une erreur». Ce n’est pas possible de dire des choses comme celles-là.

Pensez-vous que leur mort puisse servir de possibilité de rebond pour la communauté internationale afin qu’elle exerce des pressions telles qu’Israël devrait ralentir, voire mettre fin à la guerre?

Ce n'est pas la mort de sept humanitaires qui va changer la donne. Je pense qu'il faut vraiment voir les chiffres globaux liés à ce conflit: le nombre réel de morts, la quantité de blessés, la destruction massive des infrastructures, le risque de famine, les déclarations de la Cour internationale de Justice ou de la rapporteur onusienne etc. Tout est là et on est en train de créer un précédent pour le futur. Si demain, un autre État fait la même chose, qui le freinera? Malgré tous les actes d’Israël, personne et aucun État ne le freine.

 

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08 avril 2024, 16:12